Logo

Les drag-queens sont-elles les nouveaux super-héros ?

Publicité

Lorsque Kitty Space apparaît en super-héroïne sur le runway de Drag Race France, son look enflammé de Farty Spice interpelle : les drag-queens seraient-elles des super-héroïnes ? Celle qui s’en inspire dans son esthétique (« J’adore Barbarella, son côté vintage… ») arbore assez souvent une ceinture fétiche comme un super-héros une amulette.

Le sujet de l’interview n’étonne pas Minima Gesté, reine du bingo drag de La Folie, qui cite Paloma, la première gagnante de l’émission de France 2 : « On est un petit peu les super-héros, les super-héroïnes de nos jours ». De plus, les habits de la reine du bingo se doivent d’être emblématiques : « Comme les super-héros, notre but est d’être visibles, exubérantes et hors du commun. »

Et qui dit look dit métamorphose. « Superman, ça lui prend deux secondes pour se changer dans la cabine téléphonique. Moi, il me faut deux heures. Heureusement que je ne sauve pas des gens dans l’immeuble en feu ! », ironise La Briochée, première femme transgenre de la compétition du service public.

Publicité

La Big Bertha, sa camarade de la saison 1, renchérit : « Nous, il y a des kilos de paillettes et de make-up… Ce n’est pas Wonder Woman qui tourne sur elle-même et paf c’est fait ! Mais le process de transformation est bien celui d’une super-héroïne. »

Kitty Space en Farty Spice, super-héroïne « qui a toujours le feu au cul et qui vient péter sur les homophobes et les racistes.» Photo par Jean Ranobrac.
Kitty Space en Farty Spice, super-héroïne « qui a toujours le feu au cul et qui vient péter sur les homophobes et les racistes.» Photo par Jean Ranobrac.

« On a besoin de super-héroïnes comme les drags »

Et même si « la thématique de super-héros est hyper méga genrée », la comparaison avec les drag-queens ne choque pas non plus la charismatique Bertha : « Hier, une petite gamine m’a posé des questions en m’appelant “la princesse Bertha” et a fini par parler de super-héros. C’est hyper touchant parce que tu fais bouger les mentalités. C’est ça aussi les devoirs d’une drag : défendre, protéger, évoluer. Les drag-queens sont de plus en plus visibles parce qu’on a besoin de super-héroïnes comme elles pour aborder des sujets que d’autres personnes n’ont pas forcément le courage ou le cran de faire de leur côté. »

Publicité

Et dans ses adversaires, Bertha identifie la grossophobie. « Je vais faire un numéro qui va parler de mon histoire et qui peut être attaché à des problématiques sociétales. C’est les gens qui me disent : « Ça m’a fait du bien de voir ton numéro, parce que grâce à toi, je suis allé à la piscine torse nu.” Je suis alors d’une fierté extrême, ça me donne plus envie de libérer ces gens. Maintenant que j’ai transformé mon plus gros complexe en atout, je me dis : “J’y suis arrivé, donc tu peux le faire. Ne sois pas seul. On est dans le même bateau et je vais te donner des clés pour te sortir de ça.” Ils sont passés par où je suis passé ; je sais l’enfer que c’est. Le personnage de Bertha peut alors être pris comme une super-héroïne, mais moi, je ne me prends pas pour une super-héroïne. »

En civil ou en drag, les questions d’identité inhérentes à la transformation taraudent donc autant les queens que Bruce Wayne : « En Bertha, je me sens bien plus fort qu’en Loïc. J’ai un personnage conquérant. Bertha et Loïc, c’est deux choses différentes ; même si elles sont de plus en plus proches. » « Les super-héros ont des pseudonymes, nous aussi. », reconnaît Minima même si « se montrer out of drag n’est pas une identité secrète, c’est une identité différente de celle quand on est en drag. Pour la majorité, notre personnalité va pas changer, on est les mêmes avec des côtés exacerbés. »

« Quand je me balade dans la rue, personne me reconnaît en civil »

