« Ces photos qui font peur », titrait le Paris Match la semaine dernière. En fait, s’il y a quelque chose d’épouvantable dans ces photos, c’est surtout leur qualité : floues et prises de tellement loin que la distance entre le paparazzi et la star doit sûrement se compter en kilomètres. Pour le reste, on y aperçoit Céline Dion en train d’accompagner ses enfants chez le dentiste, masquée, affichant une repousse grise. Pas de quoi appeler sa mère. Et pourtant, le magazine en a fait sa couverture, évoquant l’épouvante.
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À 53 ans, et si on en croit le vocabulaire du magazine, Céline aurait donc osé sortir de chez elle sans être passée chez le coiffeur. Il y a quelques années, une « étude scientifique » attestait qu’à 56 ans, l’acteur George Clooney était « le plus bel homme du monde ». Ses cheveux gris et sa barbe poivre et sel ne lui ont pas valu l’opprobre de la presse à potins, semble-t-il.
Bien sûr, la première est une femme et le second, un homme.
La vieillesse au féminin, un tabou
Un double standard constitue le fait de juger deux entités analogues selon des règles différentes. Et il semble que les signes de vieillissement soient (encore) plus facilement acceptés lorsqu’ils apparaissent sur le corps d’un homme que sur celui d’une femme. En novembre 2021, l’actrice Sarah Jessica Parker avait également fait les manchettes en raison de sa repousse de cheveux gris. On pensait être passé à autre chose, mais non.
« C’est vu comme courageux pour un homme de s’afficher avec une femme plus vieille que lui, ou aux cheveux gris, alors qu’une femme plus jeune peut apparaître avec un homme à la barbe grise sans craindre que quiconque la trouve si brave de tenir la main d’un homme qui peut obtenir un rabais sur son café grâce à son âge vénérable/vénéré », soutient avec humour l’autrice et codirectrice du site Nouvelles Intimes Mélodie Nelson.
« Dans la culture populaire, la seule manière de vieillir pour une femme, c’est de ne pas vieillir. »
Comme si, à partir de la cinquantaine, la société imposait aux femmes une certaine désuétude. « Dans la culture populaire, la seule manière de vieillir pour une femme, c’est de ne pas vieillir », estime Sandrine Galand. Titulaire d’un doctorat et autrice du livre Le féminisme pop, la chercheuse s’intéresse à la représentation du corps des femmes dans la sphère publique depuis des années. Et d’après elle, les repousses grises de Céline ne sont pas anodines.
« Les personnalités publiques jouent un rôle incroyable dans notre propre manière d’être en tant qu’individu, surtout lorsqu’on est fan », croit-elle. L’apparition de Céline pourrait donc normaliser une représentation de la femme plus âgée trop souvent stigmatisée.
Moins pire, le Québec ?
Est-ce donc si terrible d’être une femme vieillissante dans l’industrie musicale? C’est la question que nous avons posée à Shirley Théroux, 76 ans, qui évolue dans le milieu musical québécois depuis les années 1960. La dynamique chanteuse et animatrice ne voit manifestement pas la vieillesse du même œil que les rédacteurs et rédactrices du Paris Match.
« C’est formidable pour moi de vieillir en tant que femme ! Vieillir, c’est beau. Il faut arrêter d’en parler comme si c’était épouvantable », croit-elle. Elle s’estime chanceuse de n’avoir jamais entendu de commentaires désobligeants concernant son âge. « Il y a peut-être des gens qui l’ont dit dans mon dos. Mais si on me critiquait pour mon âge, je crois que je partirais à rire », rigole la chanteuse qui compose et qui peint encore. Comme quoi l’âge n’est pas un frein à une carrière épanouie et ne devrait pas être considéré comme tel.
« Je pense que le Québec n’a jamais entretenu un rapport aussi malsain et pervers que la France par rapport au corps des femmes. »
Il faut également dire que les cheveux de Céline n’ont pas suscité le même tollé au Québec qu’en Europe, ce qui n’étonne pas Mélodie Nelson. « Je pense que le Québec n’a jamais entretenu un rapport aussi malsain et pervers que la France par rapport au corps des femmes. En France, les commentaires machistes semblent plus affirmés et acceptés socialement », se désole-t-elle.
Shirley Théroux abonde dans le même sens. « Les artistes à l’international adorent venir chez nous parce que le public québécois est tellement respectueux, on a vraiment un public en or », raconte-t-elle, la voix pleine d’affection.
Un « scandale » révélateur
Au-delà d’un énième supposé scandale créé par la presse à potin, l’histoire des cheveux gris de Céline symbolise peut-être quelque chose de plus profond.
« Depuis la mort de René, Céline se caractérise par son extravagance, constate Sandrine Galand. Ce jeu constant auquel elle s’adonne, c’est comme un doigt d’honneur métaphorique à l’industrie, comme si elle refusait d’être la femme aigrie ménopausée de 50 ans que la société voudrait qu’elle soit. » Céline agirait-elle de façon subversive pour s’opposer aux contraintes genrées ? Mais qui, au fond, a la réponse, à part la principale concernée ?
De son côté, Mélodie Nelson espère un changement dans les mentalités. « À presque quarante ans, j’ai hâte que les marques de lingerie me proposent de porter un bodysuit rose flash transparent. Les mamelons ne disparaissent pas avec les rides », souligne-t-elle.
Espérons toutefois que les commentaires sur les cheveux de Céline, peu importe leur couleur, eux, disparaîtront.