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Le Nord de l’Algérie en feu : l’urgence écologique et l’inquiétude des Algérien·nes

« Nos grands-parents étaient écolos sans le savoir. »

Par
Liza H.
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Depuis le 9 août 2021, des images terribles du nord de l’Algérie nous parviennent : plus de 70 incendies localisés dans 26 wilayas, touchant fortement la Kabylie, avec un lourd bilan de 90 morts selon le bilan officiel des autorités algériennes et des dizaines de milliers d’hectares brûlés.

Ces images terribles sont celles de personnes désemparées de perdre leurs oliviers, leurs maisons, leurs terres ou pire encore, leurs proches. Face à cela, la population et la diaspora algériennes se sont mobilisées. De tout le pays, des dons ont été acheminés par des bénévoles organisés pour tenter de venir à bout des feux et de secourir les victimes. Des médecins et des vétérinaires ont offert leurs services pour soigner les blessés, des cagnottes ont été mises en place par des associations et des activistes, des aides psychologiques ont émergé ci et là pour venir en aide aux victimes traumatisées, notamment les enfants, et les femmes se sont assurées de répondre aux besoins spécifiques aux femmes. Comme bien souvent, la solidarité du peuple algérien s’est illustrée. Toutefois, cette autogestion est significative de la défaillance des institutions publiques qui ont certes mobilisé des forces mais ont tardé à réagir selon plusieurs bénévoles que nous avons rencontrés. En effet, pour mieux comprendre ce qu’il s’est passé au Nord de l’Algérie, nous avons rencontré des personnes mobilisées sur place et/ou écologues.

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Malgré les forces déployées par le pouvoir algérien, l’aide étrangère par l’envoi de canadairs s’est révélée indispensable. Parmi les personnes rencontrées, Katia, 20 ans, déplore le temps de réaction du gouvernement algérien : « Ils ont tout de même mis trois jours à réagir pour accepter l’aide étrangère ».

L’étudiante en écologie à Alger et bénévole active dans le réseau de solidarité nous a expliqué comment s’est organisée la solidarité : des particuliers ou des associations récoltaient le nécessaire puis allaient à Tizi-Ouzou (ville) pour distribuer aux responsables de chaque village les biens nécessaires. Katia, elle-même originaire d’un village touché, était très investie. Pendant des jours et comme beaucoup, elle a fait des allers-retours pour rapporter des dons aux villages touchés par les incendies, notamment du matériel médical et des médicaments. « Déjà qu’il y a peu de pharmacies dans ces endroits, dans un moment de crise, c’est peu évident », souligne Katia.

Origine des incendies : que penser de la piste criminelle ?

Selon les déclarations officielles du gouvernement algérien, l’origine des feux serait criminelle. Alger a par la suite accusé le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) qui aurait été aidé par le Maroc (les relations diplomatiques sont complexes entre les deux pays nord-africains et suite à cela, l’Algérie a même déclaré rompre toute relation diplomatique avec le Maroc, ce mardi 24 août) et Israël. Sur les réseaux sociaux aussi, tout le monde y va de sa théorie.

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Pourtant, pour F., professeur dans le secondaire à Alger, « la piste criminelle mène à l’impasse ». Il en appelle à la raison en rappelant que les feux en Algérie d’origine criminelle sont très rares et que le climat était propice à une telle catastrophe. Il déplore l’importance donnée à la piste criminelle. « malheureusement, le gouvernement appuie des thèses qui divisent. Mais trouver un coupable, s’il y un coupable à trouver, ne réglera pas la question des incendies. L’année prochaine, on aura des problèmes similaires, comme durant l’été 2020, il faut donc affronter ce problème climatique », raconte le professeur. « Peut-être qu’il y a une main secondaire qui a déclenché les feux mais cela est secondaire par rapport à l’essentiel : si un pyromane a mis le feu et qu’il a pris une telle ampleur, cela doit nous interroger (…) Il faut dans tous les cas creuser d’autres pistes que celles proposées par l’État qui veut nous proposer des coupables pour se désengager et se déresponsabiliser. »

