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Le COVID des gens heureux

« La pandémie est la meilleure chose qui me soit arrivée. »

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Je n’ai que trois mots: VIVE LA PANDÉMIE ! », écrit mon amie Karine en réponse à un appel à tous sur Facebook, dans lequel je cherchais des gens qui ont connu une bonne année (financière et personnelle), malgré le COVID-19. Des gens qui se sentent même un peu mal de réussir alors que tout s’écroule autour.

En à peine quelques heures, des dizaines de témoignages se sont empilés dans ma boîte Messenger. Je me doutais que tout le monde ne vivait pas l’enfer, mais pas à ce point.

Bon, évidemment tout le monde veut que le virus disparaisse de nos vies et qu’on fasse tomber la barrière de 2 mètres au plus vite. Mais le télétravail, l’absence de transport matin et soir, les économies à gauche et à droite et le sentiment d’avoir repris le contrôle de son destin font chuchoter un « merci » tout bas à plusieurs personnes.

Il faut dire que ça peut être gênant d’exposer son bonheur dans le contexte actuel et plusieurs affichent une gêne à l’heure où on dénombre encore des centaines de cas actifs au quotidien, sans compter les milliers de morts que le COVID a laissés sur son passage.

ça peut être gênant d’exposer son bonheur dans le contexte actuel

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Mais en leur offrant malgré moi une sorte de safe space pour en parler, j’ai compris à quel point le monde était en ce moment divisé en deux : ceux qui souffrent de la crise et ceux qui en sortent gagnants.

Meilleure qualité de vie pour certains, bonheur en famille pour d’autres. Quand ce n’est pas carrément un meilleur salaire et un compte en banque qui grossit à vue d’oeil. Est-ce mal de ne pas vouloir revenir en arrière, à l’heure où nos proches rêvent de la vie d’avant ?

En attendant la réponse à cette grande question, j’ai passé un coup de fil à plusieurs de ces gens heureux du COVID, triés parmi les nombreux témoignages reçus.

Les gagnants du loto-COVID

« Je dois être une des seules qui n’est pas soulée et qui n’a pas l’intention de changer grand-chose à ma vie quand tout sera terminé », avoue avec aplomb Carine Paquin, sans se douter à quel point elle n’est pas la seule dans cette position. De vive voix, elle m’explique avoir le bonheur facile, mais surtout un décor propice pour le vivre. « J’habite en forêt sur un terrain de 500 000 pieds carrés au bord d’un lac, ça n’existe pas le COVID chez nous ! », souligne l’auteure jeunesse et animatrice culturelle.

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« J’ai autant de travail qu’avant, je fais plein d’animation virtuelle dans les écoles et mon rythme de vie est loin de m’emmerder », raconte Carine, qui se sent un peu mal de vivre sa best life pendant que des gens galèrent autour. «À moment donné, je me suis dit que je devais taper sur les nerfs du monde », admet-elle.

« J’ai surtout pris conscience que j’étais privilégiée et j’apprécie plus qu’avant ce que j’ai », reconnaît Geneviève.

« Aucune perte salariale, télétravail à 100% et pas de transport », résume de son côté Geneviève St-Onge, une chargée de projet en gestion des données dans un hôpital. « Avec deux enfants de 8 et 10 ans, ça me permet d’être là le matin et l’après-midi à leur retour, donc d’économiser les frais de service de garde », indique celle qui espère que son employeur se montrera flexible avec le télétravail après la pandémie. «Je vais être contente de revoir des collègues, mais en réalité, je suis bien chez moi », résume-t-elle, ajoutant ne pas se sentir trop mal d’être aussi bien. « J’ai surtout pris conscience que j’étais privilégiée et j’apprécie plus qu’avant ce que j’ai », reconnaît Geneviève.

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Même si elle a hâte de voir ses proches, affirmer que Justine n’a pas hâte de rentrer au bureau en présentiel relève de l’euphémisme. « Si la pandémie doit me faire tomber en dépression, ce sera quand je devrai retourner au bureau », résume cette technicienne juridique d’un organisme paragouvernemental, qui compte les mois avant sa retraite. Ce bonheur a été rendu possible lorsque l’employeur a donné le feu vert au télétravail. « Je me suis acheté trois hauts depuis un an et un pantalon de jogging. Finie la carte de transport à 100 euros par mois, finis les déjeuners au resto, mais surtout et par-dessus tout, terminé les collègues que je ne peux plus voir, même en peinture. »

« Si la pandémie doit me faire tomber en dépression, ce sera quand je devrai retourner au bureau »

Marie-Hélène Boisvert travaille pour sa part en marketing web dans le domaine du vin, après avoir été plusieurs années fonctionnaire (un emploi qu’elle détestait).

