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Le drapeau français est-il la propriété de l’extrême droite ?

Une réflexion suite à la vidéo de TiboInShape.

Par
Bettina Zourli
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La semaine dernière, le YouTubeur français TiboInShape, suivi sur Instagram par plus de 4,9 millions de personnes, présentait sa salle de sport dont la pièce principale a été affublée d’un immense drapeau français. Il le filme de manière probablement très innocente, mais les réactions ne se font pas attendre. Il poste alors une vidéo en réaction à l’un des commentaires l’accusant d’être “une espèce de gros facho”. TiboInShape explique dans cette vidéo ne pas comprendre pourquoi l’on a si honte du drapeau français, alors qu’aux Etats-Unis par exemple, les habitants exhibent fièrement leurs couleurs nationales aux fenêtres, dans leur jardin, bref, se sentent appartenir à leur pays sans que cela ne pose de problème.

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Vraiment ? Je ne sais pas si TiboInShape est souvent allé aux Etats-Unis, mais cette représentation que l’on a des drapeaux brandis fièrement par toute la population étasunienne n’est en réalité pas vraiment une pratique nationale, mais bien locale.
En fait, si tu vas à New York, tu vas vite te rendre compte que le drapeau ne flotte pas du tout à toutes les fenêtres, et qu’il n’est en réalité présent que sur les bâtiments fédéraux. Il en est de même à San Francisco (Google earth est ton ami si tu veux vérifier), ou dans les villes progressistes des Etats-Unis en général. En revanche, les villes les plus conservatrices du pays, les anciens états du Sud notamment, et les zones moins urbaines, affichent allègrement cette fierté nationale.
Afficher son drapeau, si cela peut sembler anodin, relève d’un certain état d’esprit, et n’a rien de neutre.

Peut-on être fier d’être français.e ?

TiboInShape, dans sa vidéo, continue d’expliquer qu’il “faut être fier de son drapeau, de son pays, de son histoire – même si elle n’est pas parfaite, de sa culture”.
Jusque là, tout va bien … Ou pas. Évidemment qu’on a le droit d’être fier·e de son pays, mais en réalité, qu’est-ce que cela dit de nous ? Pourquoi est-on fier·e d’appartenir à un pays, d’avoir telle nationalité ?
Le concept de nationalité est assez récent à l’échelle de l’humanité, il découle de la naissance de la propriété, concept qui a engendré avec lui les premières guerres et croisades, dans l’objectif d’agrandir son territoire. S’il y a des pays, c’est parce qu’il y a possession des territoires par certains, et s’il y a possession, c’est souvent qu’il y a eu rapport de force.

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Les citoyen.ne.s qui sont fier.es de leur drapeau sont souvent dans une dynamique de possession : ici, c’est chez moi. Et si c’est chez moi, c’est bien pour témoigner que ce n’est pas à tout le monde.
Concernant TiboInShape, il n’est pas simplement fier d’être français, en réalité.
Mathieu Burgalassi, anthropologue et auteur de La peur et la haine, reprend les propos de TiboInShape et nous fait un petit historique de certaines publications de l’influenceur, qui s’exprimait sur ses réseaux en 2012 contre la réélection de Barack Obama et contre le mariage pour tous.tes : “Un noir réelu, le mariage pour les homosexuels adopté. Ça va pas être une journée facile”, peut-on lire le 7 novembre 2012 sur sa page Facebook.

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Il est fier d’être français dans l’idée d’une “tradition” chère aux nationalistes qui justifient leurs propos racistes par l’idée de protection nationale.

L’instrumentalisation par l’extrême-droite

Aujourd’hui, le drapeau tricolore n’a rien de neutre. Il ne représente pas seulement la France, mais bien son histoire, basée sur la colonisation, l’invisibilisation du racisme, du sexisme, bien caché derrière la valeur “universalisme” chère à notre pays. Le drapeau français ce n’est pas vraiment une histoire de baguette et de camembert (car si l’on parle de ça, je suis très fière d’être française, moi aussi !).

Le drapeau français et les citoyen.ne.s, c’est une histoire compliquée, en réalité. Si notre drapeau actuel, né en 1789 pour s’éloigner de la monarchie jusque dans les symboles, est alors un symbole de progressisme, comme l’explique l’historienne Carole Raynaud-Paligot, il fut au 20ème siècle peu à peu boudé par la gauche et approprié par la droite et l’extrême-droite. C’était déjà le cas avec les deux guerres mondiales, mais c’est bien la colonisation française qui a fini d’entériner la chose.
“C’est le seul parti qui, dans les années 70-80, lors de ses meetings, déployaient un immense drapeau tricolore porté aux quatre coins par quatre militants”, explique le spécialiste de l’extrême-droite Jean-Yves Camus à propos du Front National.

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“Les symboles changent de sens”, surenchérit encore Carole Raynaud-Paligot.

Et c’est exactement là où je souhaite en venir. On ne peut pas décorréler un symbole de son histoire. Bien sûr, on a le droit de ne pas savoir. Mais si l’on creuse ne serait-ce que cinq minutes, on découvre rapidement les enjeux de pouvoir et comment un groupe politique peut s’accaparer un mot, un symbole, un concept. Sur mon compte Instagram, je vous avais d’ailleurs détaillé l’histoire du mot “woke” et de son dérivé bien de chez nous, “wokiste” pour mettre en avant la reprise par l’extrême-droite d’un terme à la base inventé par les militant.e.s antiracistes aux Etats-Unis. En effet, il suffit de lire quelques articles pour voir à quel point le mot “woke” a été dépouillé de son sens originel et manipulé pour désigner l’ennemi de la stabilité conservatrice, alors même qu’il désigne simplement les personnes éveillées (littéralement, woke veut dire éveillé) aux inégalités structurelles de notre société.

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Alors, TiboInShape est-il un gros facho ?

Personnellement, je n’emploierai pas ce terme. Il est visiblement conservateur, homophobe, raciste, mais ne milite pas activement contre les droits de quiconque. Le jour où il sera subventionné par l’extrême-droite, on pourra toutefois se questionner (et peut-être dira-t-on qu’on l’avait vu venir…). Toutefois, cette polémique soulève un fait intéressant que l’on ignore encore trop souvent à propos des personnalités connues sur les réseaux sociaux : personne n’est neutre.
Que TiboInShape soit un influenceur fitness n’enlève en rien le bagages d’idéaux et de valeurs qu’il défend, et il est grand temps que l’on commence à avoir un minimum d’esprit critique quant au positionnement des personnes que l’on suit, regarde et soutient, même si leur contenu ne nous semble pas politisé. Nous le sommes en réalité tous.tes.