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Les films biographiques de personnes encore vivantes sont-ils éthiques ?

Quand la vie des autres devient un terrain de jeu créatif.

Par
Malia Kounkou
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« Je ne suis pas morte », rappelle la chanteuse Britney Spears, trois points d’exclamation à la clé, dans une publication Instagram de mardi dernier. Loin de simplement nous confirmer le bon fonctionnement de ses poumons, ce message est plutôt une réponse directe à une déclaration faite par l’actrice vedette de la série Stranger Things, Millie Bobby Brown. De passage au Drew Barrymore Show, la jeune femme confessera en effet vouloir incarner une personne réelle à l’écran, et plus spécifiquement Britney Spears.

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« Je pense que son histoire, tout d’abord, résonne en moi, explique-t-elle. Juste en grandissant sous les yeux du public, en regardant ses vidéos, en regardant des interviews d’elle quand elle était plus jeune […], j’ai l’impression que je pourrais raconter son histoire de la bonne manière […]. » Mais à en croire la réponse récente de la chanteuse, le projet ne risque pas de voir le jour de sitôt.

Et ce n’est pas la première fois que le sujet du biopic (film biographique) fait débat. Précédemment, nous avions décortiqué Blonde, cette œuvre ambivalente et sujette à débat qui réinvente à moitié la vie de l’icône défunte Marilyn Monroe. Et lorsque la vedette du film est vivante, les mêmes enjeux éthiques remontent en surface, mais avec une particularité nouvelle : celle de l’impuissance du sujet face à l’instrumentalisation en temps réel de sa vie.

se faire exclure de sa propre histoire

Le processus de dépossession commence le plus souvent avant que le tournage ne débute, les personnalités au centre de ces biopics étant complètement mises de côté au moment de l’écriture. Cela a été le cas avec le film Aline, qui retrace la vie de la chanteuse Céline Dion, ou encore avec le drame biographique House Of Gucci, qui revient sur le meurtre de Maurizio Gucci, héritier du fondateur de la marque de luxe italienne. Dans les deux cas, les familles se plaignent de ne jamais avoir été consultées par les réalisatrices et réalisateurs pourtant occupés à adapter leurs vies. « [Valérie Lemercier] s’est payée un méchant trip sur le dos de la vie de Céline », lance même à La Semaine des 4 Julie Claudette Dion, la marraine de la chanteuse, à propos de l’actrice et réalisatrice d’Aline.

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Pour le drame historique Winnie focalisé sur la vie de Winnie Madikizela-Mandela, épouse de la figure sud-africaine antiapartheid Nelson Mandela, l’indélicatesse monte d’un cran. Lorsque l’actrice censée jouer Winnie Madikizela-Mandela émet le souhait de s’entretenir avec elle afin d’étoffer son personnage, les réalisateurs refusent par crainte que cela ne la distraie. Résultat : Winnie Madikizela-Mandela menace la production de poursuite judiciaire puis qualifie le projet d’insulte chez CNN. « Je n’ai absolument rien contre Jennifer [Hudson], mais j’ai tout contre le film lui-même, commente-t-elle. Je suis toujours en vie, et je pense que c’est un manque total de respect […]. »

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Une vie étrangère

Et la conséquence inévitable de cette mise à l’écart des premier.ère.s concerné.e.s est une histoire romancée de bout en bout. Ainsi, pour des raisons esthétique, sensationnalistes ou simplement pratiques, certains éléments de vie se retrouvent grossis, minimisés ou complètement inventés.

« Faire un film, c’est aussi faire un choix. »

« Écrire du code, puis créer un produit et créer une entreprise n’est pas une chose assez glamour pour en faire un film, vous pouvez donc imaginer que pour beaucoup de ces choses, ils ont dû embellir ou inventer », commente ainsi lors d’un question-réponse Mark Zuckerberg, cofondateur de Facebook, à propos du biopic The Social Network qu’il dit avoir effacé de son esprit.

