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« Le mariage de ma sœur a été interrompu par le séisme au Maroc »
« J’ai tout de suite compris ce qu’il se passait, j’ai crié à tout le monde de sortir. Les gens croyaient que c’était un train qui passait! », se souvient Charaf Bouregaa, à propos de sa soirée de vendredi. « Je peux te dire qu’on l’a vraiment sentie bouger, la Terre ! Je voyais le mur bouger, se rapprocher de moi. J’avais déjà ressenti des séismes au Québec, mais des petits 3 (sur l’échelle de Richter; NDLR). Je n’avais jamais senti quelque chose comme ça, je ne le souhaite à personne. Tu comprends très rapidement, en quelques secondes, à quel point tu n’es rien sur cette Terre. »
Si beaucoup d’images de ce séisme dévastateur que l’on voit dans les médias nous montrent des immeubles affaissés de la ville médiévale historique de Marrakech, ce sont les régions montagneuses du Maroc qui ont été le plus affectées.
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Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, un tremblement de terre d’une magnitude de 6,8 s’est déclaré tout près d’Adassil, dans les montagnes de la province du Chichaoua.
Selon les derniers bilans, le nombre total de morts approcherait la barre des 3 000 dépouilles, alors que plusieurs corps n’ont toujours pas été sortis des décombres.
Dans la région du Haut-Atlas, des villages entiers aux habitations traditionnelles, souvent faites de terre cuite, ont été rasés. « Il y a une quarantaine de villages complètement isolés, impossible d’accès par voiture : il faut s’y rendre à dos d’âne, même en temps normal », m’explique Charaf.
Un mariage interrompu
Le Montréalais d’origine marocaine, qui est bien connu du milieu musical québécois et gère entre autres les carrières de rappeurs comme White-B et Lost, se trouvait à environ 80 kilomètres de Marrakech lorsque le séisme est survenu, vers 23h11, vendredi soir dernier. La soirée avait déjà un caractère spécial : plusieurs amis et membres de la famille s’étaient déplacés de l’extérieur du pays pour y célébrer le mariage de sa sœur.
Dans son cas, plus de peur que de mal, me rassure Charaf : la région où il se trouvait a été relativement épargnée. Toutefois, il est chanceux et a eu les bons réflexes.
Une fois dehors, les quelque de 200 personnes réunies pour le mariage ont attendu plusieurs heures avant de regagner leurs domiciles, de peur que d’autres répliques ne surviennent, car les tremblements de terre surviennent généralement en vagues. Grâce à une application de séismologie, Charaf a pu s’assurer qu’ils étaient hors de danger et le mariage a pu se poursuivre.
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« Dans notre tradition, on ne peut pas interrompre une cérémonie aussi importante. Surtout qu’il n’y a pas eu de dégâts ou de mort d’homme. Un mariage, ça demande beaucoup d’efforts, d’argent, de déplacements de la famille », rapporte-t-il.
Même en temps normal, m’apprend Charaf, une cérémonie de mariage prend le pas sur un décès. « S’il y a un mort au village et que la famille assiste à un mariage, les familles demandent à leurs proches de continuer les célébrations du mariage. Les moyens qui sont mis pour une cérémonie du genre sont trop importants pour l’annuler. Donc on a continué, mais le cœur lourd pour les familles. »
La patrie et le devoir
Dès le mariage terminé, toutefois, tout le monde a mis la main à la pâte. Déjà, il fallait tenter de contacter toute la famille répartie à travers le pays pour s’assurer que tout le monde soit sain et sauf. Les lignes téléphoniques ont été interrompues, engendrant des heures d’attente et d’incertitudes. Puis, dès que l’ampleur des dégâts a été mesurée, des mesures concrètes ont été prises : envoyer de l’aide, de l’argent, de la nourriture, donner du sang… « Tout le monde a trouvé un moyen d’aider à sa façon, la famille et les amis se sont vite mobilisés ».
L’aide sur le terrain des différents corps gouvernementaux et humanitaires a rapidement été déployée, du moins, dans les régions encore accessibles.
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« C’est la pire catastrophe qu’a connu le pays depuis 60 ans, rappelle Charaf. Les survivants entre eux, et le reste de la population marocaine, se sont mobilisés. C’est un très grand élan de solidarité, du jamais vu ici depuis des années. Tous les centres de dons roulaient à pleine capacité, on faisait la queue pour donner du sang. Les habitants ont offert de déployer leurs camions pour les remplir de bouffe, de matelas, des médicaments : tout ce qu’il fallait pour venir en aide et assister les pompiers et les villageois sur le terrain, qui sont encore en train de sortir les morts. »
Affirmer son indépendance et son expertise
Charaf m’avoue aussi être quelque peu agacé par la manière dont les médias occidentaux ont jusqu’à maintenant traité les contrecoups du séisme. Entre autres, le fait que l’on insiste autant sur le fait que le Maroc aurait refusé l’aide étrangère, notamment celle de la France. En réalité, m’explique-t-il, c’est beaucoup plus nuancé que cela.
« Il faut comprendre qu’on ne peut pas accepter toute l’aide en même temps. Jusqu’à maintenant, le Maroc n’a accepté l’aide que de quatre pays alliés : le Royaume-Uni, l’Espagne, les Émirats Arabes Unis et le Qatar, parce que ce sont les pays qui nous ont proposé une aide claire et ciblée, avec un réel plan stratégique derrière », précise-t-il.
« D’accepter l’aide de chaque organisme et de déployer tout ça en même temps, ce n’est pas ce dont le pays a besoin », souligne Charaf, faisant écho aux explications de nombreux experts en politique internationale.
Surtout que, comme mentionné plus tôt, beaucoup des régions affectées sont difficiles d’accès.
Une fois le gros de la crise terminée et les décombres nettoyés, d’autres phases d’aide internationale pourraient alors être nécessaires. Mais le Maroc est, pour l’instant, et comme le rappelle d’ailleurs la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, « seul en mesure de déterminer quels sont ses besoins et le rythme auquel il souhaite que des réponses soient apportées ».
Encore beaucoup de travail
Pour sa part, Charaf compte rester encore une semaine dans son pays pour venir en aide comme il le peut. Les photos qu’il nous a fait parvenir témoignent de l’ampleur des dégâts et de tout l’ouvrage qui devra être mis en œuvre afin de reconstruire.
Plusieurs familles ont vu leurs vies entières s’effondrer sous leurs yeux, des membres de leurs familles périr sous les décombres. Le dommage n’est pas que superficiel; ce tremblement de terre représente une coupure profonde dans l’histoire du pays. Mais le sentiment d’unité nationale est bien réel, nous rassure Charaf. « Tous les Marocains se sentent personnellement affectés : on se voit tous comme une grande famille, en ce moment. »
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De peur que les dons recueillis par de grosses ONG ne tardent à arriver sur le terrain, et afin de mieux financer des opérations ciblées, un fonds spécial pour la gestion des effets du tremblement de terre a été mis en place pour les personnes qui souhaitent faire un don.
Selon les dernières estimations des autorités marocaines, le bilan serait jusqu’À maintenant de 2 900 morts et plus de 5 500 blessés.
De plus, l’Organisation mondiale de la santé estime à plus de 300 000 le nombre de sinistrés. Ce tremblement de terre aura des effets qui se feront ressentir sur le pays pour encore plusieurs mois et années. Toutefois, conclut Charaf, cet événement tragique soudera le pays pour le futur et offrira la chance au peuple de mieux rebâtir le Maroc, tant au niveau infrastructurel que sociologique.