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Le copain idéal des réseaux sociaux est-il aussi parfait qu’il en a l’air ?

Par
Lena Haque
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Sur Tiktok et Instagram, de jeunes influenceurs aux petits soins pour leurs compagnes et leurs maisons, expliquent vouloir réinventer le couple hétéro. Vrai désir de challenger le patriarcat ou mise en scène opportuniste ?

Le copain parfait existe

Imaginez : vous rentrez du travail et votre homme a étendu le linge, fait les courses et concocté un bon petit plat. Menu du jour ? Lasagna verde alla bolognese, entièrement faites maison… Ceci n’est pas un rêve, mais le quotidien de Levi Coralyn, influenceuse et TDS Onlyfan, et de William Conrad, son stay-at-home fiancé qui a quitté son job pour prendre soin d’elle, sous les yeux de millions de spectateur.ice.s émerveillé.e.s. Et il n’est pas le seul : en 2024, les copains intentionnés avaient le vent en poupe sur les réseaux sociaux. Outre le duo atypique formé par Coralyn et Conrad, des dizaines de comptes de couples ont fait de l’égalité homme-femmes leur ligne éditoriale. C’est notamment le cas de Maya et Hunter Leppard, 27 ans, qui partagent leur vie maritale avec leurs 1,3 millions d’abonnés Tiktok, mais aussi de Joey Foo, un “stay at home Dad” aux quelque 2,5 millions d’abonnés. Des vidéos plus ponctuelles fleurissent aussi sur le compte d’influenceurs masculins lifestyle pour expliquer comment rendre sa copine heureuse ou s’occuper d’elle quand elle a ses règles.

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Le dévouement affiché par les hommes cette année a même donné naissance à un nouvel archétype : le “Golden Retriever boyfriend”, soit un copain gentil, loyal et attentionné, qui ne cherche pas à prendre l’ascendant sur sa compagne…

A bas le patriarcat

Si certaines de ces vidéos visent simplement à donner des conseils, d’autres ont un objectif beaucoup plus assumé : challenger la masculinité et les rôles genrés à la maison. Dans leurs posts, Maya et Hunter, qui se décrivent comme “partenaires égaux”, abordent ainsi régulièrement le sujet de l’égalité au sein du foyer. Qu’il s’agisse de prendre soin des enfants la nuit ou de ranger l’appartement, les deux influenceurs ne mâchent pas leurs mots, et vont jusqu’à terminer certaines de leurs vidéos par “followez-nous pour mettre fin au patriarcat”.

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“[Maya] s’est rendue compte que beaucoup de femmes sur la plateforme parlaient de la façon dont leurs maris et petits copains ne savaient même pas comment faire la vaisselle ou prendre soin de leur maison” expliquait Hunter. “Cette incompétence (..) nous a poussé à nous dire ‘Et si on faisait un Tiktok sur toi en tant que mari au foyer, par contraste avec les stéréotypes genrés (…) ?”. Levi Coralyn et William Conrad, eux, poussent les curseurs encore plus loin, puisque le jeune homme n’hésite pas à coiffer sa compagne ou baiser ses pieds, quand il n’est pas occupé à nettoyer la salle de bain.

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Une mise en scène juteuse

Pourtant, si ces contenus visent à rééduquer les hommes, leur audience principale, elle, reste féminine… Et les influenceurs en ont bien conscience. “Nous présentons un contenu de type “copain idéal”. Votre copine peut regarder ça et l’envoyer à son copain en disant ‘Oh, tu peux faire ça pour moi ?” analyse lucidement William Conrad. Sous leurs vidéos ou celles de Hunter et Maya, des dizaines d’utilisatrices expriment leur désir de trouver le même type de partenaire et d’être aussi bien traitées. Cette idéalisation des copains en ligne n’est pas nouvelle : dans les années 2010, d’autres célébrités masculines, comme le mannequin Jay Alvarrez, bénéficiaient de cette réputation de “petits amis parfaits” grâce à la mise en scène de leur relation sur les réseaux sociaux. Une attitude qui leur valait l’admiration de leurs fans, mais qui leur permettait surtout de gagner leur vie, en décrochant des contrats avec des grandes marques. Car, ne l’oublions pas, être stay-at-home boyfriend, ça rapporte : une étude américaine de 2023 rappelait qu’avec 1 million d’abonnés Tiktok, la monétisation d’un post se chiffrait au minimum à 1200$.

