« Le bien ne suffit pas à assurer le bonheur, mais le mal suffit à assurer le malheur. »
– Aristote
Il y a quelques années, un oncle qui travaille dans le domaine des assurances m’avait surpris avec une phrase qui m’a collée à l’esprit : « Si tu peux te permettre de l’acheter deux fois, ne l’assure pas. »
Fondamentalement, il n’y a pas de différence économique entre un contrat d’assurance et un pari au casino. Dans les deux cas, on paye un petit montant à la maison (le casino ou la compagnie d’assurances, c’est selon) en échange de potentiellement empocher un gain important, selon le résultat d’un événement qui relève du pur hasard. La seule différence, c’est qu’au casino, on espère que le hasard nous fera gagner le gros lot, tandis qu’avec un contrat d’assurance, on espère que le hasard nous fera perdre notre mise (notre prime!) ou du moins, aidera à minimiser nos pertes.
Prenez l’assurance vie, par exemple. On paye un petit montant mensuel qui promet de payer gros si le hasard fait en sorte qu’on meurt prématurément. Ce n’est pas si différent d’un billet de loterie – sauf que, bien sûr, on n’espère pas « gagner » notre pari.
Profits (statistiquement) garantis
Le modèle d’affaires des compagnies d’assurances est, d’ailleurs, essentiellement le même que celui du casino. La maison calcule les probabilités de l’ensemble des résultats possibles et pèse les coûts de participation de façon à ce que, statistiquement, elle gagne plus souvent qu’elle perd.
Les casinos le font en contrôlant leurs jeux afin d’en choisir les probabilités, mais les compagnies d’assurances (qui ne contrôlent évidemment pas le hasard associé aux aléas de la vie) se fient à des calculs probabilistes complexes effectués par des équipes de spécialistes d’actuariat, de mathématiques, et de sciences sociales pour s’assurer qu’en moyenne, le montant payé par les client.e.s assuré.e.s soit inférieur aux montants payés par les compagnies d’assurances. De cette façon, même si, de temps en temps, le hasard sourit à un client qui encaisse plus que ce qu’il a payé, on ne s’en sort pas : the house always wins.
Un jeu « truqué »?
Ce qui est relativement nouveau comme phénomène, cependant, c’est la croissance des entreprises de biens de consommation qui veulent prendre part à ce casino lucratif. Prenez les vendeurs de téléphones, par exemple. Après votre plus récent achat d’appareil, on vous a sûrement offert (même fortement suggéré) d’acheter une police d’assurance additionnelle en cas de casse.
Vous voyez, cette entreprise a des années de données très précises sur le nombre d’appareils qu’on fait tomber, qu’on égratigne, qu’on tente sans succès de sauver à l’aide d’un sac de riz, ou qu’on oublie dans notre poche arrière avant de s’asseoir. Grâce à celles-ci, ils peuvent estimer avec un très fort degré de confiance la durée de vie probable d’un nouveau téléphone intelligent entre nos mains maladroites. Suffit maintenant de multiplier la probabilité qu’un téléphone ne survive pas à la période de protection par le coût de remplacement dudit téléphone, d’ajouter une marge de profit, et le tour est joué – la compagnie vous a convaincu de payer plus cher que le coût probable de remplacer votre téléphone en cas de bris.
Pour certaines entreprises, ce genre de stratagème (en plus d’intérêts élevés pour ceux qui achètent leurs appareils en paiements mensuels) représente la part du lion de leurs profits – encore plus que la vente des biens eux-mêmes.
Quand ça vaut le coût
Bien sûr, il y a des instances où, malgré le pari perdant, il est prudent d’assurer un bien, particulièrement quand il serait impossible de le remplacer par des moyens financiers. L’assurance vie est un bon exemple, comme le sont l’assurance auto et l’assurance habitation. D’où l’importance de la première partie de la phrase de mon oncle : « Si tu peux te permettre de l’acheter deux fois… ». Dans les situations où c’est impossible, les assurances sont souvent le seul moyen de partager le risque pour ne pas subir trop de conséquences à la suite d’une perte.
Mais pour les biens que l’on peut facilement remplacer, pensez-y bien.
Si l’entreprise qui vous offre les assurances est gagnante à long terme, c’est que vous êtes perdant à long terme. Les compagnies ne sont pas dupes : elles vous chargent plus que la probabilité réelle de devoir les remplacer.
À moins, bien sûr, que vous sachiez que vous êtes particulièrement maladroit, signifiant qu’il est statistiquement plus probable que vous ayez à remplacer votre téléphone qu’un autre. Dans ce cas, ce sont les propriétaires attentionné.e.s qui subventionneront votre prochain téléphone… Raison de plus de faire attention à ses biens.