« J’ai accouché en décembre 2020. Depuis le début je ressens comme une tension, comme un fil bloquant à l’entrée du vagin. Selon le gynécologue qui a fait la suture, la cicatrisation est parfaite. Sauf que les rapports ont été impossibles dès que j’en ai eu envie. Et en plus, le chéri a été refroidi de m’avoir fait mal malgré toutes nos précautions et zéro pression. J’ai demandé l’avis de deux sage-femmes, d’une gynécologue et d’une kinésithérapeute pour le périnée et toutes s’accordent pour dire que le dernier point est particulièrement tendu. Trop même. Elles m’ont toutes dit que certains praticiens préfèrent refermer trop que pas assez… » D.
Ce message privé, je l’ai reçu sur mon compte Instagram alors que j’évoquais la question épineuse du point du mari. Si vous n’êtes pas familier.e avec le terme, il s’agirait (j’emploi le verbe au conditionnel car beaucoup pensent que c’est un mythe, nous y reviendrons) d’une intervention médicale, qui a lieu lorsqu’un accouchement a donné lieu à une épisiotomie. Parfois, il faut accompagner et faciliter l’accouchement physiologique grâce à une épisiotomie, qui consiste à une incision de quelques centimètres afin de faciliter la sortie du nourrisson. Il faut alors recoudre cette incision, et certains médecins feraient alors un point supplémentaire, pour que le vagin soit plus resserré, dans la seule optique d’accroître le plaisir du partenaire lors d’un rapport pénétratif. Non, vous ne rêvez pas.
Alors, mythe ou réalité ?
De nombreux·ses praticien·ne·s semblent se voiler la face. Comme me l’ont expliqué plusieurs abonné·e·s sous ce post, leurs sage-femmes et/ou gynécologues martèlent que cette pratique n’existe pas ou plus en France. « On m’a répondu, presque en riant : « Ça ne se fait plus, il ne faut pas s’inquiéter pour ça », m’a écrit Laurie, tandis que Jenny a renchéri : « Quand j’en ai parlé à ma sage-femme jeudi dernier lors de mon projet de naissance, elle m’a répondu que ça n’existait pas en France ».
Pourtant, les témoignages sont nombreux sur le sujet, à l’instar de D. dont je vous ai livré l’expérience douloureuse en début d’article. Une autre femme m’a aussi confié : « Je l’ai subi en 2011, j’ai fait sauter ce point par une sage-femme 8 jours après l’accouchement car c’était trop douloureux ». Une autre raconte le calvaire de sa sœur : « Ma sœur n’arrive plus [à avoir des rapports], son mariage tombe à l’eau après un accouchement puis des traumatismes dûs aux rapports après accouchement et cette pratique. Sa fille va avoir bientôt 3 ans et elle est toujours aussi traumatisée que les jours après la naissance, c’est juste horrible. »
si des milliers de femmes ont mal, sentent une gêne qui ne diminue pas après une épisiotomie recousue, c’est qu’il y a un problème.
Il est grand temps d’écouter les personnes concernées : si des milliers de femmes ont mal, sentent une gêne qui ne diminue pas après une épisiotomie recousue, c’est qu’il y a un problème.
Le terme “point du mari” a vu le jour en 2014, et depuis, les expériences traumatisantes sur le sujet fleurissent (tapez simplement l’expression sur Google, et rendez-vous compte). Certain·e·s démentent et expliquent qu’il s’agit d’un acte involontaire, d’une suture parfois un peu trop serrée, ou bien de propos humoristiques pris sérieusement, comme on peut le lire sur le site du Nouvel Obs, où une sage-femme a témoigné en 2014. Elle a entendu des médecins prononcer des phrases du style : « Son mari me remerciera, je lui ai refait un vagin de jeune fille ! ».