Le même problème sera soulevé chez Aline après que le film ait changé des clés de la vie de Céline, concentré tous les frères de la star en un seul acteur et improvisé certaines dynamiques familiales au sein du clan Dion. « Je trouve que c’est un manque de recherche, estime Claudette Dion au micro de l’émission Toujours le matin. Pourquoi avoir réinventé l’histoire ? »

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Ce à quoi répond Valérie Lemercier dans le journal Le Parisien : « Faire un film, c’est aussi faire un choix. » Invité à l’émission Sur le vif, l’acteur Sylvain Marcel, également présent dans le film, renchérit en précisant qu’Aline, bien que basée sur la vie de Céline, n’est pas un biopic et peut donc se permettre de ne pas suivre son parcours à la lettre ou d’incorporer de la métaphore. « Au début du film, c’est écrit : “Ceci est une fiction librement inspirée de la vie de Céline”, donc, si on ne peut pas faire la part des choses […], on ne peut pas être responsable de ces choses-là », déplore-t-il.

Toutefois, malgré que la part d’imaginaire soit précisée à l’écran, les risques sont grands pour que dans ce mélange de vrai et de faux, le public croie à tout, faute de ne pouvoir faire la différence, « surtout lorsque c’est présenté comme une histoire vraie », souligne ainsi Katherine Hennessey dans Prindle Post. Beaucoup de libertés sont prises au nom de l’art, et parmi elles, celles d’un remodelage au complet d’une personne réelle et de son existence, y compris ses moments de noirceur.

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Traumatisme renouvelé

Et quoi de mieux pour l’illustrer que le biopic Pam & Tommy. Produit par Disney+, ce film offre un retour sur le vol et la divulgation de la sextape de lune de miel de l’actrice américaine Pamela Anderson et de son compagnon Tommy Lee. Précision cruciale : la sextape en question est reproduite à l’écran au détail près.

Dès le premier jour, Pamela Anderson s’oppose à ce projet qui représente à lui seul une période de violation d’intimité dont même la justice américaine n’a pas pu la protéger. « Le tribunal a décidé que [la sextape] n’était pas une propriété privée parce que son corps appartenait au monde », témoigne en son nom une source chez Entertainment Weekly, Pamela Anderson refusant apparemment de regarder ne serait-ce que la bande-annonce de Pam & Tommy. « Imaginez si une célébrité d’aujourd’hui avait divulgué ses nudes et qu’Hollywood recréait non seulement le crime, mais aussi les vraies nudes — cela ne se produirait jamais. »

« J’étais gênée par la lumière dans laquelle ils m’ont mise… J’ai pleuré pendant deux semaines et puis… je pleure encore parfois. »

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Même Britney Spears semble dubitative face aux nombreux projets biographiques la mettant au centre, quand bien même seraient-ils présentés comme une réhabilitation de sa personne. La chanteuse ayant été exploitée dès son plus jeune âge par sa famille, par l’industrie et par les tabloïds, la récente rafale de documentaires à son sujet — Framing Britney Spears, Controlling Britney Spears et Toxic: Britney Spears’ Battle For Freedom pour n’en citer que quelques-uns — semble être vécue comme une prolongation de cette exploitation.

« J’étais gênée par la lumière dans laquelle ils m’ont mise… J’ai pleuré pendant deux semaines et puis… je pleure encore parfois », dira-t-elle dans une publication Instagram supprimée à propos d’eux avant d’ajouter, dans une autre encore : « J’essaie vraiment de me dissocier du scandale !!! Numéro un… c’est le passé !!! »

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Trouver un compromis

La solution semble être de faire des biopics un projet collaboratif plutôt qu’une œuvre coupée de sa matière première : le sujet. Ainsi, le film biographique passe du statut de « spectacle public » à celui de production morale. La preuve en est avec le film Lion, qui suit le retour aux racines de Saroo Brierley, un jeune indien adopté par un couple d’Australiens. « [Nicole Kidman] a pris le temps de voir ma mère adoptive et de lui parler de ces moments charnières », encense-t-il autant l’actrice que le film en lui-même. « Elle personnifiait ma mère; c’était parfait. »

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Mais le summum de la réussite semble avoir été atteint lorsqu’Elton John a été aux manettes du film de sa propre vie, Rocketman. Cela lui a permis de livrer un biopic qui n’a rien édulcoré : ni ses dépendances ni sa sexualité. « [Le film] était comme ma vie : chaotique, drôle, fou, horrible, brillant et sombre », se réjouit-il dans The Guardian avant de définir l’équilibre auquel, finalement, un parfait biopic doit aspirer. « Tout n’est évidemment pas vrai, mais c’est la vérité. »