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Pour Adel Ayadi, créateur du compte instagram @make_algeria_green_clean_again et activiste franco-algérien investi depuis de nombreuses années en Algérie dans le champ de l’écologie, c’est clairement criminel. « Que ce soit l’œuvre d’un pyromane ou non, cela reste criminel puisque c’est lié à la mauvaise gestion des forêts : elles sont mal gérées et les gens qui y vont se comportent mal. » Il ajoute : « Le jour où les incendies ont été déclenchés, c’était une journée très chaude, très venteuse. Si l’origine est criminelle, le climat était bien trop favorable pour que les incendies se propagent rapidement ».

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Effectivement, la période des incendies était extrêmement chaude : l’Office National des Météos prévoyait une période caniculaire avec des températures allant jusqu’à 47°. Pour Katia, étudiante en écologie, « ce n’est pas cohérent de diriger l’enquête vers une piste criminelle alors que des incendies ont éclaté partout dans le monde ».

Un constat partagé par F. « On déplore beaucoup de morts et de pertes matérielles, mais il faut remettre cela dans un contexte plus global et regarder les incendies en Grèce, en Californie, au nord du Maroc, etc. Il ne s’agit pas de questions identitaires, ni de chercher des coupables. On a vu ce qu’ont donné ce type de théories, malheureusement un jeune l’a payé de sa vie, c’est une tragédie », confie le professeur en référence à la mort de Djamal, un jeune bénévole pris pour cible et assassiné par la foule le 11 août 2021 à Larbaâ Nath Irathen (Wilaya de Tizi-Ouzou).

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« Peut-être que des personnes en ont profité pour aggraver la situation pour des raisons politiques mais dans tous les cas, l’urgence écologique est là et elle doit être notre priorité ! », rappelle Katia.

En vérité, les feux dans cette région ne sont pas rares. Une étude menée auprès d’officiers et d’agents ayant une certaine expérience dans la lutte contre les incendies de forêt, parue en 2014 dans la revue scientifique Vertigo, nous donne des indications sur les motifs des feux de forêts en Algérie[1]. L’étude comparative porte sur les régions de Tizi-Ouzou, Bouira et Boumerdes, sur les années 1985-2010. On peut, entre autres, y lire : « Le groupe d’experts attribue la majorité des feux allumés à des motifs traditionnels (travaux agricoles, brûlage des chaumes), au manque de civisme (jet des mégots, décharges sauvages, bris de verre de bouteille), suivis par les intérêts personnels (par exemple, l’utilisation des sols, le pastoralisme) ». Pour la Wilaya de Tizi-Ouzou, le nombre élevé d’incendies auxquels le dispositif de la Protection Civile doit répondre est tellement important que « les pompiers sont débordés et n’ont donc pas la possibilité ou le temps de surveiller tous les feux éteints. ».

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Les auteurs alertent sur « le manque d’attention aux causes sous-jacentes » qui pourrait « comporter l’augmentation de la gravité du phénomène », sur « une utilisation inappropriée et négligente du feu dans l’agriculture, en partie causée par la perte des savoirs traditionnels des anciens » et sur le « manque de culture environnementale ».

La responsabilité de l’État et de ses institutions

« Bien avant les incendies, les forêts étaient délaissées par les institutions, on le voyait à Alger, alors en Kabylie ce n’est même pas la peine », explique Katia qui pointe du doigt la responsabilité des institutions algériennes. « Je ne comprends pas où va l’argent public, pourquoi les moyens nécessaires ne sont pas déployés ? J’en veux aux institutions chargées de l’entretien des forêts et de l’environnement. Il y a des personnes qui seraient prêtes à aider de façon bénévole mais rien n’est mis en place. Le fait que les villageois aient dû faire face au feu seuls m’écœure ! ». La jeune femme était très investie dans le ravitaillement des zones touchées par les incendies et se désole du temps de réaction des institutions. « Les canadairs sont arrivés 3 jours après, il s’agissait d’une urgence tout de même. Et pourquoi on n’a pas de canadairs déjà ? Pourquoi la réaction du gouvernement a été si longue à venir ? Et pourquoi les pompiers ne disposaient pas du matériel nécessaire ? ».

