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Si la religion est l’opium du peuple, le foot est sans aucun doute sa pipe à crack. En témoigne le dernier scandale en date du ballon rond, qui refoule comme des vestiaires en fin de match. En cause ? Les propos du président de la Fédération Française de Football, Noël le Graët, sur l’éventuelle nomination de Zidane comme sélectionneur de l’équipe nationale du Brésil.
Et si cette énième polémique laisse un goût amer à beaucoup d’entre nous, ce n’est pas tant à cause de la mesquinerie des déclarations du dirigeant breton sur notre Zizou national, que pour la levée de boucliers invraisemblable que ces quelques phrases ont pu provoquer chez tous les amateurs du ballon rond. Parce que, rappelons-le, Noël le Graët n’en est pas à son coup d’essai en matière de petites phrases “choc”, pour ne pas dire nauséabondes. Et ses précédentes sorties médiatiques ont probablement été bien plus dévastatrices pour les personnes concernées que ces quelques piques à l’encontre de l’ancien champion du monde.
Pourtant, depuis son carton rouge radiophonique, les supporteurs réclament sa tête sur un poteau de corner. Et ils ont même trouvé leurs héros en la personne d’Hugo Lloris qui a réclamé « du respect » pour la légende du foot, ou de Kylian Mbappé qui s’est fendu d’un tweet indigné aimé plus d’un million de fois. Mais les courageux redresseurs de tort de l’Équipe de France se sont faits bien plus plus discrets quand il s’agissait de dénoncer son homophobie abjecte, ses dérapages racistes ou encore son mépris total pour les conditions des travailleurs au Qatar. Quant aux fous de foot, leur silence était assourdissant.
Où étaient les appels à dégager le patron de la FFF quand il arguait « qu’on arrêtait trop de matches » pour des manifestations homophobes dans les stades, que le « racisme dans le foot n’existe pas » ou que les conditions de vie insalubres des employés de l’hôtel de luxe censé accueillir les Bleus à Doha pouvaient se régler « d’un coup de peinture » ? Où étaient les révoltés du fond du stade quand le magazine So Foot a mis en lumière, dès le mois de septembre,les accusations de harcèlement sexuel contre Noël le Graët ? Où était l’opposition franche ? Massive ? Collective et hostile ? Pas du côté des aficionados qui ont préféré regarder ailleurs. Parce que si les médias (et les twittos militants) n’ont jamais manqué de s’emparer de ces sujets en dénonçant les propos et les agissements du dirigeant breton, le mouvement de protestation n’avait alors pas emporté l’adhésion des foules. Du moins, pas suffisamment pour qu’il se retrouve comme aujourd’hui sur la sellette.
Les scandales passent, les footeux restent
Tout semble glisser sur les géants du foot. Ainsi on pourra citer la condamnation dans une affaire judiciaire de Karim Benzema qui lui a valu un an de prison avec sursis et 75 000 euros d’amende pour un chantage à la sextape, mais n’a pas empêché son retour en grâce dans le coeur des Français.es, sa réintégration à l’équipe nationale ainsi que son couronnement en tant que Ballon d’or 2022.
On pourra également souligner le soutien affiché de Neymar à un homme d’état politique d’extrême droite accusé d’écocide et de génocide envers les peuples autochtones comme Bolsonaro (et rappeler que l’attaquant du PSG a publiquement appelé à voter pour lui à plusieurs reprises lors de la dernière présidentielle au Brésil).
Enfin, on pourra dénoncer l’arrivée récente d’un joueur ouvertement fasciste dans les rangs de l’Olympique Lyonnais et l’indifférence totale de son entraîneur – Laurent Blanc – qui préfère botter en touche en vantant les qualités humaines et sportives de Dejan Lovren plutôt que remettre en question le recrutement de ce nouveau défenseur dans un club déjà gangréné par ses hooligans d’extrême droite. Sans oublier le maintien dans le club d’un autre défenseur, Jérôme Boateng, condamné en Allemagne pour violences conjugales…
Une fois les quelques cris d’orfraie poussés et les débats épuisés, les joueurs et les entraîneurs redeviennent des superstars, parfaitement imperméables à la honte.
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Une exigence d’exemplarité absurde ?
Au-delà de ces faits d’arme peu glorieux dont certains tombent sous le coup le la loi, les légendes du foot doivent-elles être irréprochables ? Probablement pas. Et peut-être demande-t-on aujourd’hui aux sportifs de se positionner sur des questions de société très éloignées de la mission première qui leur est collectivement confiée : emporter la victoire et faire vibrer les stades. Mais le foot (n’en déplaise à Emmanuel Macron) est politique. Et on peut malgré tout déplorer que ses plus grands talents prétendent porter à travers leur maillot des valeurs qu’ils peinent en réalité à incarner en dehors des pelouses.
Plus encore, nous devrions avoir cette exigence pour nous-mêmes en tant que supporters. Celle de ne pas nous asseoir sur nos grands principes, dès qu’un titre est en jeu. Celle d’écouter moins notre instinct grégaire et notre esprit de compétition que la petite voix intérieure qui nous rappelle que le sport est un divertissement comme un autre, et que ses acteurs devraient être soumis, dès qu’ils déraillent, à la même intransigeance que ceux des autres industries du spectacle.
Car si dans le monde de la musique comme du cinéma, les odeurs de soufre qui entourent un film ou un.e artiste paraissent désormais opérer un tri entre les fans les plus zélés et les autres, dans celui du foot, le public idolâtre est au diapason. Et qu’on soit un supporteur hardcore ou un simple footix, notre boussole morale semble encore n’indiquer qu’une seule direction : celle de la surface de réparation.