Le fantôme de Travis Barker (est assez cool)

Travis Barker et Kourtney Kardashian ont annoncé leurs fiançailles cette semaine. C’est une nouvelle qui peut paraître anodine et superficielle à première vue, comme toutes les nouvelles à propos de la famille Kardashian. Après tout, les gens se fiancent, se marient et divorcent chaque jour.

Qu’est-ce que ça peut bien foutre qu’une sœur Kardashian déclare sa flamme à un énième blaireau dans tous les tabloïds de la planète ?

C’est un peu la consécration pour Barker. L’apothéose de son retour d’entre les morts (littéralement) pour reconquérir la culture populaire. C’est on-ne-peut-plus Halloween comme histoire. C’est aussi on-ne-peut-plus inspirant. Vous devriez clairement vous soucier du bonheur de Travis Barker. C’est un fantôme du passé qui bâtit des ponts entre les générations.

Pour les non-initié.e.s (ou peut-être juste les gens nés après 1996), Travis Barker est le batteur du groupe pop punk Blink-182. Le trio californien a popularisé et surtout démocratisé le mouvement punk auprès des ados banlieusard.e.s au tournant du millénaire. Leur philosophie, c’était qu’on n’avait pas besoin d’haïr la société pour faire de la musique punk. Il fallait juste être légèrement insatisfait de sa vie et arrêter de la prendre au sérieux.

Blink-182, c’était les voyous gentils de la culture populaire dans les années 90. Les p’tits cons qui font rouler les yeux du directeur de l’école avec leurs conneries inoffensives.

Après Green Day et The Offspring, Blink-182 est le troisième groupe punk le plus vendeur de tous les temps. Il a vendu plus de 35 millions d’albums et ses membres sont devenus des superstars. Barker est, sans l’ombre d’un doute, le premier batteur pop punk à devenir une personnalité publique importante. Non seulement il est charismatique, mais son talent et sa créativité musicale l’ont emmené à collaborer entre autres avec Slash, Eminem et Perry Farrell.

Cette carrière de collaborateur vedette est passée près de finir très tôt. Le 19 septembre 2008, Barker survit miraculeusement à un écrasement d’avion. Il devra subir 27 opérations, des transfusions de sang, des greffes de peau. La seule chose la plus terrifiante que mourir dans un accident d’avion, c’est peut-être d’y survivre. Écoutez-le raconter l’histoire à Larry King à vos risques et périls. C’est à en glacer le sang.

Travis Barker ne devrait plus être parmi nous aujourd’hui.

Bien qu’il n’ait jamais vraiment quitté les projecteurs, Travis Barker se réinvente depuis quelques années. Insatisfait de devenir « le vieux rockeur qui a survécu à un accident d’avion », il s’implique auprès des jeunes musicien.ne.s émergent.e.s comme aucune célébrité de son statut avant lui.

Il a entre autres enregistré un EP avec le groupe de rap $uicideBoy$, un autre avec Nothing, Nowhere, collaboré avec Trippie Red et plus récemment produit et collaboré sur l’album de Machine Gun Kelly Tickets to My Downfall, qui a transformé le rappeur en superstar de la musique pop punk. Il compte près de 40 collaborations au cours des trois dernières années.

J’vous vois venir avec vos gros sabots : « Ah, c’est bien. Il redonne au suivant. » Oui, mais non. La démarche de Travis Barker est plus profonde que ça. Il est passé à l’étape suivante de sa vie. Beaucoup de gens sont incapables de faire ça. C’est encore plus difficile pour ceux et celles qui ont eu beaucoup de succès. Assumer un nouveau rôle. Un autre que celui sur lequel on base notre identité.

Barker aurait pu se contenter d’être le batteur de Blink-182, faire vibrer les foules au rythme de What’s My Age Again? tous les soirs, vieillir avec les icônes de son âge et gueuler contre la musique des jeunes jusqu’à sa mort comme plusieurs autres. C’est pas ça qu’il voulait. Il est devenu producteur parce qu’il voulait échanger des idées avec les jeunes de la prochaine génération, influencer leur parcours et créer de nouvelles choses. En travaillant avec les musicien.ne.s ayant grandi avec sa musique, Travis Barker s’assure aussi de perpétuer l’amour de la pop punk pour les prochaines générations.

Plus on vieillit, plus on a la mauvaise habitude de se camper dans nos positions. Les goûts musicaux sont un bon baromètre pour votre vieux grincheux intérieur parce que la musique populaire est le seul médium artistique directement commercialisé aux jeunes. C’est plus important que votre neveu de 14 ans aime les nouveaux.elles artistes que vous. Quand on vieillit, c’est important de trouver une manière d’être pertinent.e dans le moment présent au lieu de s’accrocher à ses souvenirs, même si ça veut dire qu’il faut devenir quelqu’un d’autre. Assumer un autre rôle socialement ou professionnellement.

Travis Barker est redevenu cool non ironiquement. C’est pas kitsch ou vintage de le kiffer. Passer à la deuxième étape de sa vie, c’est important, et ça ne veut surtout pas dire qu’on renonce à la première. Ça veut juste dire qu’on n’est plus jeune et qu’on a un héritage à transmettre !