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Le visage de la nouvelle route migratoire de l’Europe

On a discuté avec des migrantes qui mettent leur vie entre parenthèses et en danger dans des camps.

Par
Clotilde Bigot
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La Lituanie, ce petit pays balte situé au Nord-Est de l’Europe, connait depuis le début de l’été un afflux de migrants sur son sol. Ils seraient environ 4000 à attendre de voir leur procédure terminée, avec une chance infime de voir leur demande acceptée.

Les autorités lituaniennes, elles, refusent de voir cet afflux comme une nouvelle route migratoire, mais comme une « agression hybride » de la part de leur voisin, et réduit ces humains à des migrants économiques, qui cherchent à s’installer en Europe pour le « confort ». La réalité dans les camps est pourtant toute autre. On a rencontré les premiers concernés.

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Julia

Julia vient de la République Démocratique du Congo, elle a 19 ans. Son périple a commencé, comme beaucoup de jeunes femmes, dans le camp d’Alytus par une succession de tragédies. La première : le décès de sa mère le jour de sa naissance. Julia a donc été élevée par ses grands-parents et son oncle, décédé dans une explosion qui a déchiré la capitale en 2012. Pour qu’elle puisse poursuivre ses études, sa grand-mère l’a envoyée chez un oncle afin qu’il finance sa scolarité. « Je n’étais pas sa fille, alors il pensait pouvoir faire ce qu’il voulait avec moi… ». Elle ne compte plus les fois où il a tenté de la violer. « Il a fini par me ramener chez ma grand-mère, et c’est là qu’on a cherché à me faire quitter le pays ». Pour parvenir à ses fins, la grand-mère de Julia a vendu l’une de ses parcelles de terre. Leur seule issue possible : des agences de voyages qui leur promettent monts et merveilles, et en particulier la possibilité d’aller étudier en Biélorussie. « Les agences m’ont dit que je pourrai travailler en étant étudiante ». Le billet est pris, et plus de 1000 dollars plus tard, et Julia se retrouve en Biélorussie. Elle a 18 ans.

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« C’est la première fois que j’ai dû faire face à du racisme », confie-t-elle. Sur place, elle découvre une première arnaque : les frais de scolarité payés auprès de l’agence n’ont jamais été versés à l’université. Elle est contrainte de débourser à nouveau une grande somme d’argent : sa grand-mère sombre alors dans la pauvreté, et décède quelques mois plus tard. « Avant, je me disais que je devais travailler pour offrir une belle vie à ma grand-mère. Maintenant que je suis seule, je me dis que je dois travailler pour mon avenir. Je ne veux pas que, plus tard, mes enfants souffrent comme j’ai souffert ». Alors Julia a trouvé une route pour entrer dans l’Union Européenne : après un trajet en taxi jusqu’à la frontière, puis trois jours perdue dans la forêt, elle retrouve d’autres filles dans sa situation, et se retrouvent toutes dans ce camp d’Alytus, dans la campagne lituanienne, logées dans un ancien aérodrome reconverti. « Lorsque je suis arrivée, j’étais rassurée, nous étions bien traitées ! Mais la situation s’est rapidement dégradée, on a subi des pressions de la part des autorités qui nous menaçaient de nous déporter… Mais si je rentre, je ne sais pas ce que je vais faire ! Je refuse de me prostituer ! », raconte celle qui souhaite poursuivre ses études et devenir comptable.

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Monique

Monique a 26 ans, derrière son regard doux, c’est « l’enfer », comme elle dit. Elle a été élevée par sa mère et par son beau-père qui la violait quotidiennement. « Je ne pouvais rien dire à ma mère, il me menaçait de me tuer et de la tuer… Alors je ne disais rien ! ». À tout juste dix-huit ans, elle tombe enceinte, et son beau-père la fait avorter de force. Monique finit par s’enfuir de cet enfer. « Sur mon chemin, je suis tombée sur une femme qui m’a dit qu’elle allait m’aider », raconte celle qui est finalement tombée dans les filets de la prostitution homosexuelle. « Nous étions dans une auberge, la réceptionniste est venue, elle nous a frappées et puis c’est finalement la police qui est apparue pour nous mettre en cellule, car l’homosexualité est illégale au Cameroun ».

À nouveau, elle parvient à s’enfuir et apprend le décès de sa mère dans la foulée. Désespérée, elle finit par trouver de l’aide auprès d’un ami. « Il a accepté de m’aider en m’offrant des papiers et un visa pour la Biélorussie. Je devais fuir, à la fois la police qui me croyait homosexuelle, mais aussi mon beau-père qui me violait, et puis fuir aussi la prison. » Une fois arrivée en Biélorussie, Monique y reste dix jours et apprend que la frontière avec la Lituanie est ouverte. « Je suis alors passée par la forêt, j’ai perdu mon passeport, j’étais perdue ! Finalement, j’ai trouvé des policiers qui m’ont conduite ici au camp d’Alytus », raconte la jeune femme, fragile psychologiquement. « Je cherche la paix et la sécurité. Après tout ce que j’ai vécu, je suis constamment angoissée », raconte Monique qui dort dans une chambre avec cinq autres femmes, d’origine camerounaises et congolaises.

