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Le courage de parler des violences conjugales entre ados
Sur le site du service public, lorsqu’on tape « violences conjugales définition », on trouve ceci : « Il s’agit des violences commises au sein des couples mariés, pacsés ou en union libre. » Cela sous-entend qu’on parle de relations entre deux adultes. Pourtant Capucine était ado quand elle a commencé à subir de la violence conjugale. De ses 15 ans à ses 18 ans, elle a été victime de violences psychologiques, physiques et sexuelles de la part de son copain qui avait le même âge qu’elle.
Ça vous surprend ? Moi pas tant que ça, en réalité. Quand j’ai lu pour la première fois son histoire, des flashbacks de mon lycée me sont revenus, notamment de mon année de terminale. Je me souviens d’un camarade de classe, en couple avec une fille du lycée, qui le frappait régulièrement devant tout le monde. Je me souviens avoir été choquée, comme tous les autres qui assistaient à ces scènes sans broncher. C’était déjà de la violence conjugale, il n’y a pas d’âge, hélas.
Aujourd’hui, Capucine souhaite, à travers son compte Instagram et son podcast Ovaires the Rainbow, sensibiliser les personnes au féminisme, mais aussi au consentement et aux abus sexuels, psychologiques et/ou physiques. On en a discuté avec elle.
Ovaires the Rainbow, c’est quoi ?
Au départ c’était seulement un podcast. Je cherchais une façon de militer pour le féminisme, mais je ne savais pas trop sous quelle forme faire ça. Mon copain en écoute beaucoup, alors ça m’a donné l’idée d’un podcast féministe. J’ai réfléchi au concept, je me suis demandé quels problèmes rencontraient les femmes dans les médias, et le premier auquel j’ai pensé c’est qu’elles n’ont pas suffisamment la parole. Alors j’ai voulu créer un podcast qui ne soit dans un premier temps réservé qu’aux femmes. Une fois que j’avais les idées claires, j’ai lancé ce format en juin 2020.
Et puis, dans la foulée, j’ai développé le compte Instagram sur lequel je propose plusieurs formats : « Femmes de pouvoir » où je dresse le portrait de figures du féminisme, ou encore « Le saviez-vous ? » où je raconte des anecdotes féministes. Je fais aussi des IGTV informatives, et un format en slides qui s’appelle « Les actus de la semaine » où je résume les actualités féministes hebdomadaires.
Comment as-tu découvert le féminisme ?
J’ai toujours été assez sensible à cette cause. D’une manière générale, je suis très sensible aux injustices. C’est quelque chose qui me touche depuis toute petite. Je n’ai jamais compris les différences entre les filles et les garçons, ça me dépasse. Par exemple, je me souviens que lorsque j’étais en primaire, la directrice de l’école avait décrété qu’à partir de 6 ans, les filles n’avaient plus le droit de mettre des débardeurs avec des bretelles fines, sous prétexte qu’on voyait trop nos épaules. J’en avais parlé à ma mère en lui disant que je ne comprenais pas du tout pourquoi je devais cacher des parties de mon corps.
J’ai développé cette sensibilité en grandissant. Je pense que ça s’est un peu enterré quand j’étais en relation entre mes 15 et 18 ans, au cours de laquelle j’ai été victime de violences conjugales. J’étais complètement annihilée, je ne pouvais pas être moi-même. Même si j’avais connaissance de l’existence des violences conjugales, je ne m’y reconnaissais pas parce que pour moi, ça ne touchait que les adultes.
C’est en sortant de cette relation que je suis revenue au militantisme féministe. Cette expérience a nourri encore plus mon envie de m’engager.
Comment s’est passé ton processus de prise de conscience vis-à-vis de cette relation toxique que tu as vécue ?
Ma prise de conscience s’est faite après la rupture. Pendant ma relation, je savais qu’il y avait quand même un problème mais je n’arrivais pas à mettre les mots dessus. J’étais dans le mécanisme des femmes violentées : je minimisais beaucoup ce qui m’arrivait. Lorsque mon copain de l’époque venait s’excuser, je me disais : « Finalement, il n’est pas si méchant ». A ce moment-là, avec l’emprise qu’il avait sur moi, j’avais l’impression de n’être rien. Je me disais que j’étais incapable de partir parce que, comme il me le disait si bien : “Personne d’autre ne m’aimerait”. J’étais complètement manipulée.
Finalement, en avril 2018, j’ai appris qu’il m’avait trompée. C’était une période de ma vie un peu compliquée parce que je venais aussi de perdre ma grand-mère. Le fait de savoir qu’il avait pu me faire ça alors que j’étais en plein deuil a été un déclic, je me suis dit : « Quel genre de personne fait ça à quelqu’un ? » Je me suis vraiment accrochée à cet évènement pour le quitter et partir.
