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Les films de superhéroïnes: films de gars ou films de filles? La réponse est ailleurs
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il semble qu’on soit en plein dans la saison des artistes et leurs commentaires controversés quant à la situation du cinéma populaire.
C’est peut-être à cause de Mercure qui rétrograde, parce qu’entre la déclaration de Scorsese que les films de Marvel « ne sont pas du cinéma » jusqu’au commentaire terriblement rétrograde de Todd Phillips qui dit que la « woke culture » a détruit les comédies, on est témoins d’une déferlante de débats instantanés, mais qui n’offrent pas grand-chose en matière de nuance. Parce que ces citations ne font que creuser un fossé superficiel entre les gens autour de films qui devraient, on s’entend, être là pour l’amusement de tous.
On pourrait aussi, je suppose, utiliser ces déclarations comme opportunité de réfléchir sur ce qui se passe en culture. De comprendre d’où viennent ces commentaires et pourquoi le fait de les dire sur la place publique suscite autant d’émotivité.
C’est un peu ce que j’ai fait avec Elizabeth Banks et son Charlie’s Angels. À première vue, sa déclaration que les films de Marvel et de DC avec des protagonistes féminins sont des succès commerciaux parce que : « They’ll go and see a comic book movie with Wonder Woman and Captain Marvel because that’s a male genre » m’a vraiment shook parce qu’il aborde le problème épineux des genres cinématographiques genrés.
Ce type de déclaration tranche malhabilement, comme si le cinéma pouvait se diviser en films de « gars » et films de « fille », idée à laquelle je n’adhère pas du tout. Mais parce que je voulais comprendre ce qui se cachait derrière cette prise de position, je suis allé voir le film, cette nouvelle itération de la télésérie des années 70 et j’ai tout de suite compris le fondement de ses déclarations sur le cinéma féministe des dernières années.
«Girl I didn’t know you could get down like that»
Honnêtement, on n’a pas à chercher très loin parce que dès la première image du film, on ouvre sur un plan rapproché sur le visage impassible de Kristen Stewart qui déclare : « I believe a woman can do anything » et aussitôt le bal est lancé.
Quelques plans plus loin, Sabine (le personnage de Stewart) ajoute que ça prend à un homme sept secondes de plus pour considérer une femme (en comparaison à un homme) comme une menace. Et sur ces paroles, on comprend entièrement la raison d’être de ce film. Charlie’s Angels existe dans l’espace de ce sept secondes, ce moment qu’il nous faut pour comprendre qu’on n’est pas en train de voir un film qui exploite l’image de la femme, mais plutôt un film qui va nous montrer que ces femmes sont fortes et qu’elles peuvent renverser le statu quo.
Dès la première image du film, on ouvre sur un plan rapproché sur le visage impassible de Kristen Stewart qui déclare : «I believe a woman can do anything».
Impossible de l’ignorer, Charlie’s Angels est un film féministe as fuck. Si Robocop est un film qui calomnie le corporatisme et si Fight Club critique de manière acerbe le consumérisme, le Charlie’s Angels d’Elizabeth Banks est un film dans lequel le véritable vilain est le patriarcat dans toutes ses formes. Que ce soit l’assassin glacial au style hipster idéalisé, un fuckboi puissance mille et son patron douche de startup imbécile et mansplaineux, les forces du mal dans Charlie’s Angels sont des privilèges masculins sur pattes qui empêchent les femmes de s’accomplir. Et le fait qu’un des méchants du film se nomme Flemming ne laisse aucun doute quant à l’opinion de Banks sur la masculinité toxique de James Bond.
«Don’t call me angel, I don’t like that… boy. Do I really need to say it?»
Alors, comment est-ce-qu’on peut opposer les films féministes de Banks et ceux de Marvel et DC? Je crois que malgré que ces films aient tous l’égalité homme/femme comme préoccupation, les protagonistes féminines des films de superhéros existent dans un genre d’exception que l’on ne voit pas dans Charlie’s Angels. Parce que Captain Marvel et Wonder Woman sont des femmes uniques, des choisies, des élues. Elles existent comme des exceptions dans le monde, mais Charlie’s Angels est à propos de toutes les femmes. Banks le dit elle-même : « I wanted to make a movie about women at work » et le film le démontre explicitement à plusieurs occasions. Les génériques de début et de fin sont des montages de femmes, toutes les femmes, qui pratiquent ce qui leur fait plaisir. Charlie’s Angels est donc un film qui tente d’universaliser les propos des films de superhéros, il n’existe pas que quelques femmes fortes et spectaculaires, toutes les femmes le sont.
«I make the money and I sign the check, so say my name with a little respect.»
Les déclarations de Banks, souvent cadrées pour faire comprendre que le film n’a pas récolté un succès commercial considérable (un « flop » de 55 millions de dollars sur un budget de 48 millions, ça me semble pas si désolant que ça) nous montre comment le box-office devient une préoccupation d’autant plus importante quand on parle d’un film qui met en scène la diversité.
Les films avec des protagonistes féminins doivent surperformer pour être considérés (c’est un peu ça la réalités des femmes en général, on leur demande souvent d’être exponentiellement supérieures à leur contrepartie masculine avant d’être remarquées). Le trouble réside aussi dans le fait que les films avec des femmes en rôle-titre se font imposer le fardeau de la réussite exceptionnelle de leur film. Il existe une forme de mépris structurel pour les films de genre pilotés par des femmes.
Même des titres d’articles comme : Why Charlie’s Angels needs to be a box-office smash, ne font qu’empirer l’impression que quand un film met une femme en tête d’affiche, ce film est bien mieux de performer sinon c’est le cinéma avec des femmes au complet qui est en danger. C’est irresponsable d’agir de cette manière et ça crée des dangereux précédents qui ne font qu’amoindrir la qualité du cinéma de genre.
Les films avec des protagonistes féminins doivent surperformer pour être considérés (c’est un peu ça la réalités des femmes en général, on leur demande souvent d’être exponentiellement supérieures à leur contrepartie masculine avant d’être remarquées).
Encore une fois, les commentaires de Banks soulignent des incohérences face à notre discours sur les films qui présentent des femmes fortes. S’ils ne font pas une montagne d’argent, ils sont inconséquents. Mais on sait que c’est faux, malgré que l’aspect mercantile ne soit pas négligeable dans notre écosystème culturel, les films comme Charlie’s Angels sont importants, car ils existent dans un contexte où l’on ne fait pas assez de ces genres de films. Ils doivent exister pour montrer aux femmes (et aux hommes) l’exceptionnalité de toutes les femmes.
Et c’est dans cela que réside l’intérêt des propos de Banks, dans une conversation plus grande sur les inégalités perçues dans un système qui défavorise les voix féminines. Parce qu’honnêtement, si la pression de la surperformance n’avait pas été imposée sur le film par un comparatisme avec les méga-succès de Warner et Disney, on aurait sans doute fait une place à Charlie’s Angels dans les films à voir en 2019 et non pas à cause des propos de l’autrice sur Twitter, mais sur les qualités du film lui-même.
Comme le dit Banks, elle-même : « I’m proud of #CharliesAngels and happy it’s in the world. »
PS: J’ai écouté la trame sonore du film pendant que j’écrivais ceci et je dois admettre qu’elle est vraiment bonne.