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Tracy

Tracy, elle, n’a que 16 ans. Cette « mineure isolée », selon le jargon de l’immigration, a déjà traversé de nombreuses épreuves. Originaire de la province du Congo-Brazzaville, elle a grandi avec sa mère et son beau-père, colonel dans l’armée. Un jour, alors qu’elle joue avec son cousin et sa sœur dans sa chambre, elle entend des coups de feu. « Lorsque je suis sortie, j’ai vu ma mère et mon cousin par terre. Mon beau-père m’a menacée de me tuer si je disais quoi que ce soit… Alors j’ai tout gardé pour moi ». Mais quelques jours plus tard, la rumeur circule que son cousin a été assassiné. Tracy se confie alors à l’un de ses proches sur ce qu’il s’est réellement passé. Sa vie est alors en jeu.

Trois semaines après l’enterrement de sa mère et de son cousin, elle quitte Kinshasa en direction de Minsk. « Un de mes cousins m’a donné un peu d’argent, et m’a demandé de faire confiance à un homme, un certain Ahmed. J’ai voyagé avec lui, il m’a fait un faux passeport, un visa, et je suis arrivée en Biélorussie comme ça », explique celle qui a appris à se cacher et qui a fait la rencontre d’autres Africains sur son chemin. « On a discuté, ils m’ont demandé si j’étais étudiante et ils m’ont dit qu’ils m’aideraient. C’est comme ça que je me suis retrouvée ici dans ce camp ». Sur place, Tracy a été rapidement prise sous l’aile des autres femmes du camp : c’est un peu la « petite sœur » du groupe, celle que tout le monde protège. Tracy veut, elle aussi, protéger les autres. Sa vocation ? Devenir infirmière. Mais pour cela, il faut d’abord que sa demande d’asile soit acceptée. Pour l’instant, sur les 200 demandes traitées par la Lituanie, aucune n’a abouti.

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Vinos

Vinos est Irakienne, yézidie, pour être plus précise. Elle vient de la vallée du Sinjar et s’est réfugiée ici, en Lituanie, après avoir fui le pays. « Si on découvre qu’on est yézidie, certaines milices musulmanes nous tuent ! C’est une fierté pour elles, on est leurs trophées de guerre ». Vinos fait partie de la vingtaine de yézidies vivant dans le camp de Verebiejai, au Sud Ouest de la Lituanie. A 28 ans, elle a connu l’exil forcé en 2014, lorsque Daech est arrivé au pouvoir, menaçant son peuple de mariages forcés et d’esclavage sexuel. « Nous avons passé dix jours dans le désert. La journée, il faisait horriblement chaud, et la nuit, terriblement froid. Nous étions tout un groupe, mais malheureusement, mon père est décédé en chemin, il était diabétique, et n’a pas supporté le voyage. » Ce voyage l’a amené en Syrie, puis au Kurdistan Irakien, où elle a trouvé refuge pendant plusieurs années. « Mais la situation au Kurdistan n’est pas idéale non plus, car nous ne sommes pas Kurdes, alors nous vivons sous la menace des milices turques, qui sont de mèche avec certains islamistes qui veulent notre peau ». C’est lors d’un séjour à Bagdad que Vinos a trouvé une solution avec des amies de sa communauté. « Nous sommes allées dans une agence de voyage, et on nous a parlé de la Biélorussie. On nous a dit qu’on aurait un visa tourisme qui nous serait délivré directement à l’aéroport ». Vinos et ses amies prennent alors leurs billets d’avion, direction Minsk. Arrivées à l’hôtel, elles se débrouillent pour trouver un taxi, et se rendent à la frontière avec la Lituanie pour demander l’asile. Aujourd’hui, elles sont toutes regroupées dans un camp situé dans une ancienne école, logées dans des salles de classes. « Ici, l’eau des douches est froide et sale, alors on doit acheter des bouteilles d’eau, et c’est très cher. Nous ne pouvons pas sortir, on doit demander aux policiers pour aller faire des courses. Sur place, ils nous vendent de l’eau ou des cigarettes mais bien plus cher qu’ailleurs…. Et comme nous ne travaillons pas, c’est impossible de tenir ! » Les demandes d’asile de Vinos et de ses amies sont en attente, elles n’ont aucune nouvelle de leur statut, et passeront sûrement l’hiver dans ces conditions.

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