Publicité

Pour Kitty Space, l’émotion se devine au moment d’évoquer le sujet : « Pour qu’il y ait une drag-queen super-héroïne, il faut qu’il y ait derrière un civil super-héros. Je veux qu’Antoine reste l’identité principale de Kitty, car il a quitté son métier pour elle. » Elle relève des paradoxes : « Aujourd’hui, Antoine devient un super-héros, dans le sens où Kitty l’a appris à s’aimer, même si j’ai l’impression qu’Antoine se cache de plus en plus derrière elle… Elle m’a aidé à m’assumer, à accepter mon corps de garçon. Elle m’aide à extérioriser tout ce que j’ai besoin de dire, comme mon viol que j’avais caché à mes proches. » Puis elle analyse l’image du héros confronté à ses démons : « Kitty pourrait être une super-méchante en prenant trop le dessus sur Antoine. Les gens m’appellent Kitty même quand je suis en civil… Il y a des super-héros qui tournent mal : Antoine doit faire attention. Parce que je n’ai pas envie qu’on l’oublie, parce que Kitty n’existerait pas sans lui. Il ne faut pas qu’elle prenne trop le dessus sur qui je suis, moi. »

La Big Bertha en Mylène Farmer, photo par Alex Gallosi.
La Big Bertha en Mylène Farmer, photo par Alex Gallosi.
Publicité

« Ce n’est pas compliqué : quand je me balade dans la rue, personne me reconnaît en civil, avoue La Briochée. Les gens ont l’habitude que ce soit des hommes qui deviennent des drag-queens. Finalement, c’est le manque de représentation de femmes drag-queens qui me crée cette “identité”. » Et si elle est sensible aux X-Men pour « les points communs avec les personnes queers ou racisées ; toutes celles sujettes à discrimination », la créature chantante du Cabaret de Madame Arthur aime surtout les super-héros pour leurs méchants et leur complexité. Un personnage l’a particulièrement marquée : « Baby Doll, l’un des super-vilains de Batman, atteinte d’une maladie qui l’empêche de grandir et qui fait qu’elle en devient folle. Elle ne sait pas comment gérer le fait d’être prisonnière d’un corps qu’elle ne veut pas. Il y a des choses dans lesquelles je me suis reconnue. Je comprends ce que c’est que de ne pas se sentir bien dans son corps, au point d’avoir l’impression de virer folle, de se sentir seule et isolée dans ce ressenti et de se demander “Pourquoi moi ?” »

« Chaque coming-out est une vie sauvée »

Publicité

Super-héros ou superdrags, les parcours de vie ont souvent été semés d’épreuves. « J’ai été orphelin, précise Kitty. Et même si j’ai été accepté par ma famille, je me suis senti à l’écart indirectement : quand tu es enfant, être asiatique avec que des blancs autour, tu te dis “Qu’est-ce que je fous là ?” Puis quand j’ai appris que j’étais adopté, j’ai eu l’impression d’avoir été écarté de ma mère biologique. Ensuite, je me suis senti marginalisé par la famille moins proche parce que j’étais homosexuel. Enfin, quand j’ai commencé le drag… J’en ai souffert, mais j’ai décidé d’en faire une force. »

C’est parce qu’elle a déjà reçu un message qui lui disait « J’aurais aimé que Bertha soit ma super-héroïne dans la cour d’école pour me défendre » que la queen révèle : « Plus jeune, j’aurais adoré avoir une super-héroïne comme Bertha qui m’aurait dit : “Vas-y, tu peux le faire, tu peux éclater tes détracteurs.” Mais c’est aussi parce que j’ai pris cher que j’en suis arrivé là. »

Les drag-queens sauveraient-elles des vies ? C’est ce que suggère La Briochée quand elle évoque des messages qui lui disent « Grâce à toi, j’ai fait mon coming-out » : « Chaque coming-out est une vie sauvée. Vivre pour soi-même et se révéler au monde tel qu’on est, c’est une vie sauvée. » Même si pour elle, les drames ne doivent pas définir une super-héroïne : « Être entourée d’amour et soutenue, c’est hyper inspirant aussi. Je ne cherche pas à invisibiliser les histoires tragiques, mais on les connaît. Il est temps de montrer l’autre pendant des personnes queers, car c’est encore plus important de raconter une vie sans drame. »

Publicité

D’autres réactions du public donnent aux queens l’impression d’être des super-héroïnes : « Le week-end dernier, des meufs avaient fait Lyon-Rouen en bagnole pour voir des drags qu’elles avaient déjà vues, s’étonne Minima. On a encore du mal à comprendre ce sentiment d’idole. À l’intérieur de nous, on n’est personne. On a ce côté “je ne fais que mon devoir” comme les super-héros. C’est peut-être parce qu’on incarne pour certaines personnes des libertés qu’elles n’osent pas prendre pour elles. »

Minima découvre les aventures de Fusion Man, super-héro LGBT français.
Minima découvre les aventures de Fusion Man, super-héro LGBT français.
Publicité

