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Le discret retour de la série « In Treatment »
À la télévision comme au grand écran, les suites donnent rarement de bons résultats. Pour les compagnies de production, c’est souvent payant de miser sur une relation déjà existante entre un personnage et son auditoire. Si on annonce un nouveau film de Batman, plusieurs vont se déplacer sans avoir lu le synopsis ou avoir regardé la bande-annonce juste parce que c’est Batman. Sauf exception, les suites sont toujours un peu moins bonnes que les originaux et elles diluent graduellement nos sentiments envers une franchise.
Avouez-le, vous n’avez jamais été capables de regarder les cinq films de la série Die Hard au complet. Les deux derniers sont à l’héritage de John McClane ce que St. Anger et LuLu sont à l’héritage de Metallica.
Avouez-le, vous n’avez jamais été capables de regarder les cinq films de la série Die Hard au complet.
C’est pour ça qu’en général, les grands retours triomphants ne m’intéressent pas. Leurs bandes-annonces pompeuses avec les révélations savamment placées pour optimiser nos réactions émotives m’ont trop souvent brisé le coeur pour que je continue de leur prêter attention. Ce qui m’intéresse plus, c’est les petits retours; lorsque les personnages oubliés reviennent dans la culture populaire comme d’étranges fantômes d’un monde qu’on a laissé derrière. Et c’est le cas de la série In Treatment (en français, En analyse), de retour sur les ondes depuis la semaine dernière après un silence radio de dix ans.
Elle n’a pas changé d’un poil sur plusieurs aspects, mais sur plusieurs autres autres, elle a fait complètement peau neuve. Regardons ensemble comment elle a réussi à revenir des limbes télévisuels dans un monde complètement différent, sans perdre sa pertinence.
De Paul Weston à Brooke Taylor
Dans la nouvelle saison d’In Treatment, le psychologue Paul Weston est remplacé par Brooke Taylor (jouée par une Uzo Aduba qui ne s’inspire en rien de son personnage de Orange is the New Black), une thérapeute qui reçoit ses patients à la maison pendant le confinement en Californie. Le psychologue interprété par Gabriel Byrne fait toujours partie de la distribution, mais la série n’est pas à propos de lui.
Comme c’était le cas dans les saisons précédentes, In Treatment est séparée en blocs de quatre épisodes : trois dédiés aux clients (un préposé aux bénéficiaires bipolaire nommé Eladio, un fraudeur en probation nommé Colin et une ado aux relations familiales troubles nommée Laila) et un dédié aux problèmes qui hantent la thérapeute dans sa vie personnelle, soit ici l’alcoolisme et l’isolement.
J’ai personnellement un faible pour Colin, un homme pathologiquement incapable d’être honnête et authentique avec son entourage.
Les thématiques sont toutefois on ne peut plus différentes. J’ai personnellement un faible pour Colin, un homme pathologiquement incapable d’être honnête et authentique avec son entourage. D’entrée de jeu, il bombarde Dr. Taylor avec cette façade affable et bavarde d’un homme qui affirme avoir grandi intérieurement après être sorti de prison en espérant la flouer. Il est l’incarnation même de la personnalité que trop de gens aiment se forger sur les réseaux sociaux. Je prends une grande joie à regarder Dr. Taylor démolir sa mascarade semaine après semaine et faire ressortir la personne réelle derrière la construction identitaire derrière laquelle Colin se cache.
Je ne sais pas pour vous, mais j’éprouve un plaisir voyeur à essayer de comprendre pourquoi on se construit une image qui nous rend malheureux et dysfonctionnels. Cette malhonnêteté bénigne qui ne blesse que la personne qui ment, ça me fascine.
C’est encore pertinent en 2021 ?
Le critique du New York Times James Poniewozik mettait en doute l’idée de faire revivre In Treatment en 2021, après le succès d’une série comme Couples Therapy qui déconstruit les problèmes de véritables couples affectés par le confinement. Il a pas tout faux. Tant qu’à regarder des personnes sur le divan d’un psychologue à la télé, c’est beaucoup plus confrontant de regarder de vraies personnes aux prises avec de vrais problèmes.
Être témoin d’un processus thérapeutique dans son entièreté nous permet de développer les bonnes questions pour nous aider à sonder nos propres noeuds.
C’est là qu’In Treatment et sa fine plume prend tout son sens. Ce n’est pas là une série qu’on regarde juste pour la récompense émotive comme on pourrait le faire avec Couples Therapy. En mettant en scène des conversations qui mènent ultimement à la résolution de problèmes compliqués et contemporains, on vient à développer un vocabulaire nous permettent d’approfondir notre relation avec nous-mêmes. Être témoin d’un processus thérapeutique dans son entièreté nous permet de développer les bonnes questions pour nous aider à sonder nos propres noeuds.
Après trois épisodes, ma copine et moi, on s’est mis à se parler en langage de psychologues et on a passé un magnifique fin de semaine à s’interroger sur les raisons qui nous unissent et tout le tralala. Je ne connais pas beaucoup de séries qui provoquent ce genre de questionnement.
Avant que vous me disiez « ÇA S’PASSE PAS COMME ÇA DANS LA VIE », sachez que The Guardian a déjà sondé plusieurs psychothérapeutes à ce sujet et que le verdict est presque unanime : il s’agit d’une forme particulière de thérapie (la psychothérapie relationnelle), mais que les enjeux soulevés par In Treatement sont aussi près de la réalité que possible. Le fait que les personnages n’existent pas vraiment nous donne la distance émotionnelle nécessaire pour internaliser les questionnements qu’offre la série.
C’est là (à mon avis) sa grande valeur.
À regarder le week-end avec un p’tit verre de vin !