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Les grattons sont-ils la pire invention de l’humanité ?

Par
Louise Pierga
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Il y a des aliments qui portent bien leur blase. La crevette par exemple n’aurait pas du tout eu le même goût si elle s’était appelée “groulette” ou “jonxalle”… La côte de bœuf ne se serait jamais fait braiser en se nommant “Croûte de bile”. Vous ne voyez pas le rapport avec la choucroute ? Pas de panique ! Plongeons dans le fabuleux monde du gratton… ou “graton”, car les deux orthographes coexistent ce qui est une belle preuve d’ouverture d’esprit. En voilà un qui, à l’instar de la crevette ou de la côte de bœuf, n’aurait jamais pu s’appeler autrement.

D’origine mystérieuse, son nom vient probablement de l’acte de gratter le gras du fond de la marmite. Et faites gaffe, n’allez pas confondre les grattons avec les rillons si vous ne voulez pas passez pour un noob en charcut’. Les rillons sont de la poitrine de porc, les grattons sont du gras 100% gras cuit dans du gras gratté, en résumé. Rien de plus normal quand on s’appelle “gratton”. Vous n’avez pas encore vomi ? restez avec nous pour la suite.

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Un gratton, des grattons

Le généreux mets englobe un certain nombre de recettes. A Bordeaux, il désigne un genre de terrine à base de jambon frais et de gras confit, dans le sud-ouest on troque plutôt le porc pour le canard en le renommant “fritons”. Mais c’est sur le gratton lyonnais qu’on va mettre un coup de loupe. Sorte de chips carnées à la croquance savamment élaborée, il se compose purement et simplement de gras de porc (certains contiennent même des morceaux d’âme de Gérald Darmanin).

Et si vous vous inquiétez de savoir au bout de combien de grattons ingurgités on frise l’arrêt cardiaque, ça tombe bien puisqu’on a discuté le bout de gras avec un maître en la matière, Jeremy Crauser. Artisan charcutier lyonnais de la maison Crauser & Bello, vice-champion du monde du pâté en croûte 2022 qui en connaît un rayon sur ce sujet bien huilé.

Seigneur rendez-nous grasses

Première question qui nous brûle les lèvres autant qu’elle nous met l’eau à la bouche : pourquoi n’a-t-on pas de championnat du monde du gratton ? Pour Jérémy c’est très clair, aujourd’hui presque plus aucun charcutier ne fait ses propres grattons en dehors de La Meunière, rare et authentique boucherie lyonnaise qu’il approvisionne. Sinon, la presque totalité des grattons dégustés sur le marché du bouchon sont fabriqués industriellement ; comprenez : dégueu.

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Une absence de transparence dommageable pour les consommateurs qui n’auront pas souvent l’occasion de se mettre un gratton digne de ce nom sous le chicot. Dans ces conditions, pas étonnant que les grattons souffrent d’une sale réputation : un truc horriblement gras et salé dont le seul objectif est de boucher vos artères.

Pourtant, il existe un art du gratton. D’abord, il faut choisir du bon “gras de mouille”, délicat sobriquet donné à la graisse stockée dans le bas-ventre du porc. Ensuite vient le triage de la barbaque, on vire le maigre, on garde le gras et on le coupe en morceaux réguliers pour une cuisson homogène dans du saindoux, jusqu’à ce que croustillance respectable s’ensuive. Un savoir-faire qui se perd, donc.

C’est bien triste pour un plat qui incarne plus que tout l’adage “Tout est bon dans le cochon” car, comme le rappelle Jérémy “On valorise l’animal de la tête à la queue”. Une bonne chère anti-gaspi qui démontre, si le doute était encore permis, que les grattons pourraient bien sauver le monde.

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