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Le marché méconnu et (parfois) payant des noms de domaine

Négocier des URLs au lieu de propriétés immobilières. 

Par
Julien Lamoureux
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En 2005, une entreprise touristique aurait acheté le site web LasVegas.com pour la coquette somme de 90 millions de dollars, selon George Kirikos, un expert du milieu des noms de domaine. Ce n’est presque rien comparé aux 872 millions qui auraient servi à acheter le convoité Cars.com.

(Pour votre gouverne, un nom de domaine, c’est le nom d’un site web et son extension; ici, c’est urbania.fr. C’est à partir de ce nom de domaine que sont formées toutes les adresses URL qui sont rassemblées sur un site.)

Ça fait beaucoup de millions pour se procurer un terrain sans bâtiment construit dessus, pour reprendre la métaphore immobilière. Pourtant, ce sont ces chiffres qui font rêver les gens qui pratiquent le domaining, ou domain flipping.

C’est quoi, le domain flipping ?

Le concept est tout simple.

Il s’agit d’acheter des domaines, de payer pour les renouveler d’année en année et d’espérer qu’ils prennent de la valeur pour les revendre à un prix décuplé, souvent à une entreprise qui veut être trouvable facilement sur le net.

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Inutile de vous dire que, la plupart du temps, les ventes ne sont pas dans les neuf chiffres.

Cette activité demeure méconnue du grand public, mais pour les initié.e.s, il existe des structures bien implantées. Par exemple, il y a le forum DN, qui est un lieu d’échanges pour les gens qui veulent acheter et vendre des sites web. Des plateformes de mise en marché, comme Dan.com et Squadhelp, permettent de mettre en relation des vend.eur.se.s et des achet.eur.se.s. Il y a même Domain Name Journal, un média on ne peut plus niché, qui s’intéresse à l’industrie des noms de domaine.

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Jouer le long jeu

« Je viens de Cuba. Et les Cubains, on a un côté très entrepreneur », me dit d’emblée à l’autre bout du fil Dariel Frometa Bauta, 35 ans, résident de Coaticook, au Québec. « Alors, quand je suis arrivé [au Canada], j’ai cherché des opportunités d’affaires. Sur YouTube, j’ai entendu parler du domaining », ajoute-t-il.

« Je voyais beaucoup de gens qui vendaient des domaines et qui vivaient de ça. » Mais pour Dariel, c’est un moyen d’arrondir ses fins de mois sur le long terme, puisqu’il travaille à temps plein dans une laitière artisanale et n’a pas l’intention de quitter le plancher des vaches.

« C’est vraiment on the side. Je m’attends pas à gagner ma vie avec ça. Si je fais une vente, tant mieux. »

D’ailleurs, un, c’est exactement le nombre de domaines qu’il a réussi à refiler avec le temps. Il m’assure avoir vendu brucky.com pour environ 900 euros alors qu’il l’avait acheté 55 euros. Une belle marge de profit de 1500%, à en croire ses dires.

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« Je ne sais même pas qui l’a acheté ni pourquoi, admet-il. Et il n’y a même pas de site web qui a été créé [sur ce nom de domaine] encore. » Mystère.

Pourquoi avoir acheté ce domaine, au départ ?

« Les noms courts, c’est difficile à trouver. Alors, les gens sont prêts à payer cher. »

Quand il a vu que, pendant une ronde de vente aux enchères, brucky.com générait un peu d’intérêt, Dariel a décidé d’investir. C’est aussi simple que ça.

Dariel (comme moi) ne connaissait même pas la définition du mot « brucky ». Une petite recherche par la suite m’a permis de découvrir que c’est le nom parfois utilisé pour une arme à feu dans l’argot des gangs de rue de Londres. Est-ce la raison pour laquelle une entité a voulu payer plusieurs centaines de dollars pour l’acheter? Encore une fois, mystère.

Trucs de pro

Selon les experts, il faut viser des noms qui sont courts, riches en mots-clé, faciles à mémoriser et commercialisables.

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On met aussi l’accent sur l’extension du domaine (ce qui vient après le point).

« .com » a encore la plus grande valeur, d’autres domaines nationaux sont très recherchés.

Et il faut garder en tête les tendances du marché; ces temps-ci, par exemple, les adresses « .ai » pourraient rapporter gros.

(Fun fact : l’extension .ai est en fait celle associée à l’île d’Anguilla, dans les Caraïbes, pour qui le développement de l’intelligence artificielle pourrait donc devenir une source de revenu inattendue.)

Dariel endosse ces stratégies. Selon lui, il faut prendre des chances avec des termes qui pourraient ne jamais servir, mais dont on ne connaît pas nécessairement le potentiel. En ce moment, sur son compte LinkedIn, il fait la promotion de certains noms de domaine qu’il aimerait vendre, dont bees247.com, simple.org et feedthecows.com.

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L’investisseur rappelle toutefois aux gens de garder en tête les marques déposées. N’allez pas acheter facebook.net ou instagram.fr.

Notre spécialiste à mi-temps dit avoir un portfolio d’une centaine de noms de domaine accumulés depuis trois ans qu’il espère vendre à profit, dans un horizon de cinq à dix ans. Puisqu’il faut payer pour le renouvellement des domaines d’année en année, il devra peut-être faire une croix sur certaines de ses possessions et les abandonner.

Alors, non, le domaining n’est pas une recette secrète qui va payer à tout coup. « C’est comme n’importe quel investissement, finalement », conclut Dariel Frometa Bauta.