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De l’autre côté de nos téléphones, néanmoins, tout n’est pas rose. Après sa rupture avec Alvarez en 2016, son ex-partenaire, la mannequin Alexis Ren, a révélé l’exploitation dont elle était victime loin des caméras, dans une relation tout sauf authentique. A la suite de leur séparation, Alvarez reste aussi légalement détenteur d’une partie des revenus de la jeune femme. “J’ai passé deux ans après cette relation en litige commercial et j’ai perdu presque tout ce que j’avais” confiait-elle en 2021. L’an dernier en France, c’était l’ex-candidate de téléréalité Hilona Gros qui prenait la parole pour dénoncer la violence de son conjoint, Julien Bert, avec qui elle formait depuis des années un couple très médiatisé et rentable. “Je mens à tout le monde et je me mens à moi-même depuis quelques années” expliquait-elle dans une vidéo Youtube. “Je suis en train de tout perdre”.

Acte de service ou ego-boost masculin ?

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Face à ce type de témoignage, difficile de se défaire des suspicions d’opportunisme et de mise en scène, surtout quand les actes de service de ces influenceurs sont très performatifs et ponctuels. On remarque aussi que dans les couples les plus suivis, ce sont systématiquement les hommes qui récoltent la majorité des lauriers. Un phénomène auquel s’intéressait Guillaume Daudin, journaliste et co-auteur de la BD L’arnaque des nouveaux pères. “Il y a beaucoup de personnes qui sur-valorisent le moindre investissement minimum de chaque père, alors que c’est le quotidien de plein de mamans et qu’elles, elles ne sont pas valorisées pour ça” note-t-il. Sous ces vidéos, les conjointes au repos sont même parfois qualifiées de paresseuses voire de castratrices. Lassés de recevoir ce type de message, Maya et Hunter en ont d’ailleurs fait une vidéo humoristique, intitulée “moi à chaque fois que quelqu’un commente nos vidéos en disant ‘mais qu’est-ce qu’elle, elle fait pour lui ?’”.

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Sous prétexte de prendre soin de leur partenaire, les influenceurs masculins peuvent aussi tomber dans une posture paternaliste, voire alimenter activement des clichés sexistes. Les vidéos de type “comment rendre ma copine heureuse”, sous couvert d’humour, surfent ainsi sur des stéréotypes réducteurs, comme le besoin d’attention et de réassurance excessif des femmes ; leur compagne y apparaît comme une créature needy et enfantine, que son conjoint vient encadrer. Une vision peu flatteuse et préoccupante, à l’heure, où comme rappelait la journaliste Hannah Millington pour Cosmopolitan, la tendance “girlcore” contribue déjà à infantiliser les femmes sur les réseaux sociaux, à travers l’esthétique de la soft girl ou le modèle de la tradwife.

Un petit pas pour la femme, mais un grand pas pour les réseaux sociaux ?

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Financièrement et socialement, les premiers bénéficiaires de la trend du perfect boyfriend sont donc souvent les boyfriends eux-mêmes, portés aux nues (et grassement payés) pour leurs actes progressistes. Leur hyper visibilité nous ferait presque oublier que, dans la vraie vie, 75% des femmes déclarent en faire plus que leur conjoint en termes de tâches ménagères, ou qu’entre 1999 et 2010, le temps consacré par les hommes français aux tâches domestiques avait augmenté… d’une minute seulement. De surcroît, le couple hétéro, comme l’ont documenté Titiou Lecoq dans Le couple et l’argent ou Lucile Quillet et Tiffany Cooper dans la BD Le Prix à Payer, appauvrit encore considérablement les femmes. “Faire 50/50 c’est super, mais la moyenne en France, c’est 42% d’écart de revenus au sein des couples” lâche Lucile Quillet face à ces vidéos. “C’est un sujet politique et une question de société. Il ne suffit pas de dire je m’occupe du linge, toi des courses et bam, c’est réglé”.

En réduisant la question de la parité domestique à actes de services individuels, ces contenus prennent donc le risque d’isoler cette problématique de son contexte politique plus vaste. Congé parental, places en crèches de plus en plus rares, inégalités salariales : autant de questions structurelles indissociables du sujet de la parité domestique qui sont encore absentes du discours de la plupart des influenceurs. “Ces vidéos sont très hors-sol” note Guillaume Daudin. “Rien ne vient de l’extérieur. Quelque part, ça revient aussi à dire aux personnes qui les regardent -donc, à une majorité de femmes, que l’écueil vient du couple. Ça fait partie de la réponse, les mecs doivent se rendre compte qu’une partie du chemin doit évidemment venir d’eux, mais il n’y a pas que ça.” Lucile Quillet rappelle quant à elle la limite du rôle des influenceurs. “Si, à leur échelle, ils montrent un exemple progressiste, tant mieux” nuance-t-elle. “Mais on ne peut pas attendre de ces comptes qu’ils portent l’entièreté du sujet sur leurs épaules.” En attendant, les Hunter et les William de ce monde ont quand même le mérite de relever les standards amoureux de leurs abonnées. Reste à savoir si leurs vidéos atterriront un jour sur FYP des hommes.

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