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Le jour où Papa m’a annoncé qu’il aime les hommes
« Oh wow… ç’a dû être bizarre à vivre, non ? »
C’est souvent la première (des nombreuses) question qu’on me pose lorsqu’il m’arrive de laisser tomber au cours d’une conversation que mon père est gay. J’aimerais bien pouvoir dire que ça a été compliqué, que s’en est suivi une incompréhension totale et une grande rébellion. Ou, à l’inverse, que cet événement m’a permis de me rapprocher de mon père.
Une douzaine d’années plus tard, il est certain que je reconnais mieux certaines habitudes ou réactions que j’ai eues et que ma relation avec mon père aujourd’hui est beaucoup plus amicale et bienveillante qu’à l’époque.
Mais pour être honnête, sur le coup, j’étais en train de perdre à Need for Speed; je voulais juste vraiment finir de jouer à mon jeu vidéo.
De toute façon, ce coming out signifiait pour moi un événement positif. Mes parents allaient enfin se séparer, donc finies les disputes à la maison. Et peut-être que maintenant qu’il avait fait le move de nous le dire, mon père allait se sentir plus heureux, libre et accompli. Tant que je restais son petit garçon et que j’avais l’intime conviction que son orientation (on parlait encore à l’époque de « choix de vie ») n’avait pas d’incidence sur l’amour qu’il avait pour moi, ça m’était complètement égal.
Au-delà des blagues et stéréotypes
Plus le temps et les mentalités avancent, plus je rencontre des gens dont les parents ont aussi fait leur coming out. Après tout, les parents queer ne sont pas un nouveau phénomène; ils se sentent juste assez libres maintenant pour pouvoir le dire à leurs enfants.
Il n’y a pas de manière parfaite de faire son coming out à son enfant ou de réaction parfaite en tant qu’enfant qui vit cette expérience.
Caroline avait 11 ans lorsque son père a annoncé à la famille qu’il était homosexuel. Comme plusieurs, sa réaction a été de faire une blague pour tenter de détendre l’atmosphère. « Je lui ai dit : “c’est bon, tant que tu ne te mets pas à porter des cuissardes !” »
Elle explique que bien que son père ait ouvert grand la porte à toutes les questions que Caroline et ses sœurs pouvaient avoir, celles qu’elles se posaient étaient plus introspectives.
« À cet âge-là, je n’avais pas de référence, les stéréotypes étaient encore bien présents. Je ne comprenais pas complètement, je me demandais si c’était héréditaire et si ça voulait dire que je serai lesbienne en grandissant, se souvient-elle. Je me demandais aussi comment ça serait quand je rencontrerais ses mecs : ça serait quel genre de personne ? Seraient-ils très flamboyants ? »
Une vingtaine d’années plus tard, Caroline et son père restent très proches. Elle avoue toutefois que ce moment de sa vie, comme plusieurs d’entre nous, lui semble maintenant flou. « On dirait que je n’arrive plus à distinguer quels sentiments découlaient du coming out et lesquels venaient de faire le deuil de mes parents en tant que couple. »
« Au moins, je n’aurai pas de méchante belle-mère ! »
Victoria avait également 11 ans quand son père a fait son coming out, mais comme ses parents étaient déjà séparés, la transition a été plus simple pour elle.
« J’étais en cinquième année et j’avais un professeur gay. On n’en parlait pas, mais tout le monde le savait et était cool avec ça. Un jour, mon père lui a parlé et lui a dit qu’il comptait m’annoncer qu’il était gay. Il avait peur de comment je pourrais réagir, il voulait des conseils et lui et mon prof ont formé une relation de confiance, se rappelle-t-elle. Il m’a dit très ouvertement : “J’ai aimé maman, mais je veux être avec des hommes”. »
Ayant grandi dans un milieu assez ouvert, Victoria avait l’avantage que la mère de l’une de ses amies soit également homosexuelle. Cela l’a rassurée : elle avait autre chose que des stéréotypes sur lesquels se baser. « Ma réaction initiale, c’était de me dire qu’au moins, je n’aurais pas de méchante belle-mère. J’aurais mon père à moi seule ! »
Lorsqu’un parent fait un coming out, c’est souvent un long processus pour tous ceux impliqués.
Dans mon cas comme dans celui de Victoria et de Caroline, il a fallu un moment avant que l’on se mette à en parler avec les gens autour de nous. Pas par gêne ou par honte, mais parce qu’il faut souvent du temps avant que le parent fasse son coming out aux autres personnes.
Le père de Victoria, par exemple, a mis plusieurs années avant de l’annoncer au reste de sa famille, qui était plutôt conservatrice. Le père de Caroline a de son côté attendu avant d’annoncer à ses collègues la vraie raison de son divorce. « J’ai l’impression que je n’en parle pas tant, parce que ce n’est pas mon expérience », explique Victoria. « Sinon, je fais juste le mentionner au passage, comme un détail. »
Apprendre à bien en parler
L’annoncer à son entourage, c’est aussi ouvrir la porte à l’étonnement et à une vague de questions auxquelles on n’a pas forcément les réponses. « Pour mes amis à l’école, c’était presque anecdotique, personne n’était outré ou scandalisé, se rappelle Caroline. Les gens sont surtout étonnés, genre, “Ah ouais, mais il a eu trois enfants avant de s’en rendre compte?”, des questions comme ça. »
Idem pour Victoria qui fréquentait une école pour filles, un lieu où les questionnements au sujet de la sexualité faisaient souvent partie des conversations. Pas de stigmatisation de son côté, mais des questions parfois déplacées.
Aujourd’hui, les deux jeunes dames disent jouir d’une relation très spéciale avec leurs pères, l’homosexualité de ces derniers devenue réellement anecdotique.
« Je trouve ça vraiment bizarre de l’imaginer avec une femme, maintenant ! », constate Caroline.
Maman depuis maintenant neuf mois, Victoria révèle déjà penser à la manière dont elle expliquera l’homosexualité de son grand-père à sa fille. « On en a parlé avec mon père, de comment on allait lui dire. Mais aujourd’hui, il y a tellement de livres et de ressources qui aident à expliquer tout ça. J’aurais aimé avoir ça, à l’époque ! »
Si vous êtes enfant d’un parent qui a fait son coming out, rappelez-vous d’une chose : si ce moment ou cette situation est traumatisante pour vous, elle l’est d’autant plus pour votre parent pour qui cette révélation peut faire imploser son univers. Et si, à l’inverse, vous deviez vous retrouver à faire votre coming out auprès de vos enfants, assurez-vous de rester honnête et transparent : ils auront beaucoup de questions et d’inquiétudes, donc il sera important que vous soyez là pour eux.