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« Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ? »
Avec un titre volontairement provocateur (surtout pour les mâles alphas de ce monde), Léane Alestra vient de publier un essai qui ne passe pas inaperçu aux éditions JC Lattès (dont on salue l’audace). C’est d’abord pour tenter de répondre à une question qui lui prenait littéralement la tête que l’auteure, aussi créatrice du podcast féministe Mécréantes, a choisi de consacrer une enquête sous forme d’essai pour tenter de repenser les identités masculines et leurs effets collatéraux sur nos sociétés. Sans parler du tabou de l’homosexualité masculine que Léane Alestra analyse habilement.
À travers son ouvrage et dans une perspective queer, elle remet en question tout ce qui est entré dans nos moeurs mais qui ne fait pourtant aucun sens. Si les hommes aiment tant les femmes, pourquoi ne s’intéressent-ils pas plus à l’amour romantique ? Pourquoi sont-ils les principaux auteurs de violences faites aux femmes et autres féminicides ? etc.
De Maupassant en passant par Jésus, Dracula, Beigbeder (dont on décortique actuellement le dernier ouvrage en essayant de ne pas faire un AVC à chaque page) ou encore Victor Hugo, le livre de Léane Alestra décortique les ficelles sociales guidant nos désirs sans se limiter au seul champ de la sexualité.
Comment l’idée de te pencher sur ce sujet t’est venue ?
Je me suis rendue compte assez tard que j’étais lesbienne. Avant ça, j’ai donc eu 2 petits-amis et en les fréquentant j’ai commencé à me demander s’ils étaient vraiment hétéros ! (rires) Je les questionnais beaucoup sur le sujet, jusqu’à ce que je sorte du placard. Il y avait clairement une part de projection dans mes questionnements existentiels mais ça n’expliquait pas tout. J’ai également ouvert la conversation avec un ami bi racisé qui m’a parlé, sans tabou, de sa condition et de ce qu’il avait vécu. Ça m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses ! Et j’ai poursuivi la réflexion en discutant avec beaucoup d’hommes de divers horizons (pizzaiolos, cadres, rugbymen, etc) pour me nourrir de leurs expériences de vie. J’avais besoin de tout documenter.
Enfin, j’ai participé à l’ouvrage collectif Nos amours radicales (ndlr, le livre traite des relations de domination et des inégalités entre les hommes et les femmes) et en faisant la promo, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de femmes hétéros qui venaient nous voir pour nous dire qu’elles faisaient la lecture de notre livre à leur mec et qu’elles étaient en souffrance de voir que leur partenaire s’en moquait un peu. Comme s’ils n’étaient pas concernés par le couple hétéro… Ça m’a vraiment interpelée, je n’arrêtais pas de me dire : mais pourquoi est-ce qu’on court après eux pour qu’ils s’intéressent à quelque chose qui devrait les intéresser d’office ? D’où ça vient ?
La question ne t’avait jamais traversé l’esprit avant ?
Si, à l’école déjà, je me rendais bien compte que l’histoire des hommes primait sur l’histoire des femmes, et qu’au final, mes potes gars étaient juste intéressés par l’histoire des “grands” hommes et n’en avaient rien à faire de l’histoire des femmes. Tout leur désir était concentré vers les autres hommes mais pourtant, la plupart voulait quand même coucher avec des femmes… C’est ce paradoxe qui m’a interpellée très tôt, je m’en souviens très bien. Souvent, j’étais aussi la confidente ou la bonne pote de mes amis mecs et je voyais tellement de contradictions dans leurs discours. En écrivant mon livre, ça m’a choquée que personne, avant moi, n’ait vraiment rien écrit sur le sujet… C’est tellement flagrant.
Et alors d’où ça vient ce paradoxe ?
Je me suis juste concentrée sur la société occidentale car c’est compliqué de faire des généralités sur le monde entier. Mais disons que la contrainte à l’hétérosexualité est très récente et l’amour romantique, ça fait deux siècles que ça existe. Avant, on se mariait pour avoir des enfants, c’était une entreprise économique et il fallait bien s’entendre avec son compagnon pour supporter la vie, mais il n’y avait pas d’injonction à être amoureux. Il suffit de penser à nos grands-parents… Il y a toujours eu des sentiments amoureux, c’est humain mais l’amour n’avait pas toujours un rôle social.
Et il y a eu des périodes où c’était carrément la honte de s’intéresser aux femmes car c’était des êtres inférieurs et si on passait trop de temps avec, c’était suspect !
Comment réagissent les gens et les hommes en particulier qui lisent le livre ?
En général, les hommes se prennent une baffe dans la gueule parce qu’ils se reconnaissent dans ce qui est décrit. Ils voient tout de suite de quoi je parle ! Ça leur coupe le sifflet, j’ai l’impression. Je n’ai pas encore reçu de messages de haine, je touche du bois… Pourtant je m’y étais préparée, j’ai même fait de l’hypnose et de l’EMDR avant la sortie de mon livre au cas où !
Sinon, ma grand-mère qui vient d’un milieu de droite assez populaire a beaucoup aimé mon livre ! Ça m’a fait plaisir parce qu’elle fait partie de mon public cible. J’ai aussi reçu de beaux retours de darons qui ont lu le livre grâce à leurs filles, ça fait plaisir.
Et puis, certaines filles hétéros ont trouvé ça dur à lire, comme si d’un coup, elles réalisaient qu’elles avaient construit toute leur vie pour plaire à des hommes qui cherchent surtout à plaire aux autres hommes. Comme si elles réalisaient qu’elles étaient juste des “outils” de séduction pour plaire à d’autres hommes… C’est dur quand t’as bâti toute ta vie pour leur plaire.
À ton avis, il faut faire quoi concrètement pour faire évoluer les mœurs et les mentalités ?
Dans mon livre, je parle d’actes de mutinerie ! Se méfier des discours et passer à l’acte. Ça peut être hyper galvanisant : se syndiquer, rejoindre une association, avoir un projet de quartier, etc. Il y a de nombreuses façons de lutter contre les systèmes de domination, ça remet notre énergie créative dans des projets communs qui permettent d’être validés et reconnus. On a tous besoin d’amour et de validation sociale, sans oppression. Le régime hétérosexuel nous force à rester dans la sphère conjugale et à valoriser cet amour romantique, ça nous empêche de développer d’autres liens comme l’amitié ou la solidarité qui sont pourtant des valeurs très importantes. Il faut vraiment miser sur des solutions joyeuses et épanouissantes.
T’as confiance en l’avenir ?
On n’a pas le choix ! D’autant que le régime hétéro fonde l’organisation capitaliste… C’est un sujet central pour repenser la société de demain. Si on ne se bat pas pour l’égalité, on va dans le mur. C’est une nécessité de survie mais ça demande d’abord de déconstruire la dialectique du père, et ça, ça peut être douloureux pour les hommes. Il faut toucher le fond pour mieux rebondir.