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Les éditions Stone Marten : « Pour donner une voix à celles et ceux qui n’en ont pas »

Entrevue avec Anaïs Turhan alias Stone Marten, autrice et éditrice engagée.

Par
Daisy Le Corre
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Tout a commencé par un mail, comme souvent. On en reçoit un paquet chaque jour, mais certains retiennent plus notre attention que d’autres. La magie a opéré avec le message d’Anaïs Turhan, plus connue sous le nom de Stone Marten sur les réseaux. « J’ai 35 ans, 3 enfants âgés de 7 ans, 4 ans et 3 ans. Je suis une gosse d’ouvrier et d’agent hospitalier, qui a grandi sur une péniche puis à la campagne. Je fais partie des invisibles, de ces gens de la France d’en bas, de ces mères au foyer aussi qui n’intéressent personne. » Pourtant nous, elle nous intéresse son histoire, et celle de sa toute nouvelle maison d’édition aussi. Alors on l’a contactée.

« C’est un projet social, féministe et féminin les éditions Stone Marten », résume la trentenaire, bien décidée à faire bouger les lignes de la littérature jeunesse et de la société. Mais avant d’avoir le courage et l’audace de se lancer en autodidacte dans le milieu de l’édition, elle a dû mettre ses rêves d’enfant de côté et faire comme tout le monde (ou presque) : métro-boulot-dodo. Après avoir enchaîné plusieurs jobs « qui ne faisaient aucun sens », elle a fini par jeter l’éponge. « Je ne ressentais rien en exerçant ces métiers, j’étais vide. Ça me bouffait. Et en juillet 2021, j’ai fini par m’écrouler physiquement et psychologiquement et j’ai été mise en arrêt pour dépression par mon médecin traitant. J’étais au bout de ma vie », raconte celle qui, quelques mois avant, avait pourtant eu une “idée folle” mais salvatrice. « Ouvrir ma propre maison d’édition pour donner une voix à celles et ceux qui n’en ont pas. »

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Des familles homoparentales et monoparentales à l’honneur

C’est son amie Alexandra Bitouzet, auteure elle aussi, qui l’a poussée à franchir le cap et à croire en elle, tout comme son illustratrice Orlane Elliot. Et puis l’inspiration est venue sans prévenir. « Un matin après avoir déposé mes enfants à l’école, je suis partie marcher dans un parc. J’étais seule et dans ma tête, une histoire pour enfants a commencé à naître… Une histoire d’enfants qui ont des rêves auxquels aucun adulte ne croit », raconte Stone qui s’apprête à sortir Deva et la lune contrariée dans le courant du mois de novembre. Deva a deux papas mais ce n’est pas le sujet principal de l’histoire, cela va de soi. « Cette histoire sera surtout, je l’espère, la première d’une longue collection intitulée “Histoire du soir pour les enfants particuliers”. Cette collection a pour but de mettre en avant des enfants trop peu représentés dans la littérature jeunesse. Qu’il s’agisse d’enfants issus de familles homoparentales, monoparentales, d’enfants porteurs d’un handicap, malades, d’enfants en questionnement sur leur identité… Par la suite, j’aimerais que les Éditions Stone Marten publient des auteur.e.s laissé.e.s de côté car pas assez vendeurs pour les médias », explique la jeune femme qui cherche à viser le public le plus large possible. « Mes livres sont une façon de faire tomber les barrières et d’ouvrir les esprits. Il est temps. »

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Ce qui la motive au quotidien ? L’idée que ses enfants ne grandissent pas dans la même société qu’elle. « Je veux que, si un jour mon fils se rend compte qu’il est homo, qu’il se sente représenté dès maintenant. Moi, en tant que bisexuelle, j’aurais rêvé de pouvoir lire ce genre d’histoires. Mais à mon époque, ça n’existait pas les héroïnes qui pouvaient aimer à la fois les garçons et les filles, ou juste les filles tout court. Tout était très normé ! Et ça l’est encore. Il faut que ça change », confie Stone qui a aussi écrit une série littéraire sur une histoire d’amour entre deux femmes.

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« Je me souviens qu’à un moment, je me suis dit : “Merde, il y a un truc qui cloche chez moi : j’aime autant les hommes que les femmes physiquement, amoureusement, sexuellement… Je ne fais aucune différence.” Mais ça ne devrait pas clocher ni être un problème ! Voilà pourquoi je veux que les choses changent pour les futures générations, et ça passe par la littérature jeunesse, entre autres. Le meilleur moyen de révolutionner les moeurs, c’est de s’adresser directement aux enfants, d’où l’intérêt de lancer ma propre maison d’édition ».

Malgré tout, Stone n’est pas dupe et sait que la concurrence est rude voire même déloyale. « En ce moment, il y a de plus en plus de mecs qui jouent sur la corde féministe pour se créer une visibilité. Ils font de littérature jeunesse et ne se gênent pas pour pomper leurs idées à des femmes, je pense notamment à des petits dessins féministes qui ont été partagés des milliers de fois et ce sont eux qui en tirent profit. Ils ont fait le buzz grâce à d’autres. Il va falloir que ça s’arrête », lance celle qui ne se prive pas d’utiliser ses réseaux pour les dénoncer.

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En avant les histoires non genrées

Pour la suite, Stone a déjà des histoires plein la tête à commencer par celle de 2 enfants non genrés. « Pour qu’on ne sache jamais s’il s’agit de filles ou de garçons, parce qu’on s’en fiche de savoir ce qu’il y a dans leurs pantalons. Et puis l’un.e vient d’une famille homo, et l’autre d’une famille mono. Le pitch ? C’est l’histoire de 2 enfants qui veulent voler mais les adultes n’arrêtent pas de les en dissuader… Entre les lignes, c’est un conte philosophique sur la différence et sur la manière dont les adultes traitent ces différences dans notre société. »

À terme, Stone espère surtout pouvoir mettre en lumière de nombreuses autrices et illustratrices qui méritent d’être (re)connues. « Mais aussi donner une chance aux femmes qui en chient au quotidien, comme mes amies monoparentales, entre autres. Elles sont invisibilisées, et je veux leur faire de la place, leur redonner une voix, ou juste leur filer un CDI avec des horaires flexibles, adaptés à leur réalité. Au-delà d’un projet de vie, c’est vraiment un projet social les éditions Stone Marten. Parce que plus les années passent, plus mon féminisme s’exacerbe, et ça va continuer. » Longue vie aux éditions Stone Marten.

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