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Le régime autoritaire de Kate Winslet
C’est de bon goût, dans les milieux privilégiés, d’exprimer son incompréhension face à l’existence de régimes autoritaires en 2024, comme ceux de la Russie ou de la Corée du Nord. J’irais même jusqu’à dire que c’est de meilleur goût que d’essayer de comprendre.
Parce qu’il n’existe pas d’explication simple à une situation politique compliquée. Personne ne choisit de vivre dans une dictature de son plein gré et un pays ne tombe pas dans le chaos du jour au lendemain. C’est toujours un ensemble de facteurs qui cause la chute d’une nation dans les méandres du totalitarisme, et déconstruire un héritage socio-économique, c’est une conversation un brin moins sexy.
Une des missions de la fiction, c’est d’apporter du contexte et de la nuance à des conversations compliquées de ce genre. La première de la mini-série The Regime (diffusée dimanche dernier), mettant en vedette Kate Winslet et le criminellement sous-utilisé Matthias Schoenaerts, a jeté un regard à la fois différent et contemporain sur ces régimes aussi excentriques que destructeurs et mis la table pour un rendez-vous télévisuel immanquable.
Avons-nous trouvé notre sujet de conversation autour de la machine à café pour les prochaines semaines ? Je pense que ouiiiii !
Le royaume ermite et l’information
The Regime raconte l’histoire d ’une petite nation d’Europe centrale menée d’une main de fer par Elena Vernham (Winslet), qui compte faire fortune en octroyant l’accès à des investisseurs américains aux mines de cobalt qui font la richesse de son pays. Bien que ses relations d’affaires et sa phobie des spores microbiennes lui compliquent la vie, elles compliquent d’autant plus la vie de son entourage et de son cabinet lorsqu’ils doivent gérer ses (nombreuses) excentricités.
Bien qu’elle n’ait pas encore livré tous ses secrets, The Regime lève le voile sur un des mécanismes cruciaux des régimes autoritaires, soit une monnaie d’échange pour pacifier les relations géopolitiques. En l’occurrence : une fortune en cobalt, un matériel utilisé, entre autres, dans la fabrication des batteries.
Dans ce premier épisode, la chancelière Vernham utilise donc l’accès à cette ressource naturelle comme moyen de détourner l’attention de ses politiques répressives et des débordements violents associés à son nom. Responsable du massacre d’une douzaine de mineurs de cobalt, Herbert Zubak (Schoenaerts) est un homme rustre et sanguinaire qui parviendra à gagner la confiance de la chancelière par un triste (et absurde) concours de circonstances.
Personne ne comprend vraiment ce qui se passe dans la petite république. Pas même nous, l’auditoire.
On a tous une vague idée que quelque chose de pas catholique s’y trame, mais Elena Vernham a tellement bien réussi à isoler sa nation qu’on se retrouve coincés dans une espèce de tour de Babel de ouï-dire et de menaces silencieuses qui planent au cœur de son fief. Cette omertà lui permet donc d’agir à sa guise, sans se soucier des répercussions de ses actes.
Dictature 101, quoi.
Isolation, adoration et décisions intempestives
On sent déjà que la relation entre Elena et Herbert sera au centre de The Regime. La rencontre des deux personnages (et leur rapprochement) peut paraître improbable, mais pas impossible. Après tout, ils souffrent chacun de leur côté d’une forme d’isolement qui dicte leurs circonstances.
Elena est enfermée dans son château et développe une mysophobie (la peur des germes) qui la force à s’isoler de plus en plus et qui pousse son personnel à essayer de deviner ses humeurs au lieu de lui parler honnêtement. Herbert, lui, est répudié pour la violence de ses actions contre les mineurs et ne trouve du réconfort que dans l’automutilation jusqu’à ce qu’une occasion rêvée d’utiliser sa violence pour servir la chancelière lui soit servie sur un plateau d’argent.
Cette isolation est cruciale à la compréhension des deux personnages qui laissent la peur et la colère dicter leurs actions.
Elena et Herbert se sentent tellement coincés par leurs circonstances qu’ils n’osent pas les remettre en question et prennent d’importantes décisions en conséquence.
Le scénario, signé Will Tracy (Succession, The Menu), rattache habilement cet isolement et les sentiments qui en découlent à un nationalisme violent et irrationnel dans lequel Herbert se réfugie. Même si ses convictions vont contre la santé financière à long terme de son pays, il réussit quand même à convaincre la chancelière d’adopter une ligne dure avec les intérêts étrangers pour des raisons très abstraites de fierté nationale.
Parce qu’Elena a peur de son ombre. Parce qu’Herbert ne connaît aucun autre langage que celui de la violence. Ça n’excuse en rien leurs comportements excessifs, mais ça les explique.
Pour l’instant, on ne sait pas trop où The Regime s’en va avec cette prémisse à la fois complètement fantaisiste et ancrée dans des sentiments beaucoup trop familiers pour qu’on regarde la série avec détachement.
The Regime est dispo sur le Pass Warner. Ne manquez pas ça. Et, surtout, essayez d’être la personne la mieux informée (et la plus nuancée) autour de la machine à café pendant les cinq prochaines semaines.