Les goûts musicaux de vos artistes préférés ne sont pas (toujours) ceux que vous croyez

Parfois, les goûts musicaux des célébrités sont… comment dire… étonnants.

Prenez Moby par exemple. Depuis près de 30 ans il fait les manchettes pour sa musique, ses tattoos louches et pour avoir dit à la planète entière que Natalie Portman a déjà été sa blonde alors que ce n’est pas vrai du tout. Tout ça renvoie un portrait quand même assez cohérent du bonhomme : sophistiqué, spirituel, un peu new age avec juste une pincée d’insatisfaction pour sa propre vie. Qu’un musicien électro soit végane, fleur bleue et un peu creepy, ça ne surprend personne.

Ça va peut-être vous faire tomber en bas de votre chaise, mais l’album The Great Sounthern Trendkill de Pantera célébrait ses 25 ans la semaine dernière et pour l’occasion, la publication rock The Pit a déterré tout l’amour que Moby porte pour cet excellent album. « C’est un album incroyablement dark. Les paroles de la chanson War Nerve sont carrément diaboliques. Les brûleurs d’Église en Norvège ont l’air d’enfants de choeur quand ça joue ».

Vous trouvez peut-être ça aussi bizarre que moi que Moby soit si passionné à propos de groove métal texan, mais croyez-le ou non, la science s’est déjà penchée là-dessus.

Une étude financée par le conseil britannique de la recherche médicale publiée en 2015 s’est penchée sur la question des préférences musicales et de la personnalité. Elle établit que ces préférences sont loin d’être aussi arbitraires qu’on pourrait le croire. Les chercheurs ont été capables de créer trois archétypes à partir de données récoltées via un formulaire : l’archétype E (empathique) qui s’intéresse aux pensées et émotions serait plus enclin à écouter de la musique simple et douce, l’archétype S (systématique) qui s’intéresse à la compréhension du monde en général et aux liens entre les différents phénomènes serait plus enclin à écouter de la musique plus complexe et abrasive alors l’archétype B serait un heureux mélange des deux.

Selon cette étude, ce n’est pas si surprenant qu’un DJ kiffe le gros metal lourd et violent. Tout d’abord parce qu’il est lui-même un musicien et qu’il a une personnalité qui s’y prête. Sa musique est peut-être douce, mais elle est beaucoup plus dans les grands concepts existentiels que dans les sentiments au premier degré. On a qu’à penser à son grand succès Natural Blues qui porte sur la peur de vieillir.

Vous voulez un autre exemple improbable ? La chanteuse électro pop culte Björk kiffe Public Enemy. Plus particulièrement l’album Fear of a Black Planet. Elle affirme sur son site web : « Ils sont de grands incompris. On les perçoit tous comme un groupe strictement politique et leur côté politique est génial, mais personne n’a aussi bien manié hip-hop, house et techno à la fois. Leur musique est tellement abstraite. Avec eux, c’est fuck les règles. »

Peut-être que le côté revendicateur de Public Enemy et l’approche plus conceptuelle de Björk vous semblent comme deux morceaux de casse-tête qui ne s’emboitent pas exactement ensemble, mais là sont deux artistes plus intéressés par le monde des idées que le monde des émotions. Leurs oeuvres n’ont pas du tout les mêmes textures, mais elles parlent le même langage.

Et l’archétype E lui ? Saviez-vous que Nana Mouskouri adore Roch Voisine? Ouais, je sais. C’est surprenant. D’habitude c’est l’artiste plus jeune qui aime l’artiste de la génération précédente et pas le contraire. Mais il s’agit ici de deux personnes qui sont majoritairement interprètes (Roch coécrit une partie de son matériel). Chez les interprètes, l’idée primordiale est de communiquer une émotion forte à son audience. L’interprétation est d’abord et avant tout un art basé sur la connexion émotionnelle. Pas si surprenant alors que Nana se soit laissée émouvoir par la douce voix du playboy d’Edmunston.

Elle ne kiffe pas juste ses beaux yeux. Il a d’ailleurs fait un featuring sur son album Rendez-Vous.

Cette idée des types de personnalités et des choix musicaux m’est revenue il n’y a pas si longtemps, lorsque Barack Obama a publié sa liste de chanson de l’année dans Vanity Fair en décembre 2019. On y trouve des noms pas si surprenants comme Solange, Frank Ocean, Kaytranada, Alicia Keys et… The National ? Oui oui, le groupe indie avec comme chanteur un nerd à lunettes qui a l’air d’enseigner les maths au collège.

Encore une fois, c’est une association contre-intuitive à première vue mais ça s’explique. L’art oratoire et la musique qui tend à plaire à l’archétype E ont un point en commun : les deux existent pour inspirer les gens. Ce sont deux modes de communication basés sur les paroles fortes et les formules mémorables. Bon, malheureusement il n’y a pas que la science qui explique celle-là. La chanson Fake Empire de The National avait été utilisée pour sa campagne présidentielle de 2008 contre John McCain alors il a peut-être voulu faire un clin d’oeil à des alliés de longue date avec ce choix.

Ça sert à quoi de savoir ça au juste ? À comprendre qu’on peut faire des liens entre des formes d’art et des idées auxquelles ont ne se serait jamais intéressées sinon. À combattre les stéréotypes qu’on se fait dans notre tête pour comprendre le monde et d’arrêter d’assigner des limites arbitraires aux gens qu’on ne connaît pas assez.

Et vous, quel est le groupe ou l’artiste dont tout le monde ignore que vous êtes fans ?