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Les animaux homos: pourquoi ça nous fascine tant ?
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais depuis quelques années, on voit fleurir ici et là des articles feel good sur d’heureux couples de vautours mâles élevant des poussins ou des news adroitement rangées dans la catégorie “Insolite” sur des femelles bonobos ayant des relations sexuelles. Qu’elles nous émeuvent (évidemment, puisque les bébés animaux sont ce qu’on a fait de plus attendrissant sur Terre) ou qu’elles nous étonnent (chez les animaux, les relations sexuelles entre individus de même sexe servent souvent de régulateur social et apaisent les tensions), ces histoires sont de plus en plus visibles.
Il y en a une qui m’a d’ailleurs particulièrement marquée et dont le titre constitue le rêve de tout journaliste : Thomas, le jars aveugle et bisexuel a été enterré auprès de son compagnon Henry le cygne. Deux oiseaux que tout opposait et qui pourtant se sont aimés, à jamais réunis dans la tombe. Tout y est : l’amour, la tragédie, et même la pincée de WTF dont Internet a le secret.
Mais d’où nous vient cet engouement pour ces histoires ? Pour l’autrice et journaliste Fleur Daugey, il y aurait deux raisons à ce phénomène récent. « D’un côté, il y a un intérêt croissant pour les questions LGBT en général et pour leur visibilité dans le débat public, nous explique-t-elle. Dans les séries, dans les films, on voit de plus en plus de personnages gays ou lesbiens ou transgenres. Et il y a aussi un intérêt croissant pour l’intelligence de l’animal, pour les émotions, pour l’éthologie en général. » L’éthologie, c’est l’étude des comportements des animaux et c’est la spécialité de Fleur Daugey. « Quand j’ai commencé mes études, l’éthologie était vraiment une préoccupation de spécialiste, il y avait peu de livres sur ces questions-là. Dans la rue, Monsieur Tout-le-monde disait “non, un animal n’est pas intelligent”, ou alors il pensait seulement à son chien ou à son chat, qu’il trouve intelligent de manière peut-être un peu sentimentale. Maintenant, il y a un foisonnement d’interrogations sur l’animal : qui est-il ? Est ce qu’on doit le considérer comme une personne ? »
Ce n’est donc pas étonnant qu’en juin 2019, le zoo de Londres ait installé dans l’enclos des manchots de Humboldt, une petite banderole où les visiteurs et visiteuses pouvaient lire: « Some penguins are gay, get over it », un slogan directement inspiré de la campagne contre les LGBTphobies d’une des principales organisations LGBTQI+ du Royaume-Uni.
Originaire de la côte Pacifique de l’Amérique du Sud, le manchot de Humboldt est connu pour avoir des comportements homosexuels, et c’est justement pour le célébrer que le zoo a choisi de placer cette banderole, et plus particulièrement en l’honneur de Ronnie et Reggie, heureux papas d’un poussin nommé Kyton. Cette mise en scène du zoo de Londres, en plein Mois des fiertés, n’est pas passée inaperçue et a eu un large écho dans la presse britannique.
Quand le milieu scientifique et zoologique faisait l’autruche sur le sujet
Le zoo de Londres n’est pas le seul à valoriser ces pensionnaires homos : celui de Berlin a lui aussi célébré ses pingouins gays, Skip et Ping, ainsi que leur adoption d’un poussin. À Munich et à Amsterdam, on a été encore plus loin, en organisant des visites thématiques autour de l’homosexualité dans le règne animal.
Pourtant, le milieu scientifique et zoologique a longtemps fait l’autruche sur la question des relations homosexuelles dans le monde animal. Il a fallu attendre 1999 et le livre Biological Exuberance: Animal Homosexuality and Natural Diversity du biologiste canadien Bruce Bagemihl pour affirmer haut et fort que oui, ces comportements existent parmi les animaux… et qu’ils sont même plutôt répandus. Mais la science en a fait un tabou. Dans son livre Animaux homos (sorti en 2018 chez Albin Michel), Fleur Daugey a voulu transmettre ce savoir pour montrer au grand public que les réactionnaires de tout poil qui prétendent que l’homosexualité est contre-nature sont complètement à côté de la plaque, et surtout complètement homophobes. « Ces comportements chez les animaux de zoos ont toujours existé, sauf qu’on ne les voyait pas, car dans la société, on ne voyait pas non plus les personnes homosexuelles », nous résume-t-elle.
Aujourd’hui, notre appétit pour les histoires de dauphins, de lions, de vautours et de morses homos ne serait-il pas teinté d’un peu d’anthropomorphisme ? Ne projetons-nous pas nos propres comportements et nos propres sentiments sur ces animaux ? « Pour moi, il y a un côté un peu naïf et d’un autre côté, je trouve que c’est positif car on se rend compte à quel point on est semblable à l’animal et on le regarde différemment, affirme Fleur Daugey. C’est aussi un signe de l’époque : on peut toujours se couper de l’animal, on est quand même en train de se regarder dans le miroir de la nature pour savoir qui on est. » Cette tendance à l’anthropomorphisme n’est donc pas forcément négative et peut même nous amener à réfléchir sur le spécisme, et notre propension à hiérarchiser les espèces, la notre étant forcément au-dessus du lot. « On a trop eu l’habitude de se couper du monde animal et de mettre l’être humain sur un piédestal, bien souvent en pensant que Dieu avait créé l’homme à son image, le coupant du reste de la création. Ce n’est pas que religieux, on voit aussi chez Platon et Aristote que notre pensée occidentale place l’humain comme supérieur aux animaux. 99% des gens pensent comme ça, c’est ancré en nous. »
La limite se situe finalement davantage sur le vocabulaire employé. Il serait en effet fallacieux de parler d’une brebis lesbienne ou d’un lion gay. « C’est un abus de langage, confirme Fleur Daugey. C’est humain de s’identifier comme lesbienne, comme gay, on ne peut pas plaquer ça sur l’animal. J’utilise les termes “homosexuels”, qui sont neutres et qui décrivent une situation de sexualité entre deux individus. »
Finalement, est-ce que l’existence de couples, de relations sexuelles, et même de familles entre animaux mâles et animaux femelles dans le règne animal ne nous mettrait pas face au fait que l’hétérosexualité n’est pas si naturelle que ça ? « Je suis d’accord pour dire que l’hétérosexualité est une construction sociale et culturelle, souligne Fleur Daugey, par contre, je ne dirais pas que l’hétérosexualité n’est pas naturelle, je dirais plutôt que toutes les sexualités sont naturelles. Toutes les formes de sexualité, on va les retrouver chez les animaux: donc à partir de là, on ne peut plus dire que quelque chose est contre-nature. » De quoi clouer le bec des homophobes, une bonne fois pour toutes.