Quand as-tu réalisé que cette relation n’était pas saine ?
Mon copain de l’époque n’en avait rien à faire, parce qu’il était persuadé que j’allais revenir. Pour lui, j’étais sa chose, et il pensait que ça allait passer. Lorsqu’il a compris que je ne reviendrais pas, il a commencé à me faire du chantage, des menaces, il a essayé de me manipuler. Moi j’avais vraiment pris ma décision et j’ai résisté. Mais je n’avais pas encore conscience de ce que je vivais.
C’est quelques mois plus tard, quand j’ai rencontré mon copain actuel et qu’on a commencé notre relation, que je me suis dit : « Non mais attends, cette relation n’a rien à voir avec ce que j’ai vécu avant ! ». J’ai fait une comparaison des deux relations, et j’ai bien vu qu’il y avait un problème. J’ai alors commencé à avoir des flashbacks d’avant, et c’est en me rendant à l’association Solidarité Femmes, sur les conseils de mon copain, en entendant les témoignages d’autres femmes et en voyant des professionnels que j’ai eu un déclic et ai pu mettre des mots sur tout ça.
Qu’as-tu réalisé quand tu as eu ce déclic ?
J’ai compris à ce moment-là que j’étais une victime et que c’était lui qui m’avait fait du mal. Ça a été un peu long de lutter avec la culpabilité qu’on ressent dans cette situation en tant que victime. C’est ce qu’on nous apprend pendant tout le temps de la relation : se dire que si on nous frappe, si on est comme ça, c’est de notre faute. Les groupes de paroles au sein de l’association ont nourri aussi cette volonté de faire un format podcast pour Ovaires the Rainbow.
Rien qu’avec mon témoignage, j’ai reçu beaucoup de messages, soit de jeunes filles qui ont vécu la même chose et qui étaient soulagées que quelqu’un en parle et de voir qu’elle n’étaient pas seules, mais aussi de jeunes filles qui ont elles aussi pu enfin comprendre ce qui leur arrivait. On parle tellement peu du fait que les violences conjugales peuvent être vécues à l’adolescence que beaucoup de jeunes femmes ne parviennent pas à mettre de mots sur leurs maux. C’est pour ça que je pense que c’est très important d’en parler et de lever le tabou sur ce sujet.
Penses-tu que si tu avais été sensibilisée au sujet des violences conjugales, des rapports de consentement sexuel, psychologique en étant plus jeune, tu aurais pu te protéger d’avoir une relation comme celle que tu as vécue ?
Oui, totalement. C’est pour ça que c’est ultra important de sensibiliser les plus jeunes. C’est essentiel, ça devrait être enseigné dans les lycées. D’ailleurs, j’ai reçu récemment un mail de la part de l’infirmière de mon ancien lycée, où elle m’expliquait qu’elle était tombée sur un des articles dans lesquels j’ai raconté mon histoire. Elle m’a écrit : « Pour moi, c’est très douloureux de me dire que tu vivais ça et que tu n’as pas pu te confier à moi alors que c’est mon rôle. » Je lui ai répondu que justement j’aimerais bien venir dans les salles de classe faire de la sensibilisation. Ce serait bien de mettre en place des ateliers, avec une personne qui a elle-même été victime pour qu’elle raconte son histoire, pour sensibiliser les jeunes aux mécanismes de la violence, pour leur apprendre ce qu’est une relation saine. C’est énorme le nombre de jeunes qui vivent une relation de ce type. Quand je parle de mon vécu autour de moi, beaucoup de gens me disent : « Je ne comprends pas comment c’est possible que ça arrive à un si jeune âge ». Mais justement, c’est terrible à dire, mais les personnes qui violentent leur partenaire à l’âge adulte étaient déjà comme ça à l’adolescence, avec leur premier “amour”.
Il faut donc informer là-dessus et ne pas croire que l’adolescence c’est quelque chose de tout rose, de tout beau, parce que ce n’est pas du tout le cas. Et même si on ne vit pas ensemble, les violences et les mécanismes de violence sont présents. Ils se font chez les parents ou à l’extérieur.
J’ai aussi pour projet d’écrire un livre ludique, destiné aux adolescent.es, qui soit inclusif. Le problème de ces types de livre actuellement, c’est qu’ils sont très genrés, ça parle presque exclusivement d’une sexualité hétérocentrée. Ce livre comporterait un chapitre sur les violences conjugales, mais aussi pleins d’autres sujets importants.
Quels sont les éléments qui t’ont permis de te reconstruire ?
