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Les Fils de Sam : la mince ligne entre « true crime » et histoires d’épouvante
Avant l’arrivée d’internet, c’était correct d’avouer son ignorance à propos d’un sujet donné. Pour récolter de l’information, il fallait se rendre à la bibliothèque pour consulter des ouvrages de référence et des archives journalistiques. Il fallait souvent aussi contacter des experts afin de contextualiser nos apprentissages. Du coup, si on ne voulait pas se farcir tout ce boulot on pouvait juste dire: «je ne sais pas» et passer à autre chose.
C’est beaucoup plus difficile à dire lorsque l’information est gratuite et au bout de nos doigts. En ce sens, l’internet a tué beaucoup de la magie dans ma vie. Par exemple, le site web Snopes débusque la plupart des légendes urbaines ayant bercé votre enfance, du décès de Paul McCartney en 1996 aux théories entourant l’identité de Jack l’Éventreur. On ne sait pas la vérité sur tout, mais c’est possible en tout temps de vérifier ce qu’on sait sur n’importe quel sujet.
Il n’y a que quelques histoires qui résistent aux milliards de tentacules du web et ce ne sont pas toujours celles qu’on souhaite. La série documentaire The Sons of Sam sur Netflix est venue nous rappeler dernièrement que lorsque la lumière n’est pas complètement faite, notre esprit s’emballe et on devient extrêmement vulnérable au pouvoir de suggestion.
L’hypothèse de la série
The Sons of Sam, c’est une minisérie documentaire de quatre épisodes basée sur le travail du journaliste Maury Terry, qui a pour thèse que le tueur en série David Berkowitz n’aurait pas agi seul.
Ça peut sembler loufoque à première vue puisque les meurtres ont tout simplement cessé après l’arrestation de Berkowitz et que ce dernier a carrément avoué ses crimes. 1 + 1 = 2, non? C’est là que l’histoire se complique. Berkowitz affirme que les fils de son voisin Sam (le fameux Sam qui lui ordonnait supposément de tuer) John et Michael Carr étaient membres d’un culte satanique avec lui. Les deux hommes ont chacun connu une fin tragique quelque temps après la condamnation de Berkowitz en mai 1978, via suicide et accident de voiture respectivement.
Berkowitz avait-il encore des alliés en dehors des murs du pénitencier de Shawangunk dans lequel il écoule présentement six sentences à perpétuité ?
La vérité (ou l’absence de)
Si vous souhaitez en savoir plus sur David Berkowitz, il est très facile à trouver.
Ce dernier donne des entrevues à qui veut bien l’entendre depuis quarante ans. Vous pouvez aussi visiter son site web où il partage la parole de Dieu et son histoire de rédemption. Sauf que l’histoire qu’il vous raconte là-bas… elle a changé au fil du temps.
Ce n’est qu’au courant des années 90 qu’il a repris son histoire initiale de possession démoniaque.
Berkowitz a tout d’abord affirmé qu’un démon lui avait ordonné de commettre ces meurtres. C’est là qu’il avait déclaré qu’il y avait « d’autres fils de Sam ». L’année suivant sa condamnation, il a changé son fusil d’épaule en parlant avec un psychiatre. Il avait alors dit qu’il souhaitait simplement se venger d’un monde qui n’avait jamais voulu de lui.
Ce n’est qu’au courant des années 90 qu’il a repris son récit initial de possession démoniaque en affirmant avoir souffert de crises de violences inexpliquées toute sa vie. Bien sûr, il n’y a depuis longtemps plus personne pour confirmer ou démentir ces explications.
Suggestion et manipulation
Bien que les meurtres aient cessé après l’arrestation de David Berkowitz, l’enquête sur ses multiples allégations a suivi son cours. Notamment à propos du meurtre d’Arlis Perry au Dakota du Nord, encore classé comme non résolu aujourd’hui.
C’est ça l’affaire à propos de David Berkowitz et de sa mystique dans les médias, il fait beaucoup d’affirmations irréfutables.
C’est ça l’affaire à propos de David Berkowitz et de sa mystique dans les médias : il fait beaucoup d’affirmations irréfutables. Il prend crédit pour des atrocités pour lesquelles il n’existe aucune preuve de son implication… mais pour lesquelles il n’existe aussi aucune preuve de son absence d’implication. C’est tentant de le croire sur parole, parce qu’il fournit une explication à un phénomène d’une violence horrible et que le cerveau humain est programmé pour trouver des explications. Surtout aux choses qui nous angoissent.
C’est un peu le même phénomène qui a mené à la fameuse satanic panic aux États-Unis quelques années plus tard. En résumé, c’était une panique morale qui avait balayé les États-Unis quelques années après l’arrestation de Berkowitz. Des psychologues et des travailleurs sociaux enquêtant sur une possible affaire d’abus sexuels avaient suggéré à de jeunes enfants un scénario de rituels satanique qui ne s’étaient jamais produits. En fait, lorsqu’on insinue quelque chose avec un potentiel de vérité (ou qui vient s’enraciner dans l’émotion) à une personne crédule (comme un enfant terrifié), celle-ci va déformer ses souvenirs et parfois même ses rêves pour s’y conformer.
À moins qu’une personne avec des informations vérifiables sorte de l’ombre, on ne saura probablement jamais si David Berkowitz racontait la vérité à propos du culte satanique dont il affirme avoir fait partie et ça l’arrange. Dites-vous une chose cependant. Dans l’entrevue d’Inside Edition plus haut dans cet article, Berkowitz avoue avoir lu des ouvrages de psychologie sur les tueurs en série afin de tromper les psychologues et les psychiatres après son arrestation.
On ne saura probablement jamais si David Berkowitz racontait la vérité à propos du culte satanique dont il affirme avoir fait partie et ça l’arrange.
On a pas de preuves non plus qu’il ait arrêté de vouloir manipuler tout le monde. Selon le principe du rasoir d’Ockham, l’explication la plus simple est toujours la bonne. Cette explication-là, on l’a depuis 40 ans, mais on aime ça se raconter des peurs et connecter des événements qui n’ont pas nécessairement rapport ensemble.
On aimait ça avant internet. On aime ça encore aujourd’hui. C’est pas surprenant que The Sons of Sam fasse autant parler d’elle, mais prenez la série comme elle est !