Drag-queens vs. Réacs

Kitty, la première queen asiatique de Drag Race France voudrait utiliser sa récente médiatisation comme d’un super-pouvoir : « Il faut changer les mentalités vis-à-vis du racisme banalisé envers les Asiatiques. Il a quatre jours, je me suis encore fait appeler Pikachu… On me dit “c’est pas grave, c’est drôle”, mais ce n’est pas drôle. » « Les drag-queens sont là pour faire réfléchir, pour éduquer, considère Bertha. Comme La Briochée ou Moon qui font beaucoup de bien à l’ouverture d’esprit par rapport à la réalité des transgenres. »

Les drag-queens sont historiquement des défenseuses des droits et de la justice sociale, rappelle La Briochée : « Elles ont toujours été en première ligne des combats des causes LGBTQIA+. Marsha P. Johnson, c’est clairement une super-héroïne. » Et contre qui luttent-elles aujourd’hui ? « Les réacs. En ce moment ils ne s’attaquent plus directement aux personnes gays ou queers, mais à nous, car on a envahi un peu leur espace médiatique. Ils cherchent le moindre de nos événements pour donner l’impression qu’ils sont juste contre les drags. Ça leur permet de cacher leur homophobie et ils savent bien qu’ils vont ainsi atteindre la communauté queer. Qu’est ce qu’on fait quand on veut renverser des choses ? On s’attaque aux symboles. Nous, les drags, on est clairement les symboles les plus visibles de la communauté queer. »

Publicité

La Big Bertha considère, elle, que les forces du mal sont diverses : « Le patriarcat, la gentrification, la colorimétrie imposée… Le bleu pour les garçons, le rose pour les filles. On lutte pour… Je ne vais pas dire tolérance : je déteste qu’on dise qu’on me tolère, je préfère qu’on m’accepte. » Minima Gesté pointe la lutte contre l’ignorance et les phobies : « Homophobies, transphobies et toutes autres phobies qui viennent de la non-connaissance du sujet et donc de la peur. » Elle ajoute que c’est en s’affichant publiquement que les drags bataillent : « C’est notre moyen le plus facile de le faire, mais non pas notre meilleur moyen ».

La Briochée photographiée par Uta Valentine.
La Briochée photographiée par Uta Valentine.
Publicité

Les drags ont aussi leur groupe d’Avengers

Parce que Minima regrette que toutes les drags ne soutiennent pas frontalement des causes : « Il y a souvent peu d’engagement dans leurs shows et 14 milliards de stories. L’engagement va être par ricochet, de par leur visibilité et apparence féminine. Elles ne vont pas chercher des causes à combattre. » Un peu comme si un super-héros luttait seulement contre les menaces immédiates, mais pas contre les causes. Et d’ajouter : « C’est curatif plus que préventif. Les drags, il y en a peu qui frontalement vont dire “accueillons tous les immigrés” ou être contre les lois transphobes. Mais par les shows et leur visibilité, ça aide quand même, par répercussion. »

Pour militer, les armes sont nombreuses. « Avec des performances, Instagram, des interviews », explique Kitty. Bertha la rejoint : « Les médias restent le premier outil pour toucher les gens. Plus on est visibles, plus on est acceptées. Et l’art drag est en train de se transformer en art populaire parce qu’il y a ce besoin basique de sortir les gens de leur réalité, de leur offrir un moment de bien-être ou de réflexion. »

Publicité

Comme les Avengers, les drag-queens conquièrent tous les écrans. « Paloma se retrouve dans un spin-off de The Walking Dead, se réjouit Minima. Drag Race France a créé un groupe de drag-queens comme les Avengers, mais aussi un Iron Man, un Thor, avec chacun leur fanbase et puissance. Ils l’ont en groupe aussi, mais surtout de façon individuelle. »

Capable de citer nombre de drags dans les jeux-vidéo (Kuja dans Final Fantasy IX, Lippoutou dans Pokémon) et ayant prêté sa voix aux Transformers et à The Witcher, La Briochée est persuadée que l’impact culturel actuel n’a rien d’anodin : « Lady Gaga ou Bowie, on est entourés de super-héros et de drag-queens depuis la nuit des temps. On est dans un apport de créativité, un élan de flamboyance, qui fait sacrément plaisir. Parce qu’on peut aborder des sujets sérieux sans se prendre au sérieux. Avec le confinement, on s’est rendu compte qu’on avait envie de faire la fête. Et je trouve que c’est inspirant ce qui est en train de revenir. »

Publicité