Logo

Le critique de film est-il encore utile ?

Par
Hanneli Victoire
Publicité

Avec l’érosion progressive de la presse culturelle et le fait que tout le monde puisse donner son avis en ligne (de manière plus ou moins construite) le métier de critique culturel est à la peine, particulièrement pour le cinéma. De nos jours, qui donc lit une critique professionnelle avant d’aller voir un film ? Est-ce un métier voué à la disparition ? Décryptage.

Des accroches sans effet

Magistral ! Une leçon de vie ! Poignant ! Des acteurs au sommet de leur art ! Vous avez sûrement déjà lu ces accroches sur des affiches de films dans l’espace public ou en bannière sur internet. Lorsque l’on demande à des amateurs de cinéma l’effet que leur procure ces pubs, les réactions sont mitigées. Pour Annabelle, 34 ans, médiatrice culturelle dans un musée de Lille “Clairement, ce n’est pas parce qu’il y a marqué “époustouflant” que je vais me précipiter en salle. On le voit partout, ça ne fonctionne plus.” Pour la jeune femme, le réflexe de lire des critiques avant d’aller voir un film n’a jamais pris. “Je ne lis pas trop la critique avant d’aller voir un film, je fonctionne beaucoup plus au bouche-à-oreille, ou bien si j’aime le ou la cinéaste et l’équipe d’acteurs.

Publicité

Pour certains, la critique est carrément repoussoir, comme pour Juliette, quarante ans, infirmière libérale, “je fais partie de la team qui préfère regarder les films sans lire les critiques ni voir les bande annonces.” Très critique des critiques, elle argumente “Non pas que je rejette leur professionnalisme, mais plutôt que je me demande d’où ils parlent pour s’autoriser à démonter un film, ou à en encenser un autre. Ce sont souvent des gens issus des mêmes milieux, il y a beaucoup d’entre-soi, de copinage, je ne fais pas confiance”. Les deux le confirment, le déclic pour aller voir un film vient bien plus de la renommée de l’équipe, du thème traité et du design de l’affiche plutôt que de la critique. Pour Léna Haque, journaliste cinéma indépendante (Nylon, Tapage, So Film…), ce désintérêt pour la critique pro n’est pas une surprise, “beaucoup de points de vue ne sont pas représentés dans la critique professionnelle, c’est dommage, on met de côté beaucoup de monde. De plus, le milieu reste très masculin”.

Les publications traditionnelles évincées par les plus jeunes

Dans l’émission France Inter On aura tout vu nommée “La critique cinéma, état des lieux” (13/01/2024), les quatre professionnels réunis pour parler du métier défendent tous le métier avec passion. Parmi les arguments avancés, la nécessité d’accompagner les spectateurs dans la compréhension avant comme après le visionnage du film, tout comme le besoin d’apporter des avis éclairés, indépendants des sirènes du marketing.

Publicité

L’exemple le plus récent reste la promotion du film Dune, de Denis Villeneuve. Si les images de tapis rouges avec les tenues époustouflantes de Zendaya ont fait le tour des réseaux, l’équipe ne s’est pas embarrassée et n’a donné aucune interview, ou presque, à la presse en France. Les deux seules prises de paroles des deux acteurs stars Zendaya et Thimothée Chalamet ont été accordées au podcast Canapé six places, de l’influenceuse Léna Situation et au média sur les réseaux sociaux Hugo Décrypte, ultra-plébiscité par les jeunes. Un choix de promotion calculé, qui évince la presse tradi au profit de formats médiatiques orientés Gen Z.

“C’est un métier qui ne se renouvelle pas du tout, et dont les perspectives de critiques ne bougent pas.”

Pour attirer le jeune public, Warner Bros a bien compris le marché des influenceurs et des réseaux sociaux. Pour Léna Haque, rien de surprenant à ce que les jeunes se détournent des médias plus traditionnels. Dans l’impossibilité de vendre des critiques plus engagés à certains médias, elle préfère les publier sur Instagram gratuitement “je me suis lancée sur Instagram, car je ne lisais nulle part les avis que j’avais après le visionnage d’un film. Certains critiques dans les médias tradis sont en place depuis plus de trente ans. C’est un métier qui ne se renouvelle pas du tout, et dont les perspectives de critiques ne bougent pas” Sur son compte, elle propose une lecture féministe, antiraciste et inclusive des films, dans des analyses réfléchies, allant au-delà de la simple critique formelle. L’érosion de la presse culture avec des titres qui ferment les uns après les autres confirme le lent désengagement des générations plus jeunes envers les publications traditionnelles.

Publicité

Plutôt que de fustiger des jeunes supposés “débiles” et “accro aux réseaux sociaux” la presse culturelle, dont la critique cinéma fait partie, n’a toujours pas fait son examen de conscience. Pourtant, la critique n’est pas morte, et reste nécessaire, “je me dis qu’il faut que je le crée, ce média cinéma engagé” se motive Léna Haque, “en France, dès que l’on dit que l’on propose un regard situé, on se fait traiter de wokiste tout de suite”. La jeune critique en est sûre, proposer des analyses culturelles pertinentes et sérieuses, en assumant un point de vue situé qui comporte forcément des biais, est non seulement possible, mais aussi nécessaire, dans un monde aux prises de position toujours plus polarisées.