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L’épuisement des sensibles
Si on me demande comment je vais, je n’hésite pas, je dis que ça va bien. Je suis bien dans mon petit appart avec mon petit chat. J’aime mes contrats du moment et je me satisfais temporairement des relations virtuelles avec les gens que j’aime.
Alors pourquoi suis-je si fatiguée ?
Quand je me suis questionnée pour trouver de quoi j’allais vous parler, aucun sujet ne m’inspirait. Même maintenant, quand j’essaye de réfléchir aux enjeux sociaux qui me passionnent habituellement, il n’y a que les mots « je suis épuisée » qui jouent en boucle dans ma tête comme réponse.
Je pense qu’à force de suivre les actualités, je me suis brulée.
On m’a souvent dit que je suis trop sensible, trop anxieuse aussi. C’est peut-être pour ça qu’à force de voir des exemples d’injustices, je me suis épuisée. Même si les sources que je consulte dénoncent ces injustices, ça me ronge. Mes algorithmes ne dérogent pas de leur habitude de me montrer des témoignages de personnes marginalisées ou des dénonciations d’opinions de chroniqueurs rétrogrades. Ça me déprime. J’ai toujours réagi fortement à la détresse des autres, et je réalise qu’un TikTok un peu troublant est parfois assez pour me préoccuper pendant toute une journée. Je me sens impuissante et cela m’épuise.
Certain.e.s roulent probablement des yeux en se disant que je n’ai qu’à quitter tout ou que je pourrais, au moins, éviter ce genre de contenu. J’aimerais le faire, j’y ai pensé, mais chaque fois, je ressens une certaine culpabilité. En tant qu’autrice et humoriste qui veut parler de justice sociale, je n’arrive pas à me débarrasser de l’idée que tout ça fait partie de mon job et que je suis inadéquate de vouloir prendre une pause. Je tiens aussi à mentionner que je me sens extrêmement privilégiée, en tant que femme blanche et cis, et je me dis que je n’aurai jamais fini d’en apprendre sur les combats qui se retrouvent dans mes angles morts. Et si je manquais quelque chose en me déconnectant ?
Même du côté des enjeux qui me touchent personnellement, je ressens la même culpabilité. Malgré mes propres expériences avec la misogynie, le capacitisme et la grossophobie, je peux avouer qu’on me fout pas mal la paix dans mon quotidien. On ne m’a crié des insultes homophobes dans la rue qu’une seule fois ! Bon, ça ne devrait pas du tout m’être arrivé, mais je ne suis même pas tant traumatisée. J’ai peur de devenir déconnectée, de confondre ma chance avec la réalité de tou.te.s. Je sais que ce n’est pas la peur la plus fondée, et que de me faire rappeler quotidiennement combien le monde peut être dangereux n’est pas super sain, mais je vous ai averti : je suis trop anxieuse.
Il existe un phénomène appelé la « fatigue de l’activisme », un cousin du burnout. Selon le Morning Sign Out de l’Université de la Californie à Irvine, les défis des militants et militantes sont uniques. Ils sont investis émotionnellement dans leur activisme et comprennent les conséquences des injustices contre lesquelles ils luttent. En plus d’être physiquement et mentalement épuisées, les personnes touchées par la fatigue de l’activisme peuvent développer une apathie devant le manque de changement. Elles se sentent dépassées et certaines finissent par croire que rien ne peut être fait pour améliorer la vie des gens.
En plus d’être physiquement et mentalement épuisées, les personnes touchées par la fatigue de l’activisme peuvent développer une apathie devant le manque de changement.
Je vous avoue que je me sens un peu imposteur de me reconnaître dans mes lectures sur le sujet. Il me semble que je n’en fais pas assez pour me considérer comme une activiste. Peut-être que, dans mon cas, c’est plus un petit-cousin du burnout ? La fatigue des sensibles ? L’heure du dodo des gens qui ont terriblement besoin d’une chill pill ?
Je me demande si je suis valide de me sentir ainsi. C’est un privilège de même pouvoir prendre une pause, alors est-ce que j’en mérite une ?
Ne vous en faites pas, je sais que oui.
Dans son texte Activism fatigue is killing social justice. Is it selfish or inevitable?, Mikayla Tillery explique : « L’un des premiers conseils qu’on m’a donnés lorsque j’ai commencé [mon activisme] est qu’on ne peut pas verser depuis une tasse vide. Bien trop souvent, les militants attendent que leur tasse soit vide sans aucun moyen de la remplir. »
Je vais bien finir par accepter que ça n’en vaille pas la chandelle quand on la brûle par les deux bouts. En attendant, je m’en vais faire une sieste.
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