« La question environnementale dépasse l’effort que doit faire l’individu à son échelle. Il faut qu’on entretienne la nature, qu’on la respecte, mais cela se décide au niveau central, au niveau de l’état. »

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F., professeur algérois, pointe aussi du doigt la défaillance des institutions censées assurer la sécurité et le soin des forêts : « Nous sommes très touchés par le dérèglement climatique et le stress hydrique, loin de toute idéologie, ceci est scientifique. Quand les scientifiques nous disent que notre zone va subir les conséquences du stress hydrique et du dérèglement climatique, l’État n’a qu’à mettre en place des organismes pour déployer les moyens nécessaires pour y faire face ».

Enfin, il enjoint à repolitiser la question écologique en l’abordant dans une dimension collective : « La question environnementale dépasse l’effort que doit faire l’individu à son échelle. Il faut qu’on entretienne la nature, qu’on la respecte, mais cela se décide au niveau central, au niveau de l’état. ». Dans un communiqué du 17 août 2021, le ministère de la défense promet l’« acquisition d’avions bombardiers d’eau pour lutter contre les incendies de forêts ». À suivre.

L’urgence écologique en Algérie : le temps d’agir

« La responsabilité est aussi celle de la population qui doit s’interroger sur l’état de nos forêts. Sans oublier la question du changement de mode d’organisation sociale parce que nos grands-parents vivaient des terres qu’ils entretenaient lors de rituels, et c’est ainsi qu’ils pouvaient éviter de telles catastrophes, même sans canadairs… », raconte F. « Il faut créer une conscience écologique, cela est à notre portée. Cette conscience écologique, nos grands-parents l’ont eue : ils étaient écolos sans le savoir ! Si leurs savoir-faire liés à la terre ont été abandonnés pour des raisons économiques, il en demeure des survivances (…). Sans être nostalgique d’un passé révolu, je pense qu’il faut renouer avec nos pratiques en leur insufflant un souffle nouveau. ».

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Adel Ayadi renchérit : « Mon combat est aussi, voire surtout, tourné vers le citoyen car c’est le citoyen qui vit dans ces terres (…) Les gens doivent prendre conscience que l’Algérie est en première ligne du dérèglement climatique, tout cela peut s’accentuer, se répéter fréquemment. Les gens doivent se réveiller, on doit être responsables ! ».

Photo prise à Thinzar (Boghni, dans la wilaya de Tizi-Ouzou), les villageois constatent l’arrivée du feu dans leurs terres.
Photo prise à Thinzar (Boghni, dans la wilaya de Tizi-Ouzou), les villageois constatent l’arrivée du feu dans leurs terres.

« J’ai toujours adoré la Kabylie (…), c’est un vrai trésor et le fait de voir toutes ces terres bruler, c’était horrible. Émotionnellement, ça m’a fait un choc. Au début, j’étais préoccupée par l’urgence matérielle et puis sur la route, je me suis mise à observer les paysages et le choc était d’une intensité inexplicable. S’ajoute à cela la tragédie de la mort de Djamal. C’est très dur psychologiquement », avoue Katia.

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C’est pour faire à cela qu’une équipe de bénévoles dont est membre Adel Ayadi propose des ateliers d’art thérapies destinés aux victimes des incendies, aux côtés de psychologues et d’artistes (checker les réseaux sociaux de ce dernier pour en savoir plus).

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[1] Meddour-Sahar, Ouahiba, Rachid Meddour, Vittorio Leone, et Arezki Derridj. 2015. « Motifs des incendies de forêt en Algérie : analyse comparée des dires d’experts de la Protection Civile et des Forestiers par la méthode Delphi ». VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, no Volume 14 Numéro 3 (janvier). https://doi.org/10.4000/vertigo.15462.