La première chose, c’est de me rendre à Solidarité Femmes. Je pense que les groupes de paroles sont essentiels. Ça permet d’être dans une petite bulle rassurante, dans laquelle on se sent protégé.e. Le fait d’en parler avec d’autres personnes qui ont vécu la même chose, ça aide vraiment à être compris.e. Moi par exemple, j’ai beau vivre avec mon copain super bienveillant, pour lui, les violences conjugales sont un sujet très abstrait. Quand je lui expliquais ce que j’avais vécu, il ne savait pas quoi faire de ces informations et ne savait pas comment m’aider, parce qu’il n’est pas psychologue, et c’est tout à fait normal ! Il faut vraiment se faire aider à l’extérieur quand on a été victime.
J’ai vu un psychiatre pendant quelques séances, puis une psychologue, ce qui m’a beaucoup aidée. J’ai réussi à mieux comprendre ce que j’avais vécu. Ce qu’il me restait à régler, c’était tous mes traumatismes liés à la sexualité, et pour ça je vois actuellement une hypnothérapeute qui est gynécologue. Petit à petit, j’avance.
Mon meilleur conseil, c’est de parler et de ne pas avoir honte. C’est le plus difficile, parce que quand on est dans une relation de violences conjugales, on a constamment honte puisqu’on est rabaissé.e, et on a zéro estime de soi.
Pour pallier à tout ça, le mieux, selon moi, c’est d’avoir des projets, de se faire confiance. Pour le coup, Ovaires the Rainbow a été quelque chose de salvateur pour moi : je me sens utile. Quand j’ai témoigné de mon expérience sur ma page, j’ai réalisé que, oui, c’est une expérience horrible et traumatisante, mais autant en faire une force et rendre cette histoire utile. Après, toutes les victimes ne sont pas obligé.e.s de faire ça mais, personnellement, c’est ce qui m’a aidée.
Que penses-tu de la naissance et de la multiplication des comptes militants, comme on peut trouver par exemple sur Instagram ?
Je trouve ça super positif ! Je pense qu’il n’y en aura jamais trop, parce que les gens ont besoin de s’éduquer et de s’informer. La bonne nouvelle aujourd’hui, c’est que, avec tout ce qui existe, sur Instagram et sur d’autres plateformes, on peut avoir accès à l’information assez facilement. Après, il faut quand même la chercher un peu. Je pense qu’aujourd’hui il n’y a plus d’excuses pour tenir des propos transphobes, par exemple. Parce qu’il suffit de faire des recherches sur Instagram et de suivre des comptes qui sont très bien faits pour apprendre beaucoup de choses sur le sujet. Concernant des faits de violences, il y a beaucoup de militantes féministes qui font du super travail : je pense notamment aux comptes Clit révolution, Jemenbatsleclito.
Je suis jeune, je n’ai que 21 ans, mais quand je compare avec ma petite sœur qui a 16 ans et demi, je vois qu’au même âge, je n’avais pas accès à toutes ces informations-là. Pour moi, les réseaux sociaux ne remplacent pas l’importance de la sensibilisation au sein des établissements scolaires, parce que tout le monde n’a pas Instagram ou ne suit pas ces comptes-là. Faire cette éducation au lycée, c’est commencer à expliquer des choses, donner des informations, et après, ceux qui veulent creuser plus peuvent se rendre sur les comptes militants et sur Internet.
En tout cas je suis plutôt optimiste et je pense que les choses vont s’améliorer dans les années à venir. Plus on en parle, mieux c’est !
Quelles sources d’informations conseillerais-tu pour s’éduquer à tout cela ?
Déjà, je recommande les deux comptes que j’ai déjà évoqués : Clit révolution, et Jemenbatsleclito. Il y a aussi le livre « Jouissance club : une cartographie du plaisir» écrit par Jüne Plã, publié aux editions Marabout. Il s’adresse moins aux adolescents et plus aux personnes un peu plus âgées, mais est très utile. Je ne connais pas de compte qui soit directement adressé aux adolescents, c’est pour ça que j’ai ce projet d’écrire ce livre, ce guide, qu’on pourrait offrir au début de l’adolescence et qu’on pourrait consulter tout au long de cette période, au fur et à mesure qu’on grandit.
Le mot de la fin : que peut-on te souhaiter pour la suite ?
Eh bien, de continuer de m’épanouir sur mon compte Instagram Ovaires the Rainbow, de continuer de rassembler des personnes autour de mon compte, autour des thématiques que je veux aborder. Essayer de continuer d’allier mes projets avec mes études, et si possible, de me mettre à écrire ce livre, même si c’est beaucoup de travail ! (rires)
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RESSOURCES
-Le 39 19 est une plateforme d’appel qui écoute et oriente les femmes victimes de violences.
–Un abri qui sauve des vies est une association qui met en relation des femmes victimes de violences avec des particuliers qui peuvent les accueillir. Il y a aussi beaucoup d’associations régionales et départementales. Renseignez-vous sur Internet ou auprès des mairies.