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Les Carnets de l’Underground : « Porno Maison »

Par Gabriel Cholette.

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Ce texte est un extrait initialement publié dans Les Carnets de l’Underground, un roman constitué de textes courts écrits par un jeune clubber de 24 ans (Gabriel Cholette, thésard en littérature médiévale le jour). D’abord imaginés pour Instagram, ces “fragments” de vie racontent ses expériences sexuelles, amoureuses, amicales, son rapport à la musique, à la danse, au corps, à la communauté queer, etc. Son style est assez unique, avec un mélange d’oralité québécoise, et un ton tantôt clinique à la Ellis, tantôt émouvant.

Inutile d’en dire plus, on vous laisse en juger par vous-mêmes. Voici donc un extrait que nous avons repris et adapté à URBANIA. Bonne lecture !

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Porno Maison

Berlin, Allemagne

C’est la première seconde d’une vidéo porno solo que j’ai filmée dans l’appartement de Berlin loué avec Emma (désolé, beauté, c’est ma façon de te l’apprendre). Dans les secondes qui suivent, je fais une chorégraphie précise, une chorégraphie que j’ai répétée au moins huit fois avant de m’écrouler de fatigue : je recule, j’enlève mon chandail, je fais trois-quatre affaires que j’ai pas envie de décrire ici et je vise deux minutes maximum pour l’exécution de ma routine.

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Tout ça parce que la veille, au Cocktail d’amore, Sophy a rencontré un gars dans la file d’attente où elle a passé huit heures avant d’entrer tandis que — si je me souviens bien — je suis passé devant tout le monde avec un groupe de Français. (Les Français se sont fait dire non à la porte, mais pas moi, qui suis entré fier comme tout devant eux.) Le gars que Sophy a rencontré s’appelle Jacob et, pendant un instant, je sais pas pourquoi, j’ai pensé qu’il était le plus laid du party. Faque je lui ai pas accordé d’attention.

Erreur #1. Il était très beau.

Le Cocktail — qui existe plus maintenant —, c’était un gros party mal éclairé où quatre-vingt mille biceps entraînés et sculptés se fonçaient dedans. Sérieux, y’avait pas une seule personne qui était pas en chest et, passé les vingt-quatre premières heures, y’avait pas une seule personne qui était pas en jockstrap, avec un masque de chien ou une affaire comme ça. Juste pour dire, ce soir-là, Sophy avait découvert une mezzanine secrète au deuxième étage et était devenue la dominatrix des lieux. C’était ça, le Cocktail.

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Erreur #2. Dire à Mika, l’ami d’Anton, les deux dealers que j’ai rencontrés au Trésor quelques jours avant, qu’on irait consulter ensemble des manuscrits à la Staatsbibliothek.

En gros, Mika s’est révélé être un expert du Moyen Âge ; il trippait sur les lettrines peintes en or et il savait que Berlin conserve un manuscrit particulièrement célèbre que j’avais vu la veille, pour mes études. Donc Mika, que j’aime beaucoup, m’a gardé toute la soirée avec lui dans l’espoir que je l’accompagne à la bibliothèque dans un futur rapproché, ce que je savais déjà que j’allais pas faire.

Quand même, c’était pas une si grosse erreur que ça, parce que j’ai eu droit à deux wingmen à mes côtés, deux genres de King Kong masc for masc qui passent leurs journées au gym et qui m’ont présenté à leur gang. Plus jamais je vais dire quelque chose de mal contre les douchebags parce qu’à mon grand étonnement, tout le monde était ben fin, ils parlaient des mêmes choses que nous et je me souviens avec délice de tous ceux qu’Anton m’a présentés, des Hercule en speedos de cuir qui auraient pu me transporter toute la soirée sans effort, moi l’échalote, sur leurs épaules.

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Pendant qu’on pataugeait dans le Cocktail, je suis tombé face à face avec Jacob qui avait l’air d’être k-hole : tout de suite, il m’a pris par la main et m’a emmené sous la mezzanine de Sophy, dans l’immense dark room un peu trash qui me faisait peur. On s’est assis à côté de la file de gars qui attendaient pour aller fourrer une victime désignée (un élu ?), entre un couple de parents dans la quarantaine qui se retrouvaient enfin après des années d’égarement et des gens qui cherchaient quelque chose par terre, probablement un sac de poudre malencontreusement échappé.

Incapable de parler, mais vraiment motivé à me montrer quelque chose, Jacob a sorti la langue et son téléphone et s’est mis à chercher quelque chose à grande vitesse dans ses photos, parmi à peu près mille dick pics de lui et d’autres gars, des vidéos et des portraits un peu douteux. Avec dans les mains la photo d’un pénis normal, un peu plus gros que la moyenne, il s’est pointé du doigt, la langue toujours sortie.

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S’est ensuivie une drôle de séquence : Jacob, qui voulait que je lui suce le batte, a fait des allers-retours de sa bouche à sa ceinture avec son cellulaire et a placé le téléphone dans un angle pour m’indiquer que c’est son pénis, en shakant un peu. Faisant mine de comprendre, j’ai pris son téléphone de ses mains et je lui ai donné un bec sur le.jpeg. Il a sursauté en disant non non non et a commencé à dézipper son pantalon pour me montrer son pénis mou.

À ce moment-là, il a retrouvé la faculté de la parole. Il m’a dit (en anglais, mais je traduis) j’aimerais ça que tu l’embrasses, je suis trop pété sur la kétamine mais mon pénis ressemble à ce que je t’ai montré en photo. Je me suis laissé tomber par terre sur le plancher sale de la dark room. Je sais que ça aurait été plus digne de dire non, mais j’ai quand même choisi de lui donner un petit bec tout cute sur le gland — rien de suffisant pour réveiller la bête.

Erreur #3 — la plus fatale. L’écouter parler et me laisser bercer par ses fantasmes les plus fous.

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Jacob a ensuite mesuré deux ml de ghb en m’expliquant qu’il a un fétiche particulier : faire une collection de photos visage-dick. Ce type de photos, c’est une arme puissante qui peut mettre fin aux aspirations politiques de quiconque, parce que c’est la seule façon infaillible d’associer un engin à son propriétaire et d’utiliser contre lui sa petite intimité. Quand il a fini de mesurer ses deux ml de g, il m’a averti : Je vais retourner dans l’état où j’étais il y a quinze minutes, donc on est peut-être mieux de se séparer.

But don’t forget me.

Which I didn’t. Je suis resté un bon douze heures de plus au Cocktail et, avant de partir, je suis retourné vers Jacob dans le but de l’entraîner avec moi. Sauf qu’il restait encore un autre douze heures avant que le party termine et il voulait socialiser le plus possible. Parti sur une idée précise, je suis rentré à Neukölln, me suis installé dans la chambre devant les beaux faisceaux lumineux du soleil levant et j’ai imaginé mon premier porno solo.

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Quatre heures plus tard — j’ai eu des problèmes techniques en filmant la finale —, je lui ai envoyé la vidéo. Il devait encore être au party à ce moment-là, mais il m’a aussitôt répondu pour dire que le fichier était corrompu, que ça fonctionnait pas. J’ai passé une demi-heure à reformater la vidéo pour qu’elle soit compatible avec son iPhone. Je lui ai envoyé le nouveau fichier. Seen at 9:36 AM. À ce jour, j’ai pas encore eu de réponse. Avoir su, je me serais mis des petites lettrines en or autour du corps, ça aurait peut-être mieux marché.

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Gabriel Cholette est docteur en littérature médiévale et chargé de cours à l’Université de Montréal.
Les Carnets de l’Underground est son premier roman.

En vente ici et en librairies.