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Que faisiez-vous le 1er juin dernier ? Question rhétorique : sans doute vous passiez une journée assez classique très éloignée de l’événement historique qui se produisait 139 ans plus tôt. Le 22 mai 1885 Victor Hugo poussait son dernier soupir à 83 ans. Il se trouve que Mr. Hugo ce n’est pas n’importe qui. Figure fondamentale du XIXe siècle, Victor Hugo était un peu la Kim Kardashian de l’époque (le fessier rebondi en moins, le talent littéraire et l’engagement politique en plus).
Quelques jours avant sa mort, une troupe de plusieurs centaines de personnes s’amassent devant chez lui, au numéro 50 de l’avenue qui porte déjà son nom depuis 4 ans. Quand on lui envoyait une lettre, on écrivait “À monsieur Victor Hugo, en son avenue, à Paris”. Journalistes et admirateurs viennent guetter le dernier soupir ou manifester leur amour pour l’auteur des plus grands romans du XIXe siècle. Le clergé quant à lui s’affole. Victor Hugo n’a toujours pas exigé l’extrême-onction. Ça la fout mal pour l’Eglise qu’un homme de cette envergure envoie balader les conventions religieuses de base. Il avait tout de même déclaré dans son testament “Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse l’oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu.” Sympa le keum.
“Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons” (Les Misérables)
Quand il exhale son dernier souffle, c’est l’émoi. Il va maintenant falloir organiser ses funérailles et croyez-moi ça va être un sacré bordel, voire un bordel sacré. Alors que l’inhumation était initialement prévue au cimetière du Père Lachaise où un caveau l’attendait, le journaliste Anatole de La Forge propose qu’on l’envoie plutôt au Panthéon parce que bon sang de bonsoir, on ne parle pas de n’importe qui.
Première galère : le Panthéon était redevenu un lieu de culte catholique sous le Second Empire, on y avait même effacé l’inscription “Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante”. Donc inhumer Hugo là-dedans, ça revenait à pisser sur son testament cité plus haut. La solution est toute trouvée : on va rendre ce bâtiment à sa fonction première, soit un temple consacré aux dieux dans l’Antiquité qui s’est transformé en lieu destiné à abriter la dépouille des hommes illustres (faudra attendre encore un peu pour les femmes). Bref, on déconfessionnalise le panthéon. Un geste historique qui provoque l’avènement de la laïcité en France et nous met sur les rails de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, loi qui ne sera votée qu’en 1905. Certes, on est loin du modeste corbillard dans lequel il voulait être transporté, mais sa panthéonisation actait de la plus honorable façon sa rupture avec le Second Empire. Opposant de Napoléon III, Hugo a dû s’exiler 17 années sur les îles Jersey et Guernesey. Une période qui lui a toutefois permis de s’essayer au spiritisme et de “rentrer en contact” avec sa fille Léopoldine (morte noyée dans les bras de son époux). Ça l’a sans doute fait partir un poil en sucette puisqu’il s’est mis à tchatcher avec les morts (mais des morts stylés genre Shakespeare et tout). Il faudra attendre la chute de l’empereur en 1870 pour qu’il revienne triomphant en France, quelques années après la publication des Misérables qui avait grave boosté sa fame, comme on dit.
“Loue chaise pour 2 francs”
Pour l’inhumation, c’est donc réglé. Reste à gérer… tout le reste. Parce que ces funérailles vont attirer du monde, plus de trois millions de personnes (c’est deux fois plus que pour la victoire de la France à la coupe du monde en 98). Elles auront lieu le lundi 1er juin 1885. On décide de fermer les écoles et les administrations publiques pour ce jour… mais pas les usines. Petit pied de nez fait au peuple, les funérailles du poète ne se feront pas un dimanche, mais un lundi pour éviter de se coltiner tous les “Misérables” qui ont déjà eu la chance de servir de personnages à ses romans.
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D’ailleurs, le trajet du cortège funéraire partira de l’Arc de Triomphe pour ne traverser que les beaux quartiers dont les habitants n’ont pas eu à se cotiser à plusieurs pour se procurer les aventures de Jean Valjean (comme l’avaient fait les ouvriers de l’époque à la sortie des Misérables). C’est moche. Mais ça n’empêchera pas au peuple de prendre part à l’événement. Le jour des funérailles, on loue des balcons, des chaises et des échelles, les gamins s’accrochent aux branches des arbres, dans les boutiques on vire les vitrines et on installe des sièges et des banquettes à prix d’or, c’est simple, on dirait les Parisiens qui louent leur appart’ pendant les JO. Même les escabeaux étaient loués 25 centimes la marche pour observer le linceul du défunt.
La grosse touze
Deux jours avant la cérémonie, tout le monde s’affaire déjà dans les rues, se recueille devant son catafalque. Les hommes boivent et chantent. La fête est de mise. La légende raconte que Paris s’est transformée en partouze géante. C’est pas totalement faux. Victor Hugo était non seulement un fervent défenseur des prostituées (et client assidu) mais il a surtout été le premier à ériger une “asphalteuse” au rang d’héroïne à travers le personnage de Fantine dans Les Misérables, forcée de vendre son corps pour payer la pension de sa fille Cosette chez les Thénardiers.
On dit que les filles de joie auraient proposé leurs services gratuitement en hommage à leur héros entraînant ainsi une grosse baise funéraire. Une légende sympathique mais un peu fantasmée : les prostituées n’avaient pas de raison de bosser gratos, en revanche elles ont bel et bien fait payer leur service tout au long du cortège. Sans compter que de nombreux couples batifolent dans les rues, dans l’espoir que le fruit de leurs ébats portent en son sein un petit bout de l’âme de Victor Hugo. Une sexualité débridée qui sera rapidement qualifiée d’”orgie” dans la presse du lendemain. La police complètement dépassée laisse faire. Victor Hugo jusque dans sa mort unit les pires ennemis.
Franchement ce gars c’était trop un banger.