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Les gens ont sans doute eu envie de lever le coude, encourager local ou les deux, mais toujours est-il que Marie-Hélène ne chôme pas depuis un an. « Je n’ai jamais eu autant de demandes de contrats. Les meetings Zoom prennent moins de temps, personne n’y parle de son week-end ou de son nouveau chat », illustre Marie-Hélène, qui a aussi la chance grâce au télétravail de passer plus de temps avec sa fille TDAH, un aspect précieux de sa réalité pandémique. « Avec un job de 9h à 17h à l’extérieur, je serais moins là. J’ai passé le test de la famille recomposée avec mon copain et ses enfants. En plus, ma fille aurait trouvé ça plus long toute seule avec moi », souligne-t-elle.

La pandémie comme moteur de création

À en juger par plusieurs témoignages, on peut supposer que la vie « normale » – celle d’avant – était un mal nécessaire pour plusieurs personnes. Un passage obligé menant vers une paie à chaque fin de mois et à la retraite après des décennies de résilience.

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Mais pour d’autres, la pandémie aura servi de bougie d’allumage pour réaliser des rêves.

La comédienne et auteure Zoé Lamontagne l’avoue d’ailleurs sans détour: sans la pandémie, elle n’aurait jamais pu se consacrer à un projet d’une telle envergure, à savoir déménager en campagne et acheter une église à l’abandon pour la convertir en lieu de culture. « On veut créer un espace citoyen, avec des trucs intimes au début, tout ce qui sera possible avec les mesures sanitaires », explique Zoé, qui a « profité » de la pandémie pour développer sa fibre entrepreneuriale en montant un plan d’affaires. « J’ai beaucoup réfléchi à ma démarche artistique et j’ai choisi d’y aller plus avec des projets de cœur », souligne Zoé, bien consciente qu’il est parfois délicat de parler publiquement des bonnes nouvelles sans faire chier le monde autour.

« Ça a été l’occasion d’arrêter et réfléchir »

Pour Émilie Dostie, la pandémie a été synonyme de prise de conscience. « Ça a été l’occasion d’arrêter et réfléchir », explique celle qui a fait un virage à 180 degrés. «J’ai laissé un emploi que je n’aimais pas, rencontré l’amour de ma vie (le 13 mars 2020), qui a emménagé avec moi entre les deux vagues et avec qui j’ai démarré une petite entreprise d’urnes funéraires en bois», énumère Émilie, consciente que ça sonne bizarre dit comme ça.

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« Mon copain est ébéniste et en a fait une [une urne] pour sa famille qui a adoré. On a vu qu’il y avait un marché pour rendre ça moins conservateur, plus personnalisé », décrit brièvement Émilie, qui précise que le projet est prépandémique, donc nullement motivé par opportunisme. « On attend le printemps pour bâtir un atelier commercial sur les huit acres de forêt où l’on habite avec trois enfants, des chiens, des chats, des poules et un jardin », ajoute Émilie, qui se sent un peu coupable d’aller aussi bien, même si elle profite pleinement de cette vie qui a soudainement plus de sens. « J’rentre plus dans mes jeans, mais je suis bien dans mon jogging », illustre-t-elle.

« J’rentre plus dans mes jeans, mais je suis bien dans mon jogging »

L’auteur et journaliste Samuel Larochelle a d’abord vu tous ses revenus s’envoler en fumée au début de la crise, en plus d’une rupture amoureuse et d’un diagnostic de COVID-19 au printemps. Mais le vent a fini par tourner pour celui qui se décrit comme un « Power Ranger de la résilience ». « J’ai remercié la vie d’avoir été aussi introspectif et fan du self work depuis quinze ans, car les effets de la pandémie (solitude, pertes de repères, stress) ne m’ont pas fait frapper un mur », résume Samuel, qui aura au final développé une dizaine de projets créatifs, dont trois livres prévus ces prochains mois.

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Ça va bien aller… pour de vrai

Je pourrais continuer encore longtemps comme ça tellement les témoignages continuent à s’accumuler dans mes MP. Il y a Ben qui peut se lever plus tard puisqu’il n’y a plus de bouchons, Anne-Céline qui a multiplié par dix sa clientèle de yoga en ligne ou Geoffroy qui a connu une année record dans sa fabrique de portes et fenêtres.

Bref, plusieurs semblent avoir trouvé la fameuse lumière au bout du tunnel tant promise depuis le début de la crise.

C’est à se demander si on allait si bien que ça, avant le COVID-19.