Ce point du mari serait donc dû à la pratique de l’épisiotomie, qui elle-même ne fait absolument pas l’unanimité dans la profession. De nombreux·ses médecins indiquent qu’il serait en fait préférable de laisser le vagin se déchirer plutôt que d’inciser, car la déchirure serait dans tous les cas plus naturelle et que le corps s’en remettrait ainsi plus facilement que si la main du·de la médecin rentre en jeu. Ainsi, les épisiotomies sont faites en priorité pour le confort de l’équipe médicale et aussi pour limiter le temps d’accouchement, dans une logique productiviste, donc (c’est aussi le cas pour beaucoup de césariennes).
D’ailleurs, certaines maternités se donnent comme objectif de réduire la pratique, comme l’indique une jeune mère : « Dans ma maternité, il y a même des affiches affichant leurs statistiques d’épisiotomie par rapport à nos moyennes françaises pour promouvoir la baisse au maximum. » Un rapport de la Cour des Comptes sur les maternités françaises publié en 2015 montre une diminution des épisiotomies, tout en évoquant que cette pratique atteint encore 30% dans certaines maternités, un chiffre qui ouvre donc la porte au fameux “point du mari”.
Peut-on l’éviter ?
Il est possible de présenter un projet de naissance écrit, que l’on adresse à son médecin. Beaucoup de personnes ne le savent pas mais il est possible de choisir la position la plus adaptée (en effet, la position allongée, qui remonte au 18ème siècle, est une des positions les moins confortables pour l’accouchement humain, elle n’a été choisie que pour le plaisir du roi Louis XIV et le confort des médecins !), et de mentionner à l’écrit que l’on refuse par exemple l’épisiotomie, ce qui garantit une meilleure prise en compte des choix du ou de la parturiente.
Heureusement, de plus en plus de praticien·ne·s s’élèvent contre cette pratique bien réelle. Il existe ainsi le site internet Epi-No, qui propose un kit de préparation à l’accouchement grâce à un petit ballon que l’on gonfle dans le vagin pour étirer les tissus à partir de 6 mois et demi de grossesse. Plus le périnée et les tissus s’étirent, plus le ballon grandit et plus l’accouchement sera facile et empêchera d’avoir recours à une épisiotomie.
En ALLEMAGNE, Seulement 2% des femmes subissent des épisiotomies, contre 30% en France.
J’ai eu l’occasion de discuter avec Dominique Lioret, gérant d’Epi-no, qui me confirme d’ailleurs qu’en Allemagne, seulement 2% des femmes subissent des épisiotomies, contre 30% en France. 65% des femmes qui en subissent sont des primipares et donc souvent jeunes. Selon lui, le temps de travail pendant l’accouchement serait aussi divisé par quatre grâce au dispositif de préparation Epi-no.
Cette technique n’a fait l’objet d’aucune étude clinique pour prouver ou contester son efficacité, qui ne fait toutefois pas l’unanimité comme on peut le lire dans cet article. Il ne présenterait toutefois pas d’effet indésirable non plus.
D’autres techniques peuvent être mises en place, comme me l’explique une abonnée : sa sage-femme lui a recommandé des massages du périnée avant l’accouchement, à l’aide d’un lubrifiant, et l’a massée pendant le travail pour réduire les risques de déchirure.
Oui, le point du mari existe, et oui, il est sans aucun doute très marginal (…). Est-ce une raison pour invisibiliser le problème ?
Oui, le point du mari existe, et oui, il est sans aucun doute très marginal, sur les quelques 750 000 naissances qui ont lieu chaque année en France. Est-ce une raison pour invisibiliser le problème ? Sûrement pas. Cette pratique s’ancre dans une énième violation des droits des corps féminins, et témoigne de la normalisation des violences et douleurs faites aux femmes. Plus largement, c’est l’épisiotomie qu’il faut tendre à faire disparaître des pratiques.
Si vous êtes médecin et que vous lisez ce texte : ne niez pas la parole de vos confrères et consoeurs qui alertent, et des parturientes qui souffrent. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas observé une pratique qu’elle n’existe pas.
Pour aller plus loin concernant les violences obstétricales, on vous conseille ce reportage de la RTS (radio télévisée suisse).