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Le Marseillais Abraham Poincheval fait Montréal-Québec à pied et en armure

Tel un chevalier errant.

Par
Hugo Meunier
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Le Marseillais Abraham Poincheval, 50 ans, visite le Québec pour la toute première fois de sa vie.

Mais plutôt que de se précipiter à la Banquise manger une poutine, visiter le Montréal souterrain ou observer les écureuils du parc Lafontaine, l’artiste français pluridisciplinaire abattra les 280 kilomètres reliant la métropole à la ville de Québec à pied et vêtu d’une armure durant neuf jours, dans une sorte d’exposition itinérante inédite dont il s’est fait une spécialité.

Avec une réplique exacte d’armure du XIVe siècle moulée sur mesure et pesant 34 kilos, il empruntera le Chemin du Roy (la route 138), soit la plus vieille route qui reliait jadis les deux villes au temps de la Nouvelle-France. Ce voyage pédestre sera parsemé d’une dizaine d’escales, où les gens sont invités à aller rencontrer l’artiste et à s’immiscer dans ce tableau vivant anachronique. « Le rapport qu’on a de la ville et du paysage est construit selon notre époque. Je voulais voir ce que ça donne si on décale un peu cette époque », mentionne Abraham Poincheval pour expliquer la genèse de son chevalier errant, qui a déjà mené une expérience semblable en Bretagne en 2018.

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J’ai rencontré l’artiste immersif la veille de son départ pour discuter de ce projet de fou, mais aussi des autres créations qui ont précédemment marqué son parcours unique.

Je l’ai rejoint dès son arrivée à Montréal (après quelques jours à Québec pour préparer l’exposition), à la fonderie Darling, d’où s’est amorcé son périple vendredi matin.

Il était flanqué de Geneviève Roy, la directrice administrative du Centre en art actuel Le Lieu, qui accompagnera l’artiste sur sa route (au volant d’un camping-car) durant les neuf jours de son épopée. C’est elle qui a établi des ponts avec divers partenaires dans les villes-étapes que le chevalier visitera sur sa route, notamment une galerie d’art à Repentigny, un vignoble à Yamachiche, un casse-croûte à Batiscan et un camping à Saint-Augustin-de-Desmaures (la liste complète est sur le site de l’organisme).

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« Ça suscite de l’intrigue, tout le monde a hâte de le voir. On finira ça avec un méga-vernissage à Québec le 26 juin, en recréant une sorte de fête du village à l’arrivée du chevalier », explique Geneviève Roy, qui a acheté du WD40 au cas où la pluie et la rouille se mettent de la partie.

Justement, l’orage gronde lorsque j’arrive à la fonderie Darling, où Abraham m’explique un peu le contexte dans lequel il s’apprête à prendre part à l’expédition.

Après avoir fait les Beaux-Arts en France, il impute au départ à des raisons économiques le fait d’être devenu un « artiste de performance ». « Faute d’argent, je me suis dit que mon corps pouvait devenir mon atelier », souligne l’artiste, qui a mis cet atelier au service de l’art comme personne.

Sa première création immersive remonte à une vingtaine d’années, lorsqu’il décide de traverser la France en ligne droite simplement avec une boussole (c’était avant les GPS). « On a décidé de prendre une ligne classique et de proposer une redécouverte d’un territoire ultra-connu, ce qui avait donné une relecture de l’espace assez forte », raconte Abraham, qui offre une sorte d’exposition vivante de chaque expérience au fil d’arrivée, en partageant ses rencontres, impressions et anecdotes.

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Abraham a aussi couvé dix œufs 24 heures sur 24 durant 21 jours devant public. « J’ai eu neuf poussins, dont une poule encore vivante ! », souligne l’artiste, pour qui la présence et le contact direct avec les spectateurs et spectatrices sont importants, en plus d’être des parties intégrantes du processus créatif.

Abraham Poincheval s’est également offert un huis clos à rendre fou toute personne claustrophobe en prenant place durant huit jours dans une cavité ajustée à sa silhouette creusée à l’intérieur d’un bloc de pierre de douze tonnes. « J’aimais l’idée d’une discussion avec un objet inanimé », souligne Abraham, qui a eu l’idée de ce sujet au cours d’une balade en montagne.

Enfin, Abraham a également vécu deux semaines à l’intérieur d’un ours naturalisé, remonté le Rhône à bord d’une bouteille géante et marché sur les nuages accroché à un harnais suspendu à une montgolfière.

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De tels exploits requièrent une excellente forme physique et mentale et de l’investissement (beaucoup) et impliquent des défis logistiques teintés d’ingéniosité. « Dans l’expérience de la pierre, celle-ci était moulée sur mon corps et je ne pouvais pas bouger pendant une semaine. On avait creusé des conduits de ventilation pour manger, de même qu’un espace d’évacuation », explique celui qui mène de tels projets pour lui-même, tout en appréciant l’intérêt médiatique qu’ils suscitent à l’occasion. « Mes proches ont un peu peur parfois, vivent des angoisses, mais sont aussi curieux et me supportent là-dedans. »

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Une expérience donquichottesque

Reconnaissant que le projet de chevalier errant au Québec est très « français » (on n’a ici pas un gros historique médiéval, sauf à Bicolline) Abraham Poincheval assume le cliché anachronique et souhaite vivre le mythe à fond. « En France, on est sur des micro territoires et on a le récit des grands espaces au Canada. J’aimais bien l’idée de rejoindre deux grandes villes et d’inventer une histoire en chemin et réinventer une épopée. Il y a quelque chose de donquichottesque », illustre l’artiste, qui marchera entre 15 et 30 kilomètres par jour sur cette route ancestrale de campagne située près de l’autoroute 40.

Il aura besoin d’aide pour enfiler son armure de fer fabriquée sur mesure par un artisan italien, d’une valeur d’environ 3000 euros. Il s’agit d’une réplique exacte de celle portée par les chevaliers du 15e siècle. « Des fois, je vais marcher seul, d’autres fois, je serai accompagné. Les escales en chemin seront comme des petits châteaux forts », souligne Abraham, qui dormira la nuit à l’intérieur de son camping-car en compagnie de Geneviève et d’autres membres de son équipe, pour reprendre la route au matin.

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Après cette errance chevaleresque, Abraham caresse le projet de vivre dans une ruche avec 20 000 abeilles pour explorer l’idée d’une cellule sociale organisée et matriarcale. « J’ai décidé de me dire que je n’ai qu’une vie à vivre et que j’allais la rendre enthousiasmante », résume sobrement Abraham Poincheval, sans lésiner sur l’euphémisme.

Avant de partir, l’artiste accepte d’enfiler son armure pour les besoins d’une photo. Il extirpe les morceaux pesants de deux valises, avant de les revêtir un à un avec l’aide de Geneviève. Une sorte de répétition de ce qui les attend pour les neuf prochains jours.

Abraham dit avoir été au départ surpris de la mobilité fluide et de la souplesse des mouvements avec un tel attirail.

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Lorsque je lui fais remarquer qu’il ne traîne avec lui ni épée ni bouclier, il sourit. « Je trouvais le côté guerrier un peu rude. J’aime mieux le côté Don Quichotte du chevalier en retard à la bataille, le chevalier perdu, quoi… », résume-t-il.

Bref, si vous êtes au Québec en ce moment et que vous croisez un preux chevalier en armure sur votre route, vous n’êtes pas devenu fou. Allez plutôt le saluer : en plus d’être désarmé, il est très sympathique…et probablement à votre service.