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Le centre commercial du mois: Italie 2

Visite guidée de la déchéance progressive d'un centre mal pensé. Enjoy!

Par
Stéphane Moret
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Samedi après-midi, Paris. Nous sommes dans le 13e arrondissement, plus précisément place d’Italie. Sur les abords de cette énorme rond-point se trouve, depuis 50 ans, le centre commercial Italie 2. Célèbre et méconnu. Lors des manifestations de Gilets Jaunes et anti-réforme des retraites, il était régulièrement le centre de ralliement des mécontents, le symbole du capitalisme par excellence. D’où les planches en bois à la place des portes vitrées dès l’entrée. Or, ce qui choque en ce samedi après-midi, et sûrement en conséquence de ce que je viens de vous présenter, c’est le vide. L’absence de clients, partout. Et le coronavirus n’est pas le seul responsable.

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Première leçon de marketing, aujourd’hui, les enfants, c’est le logo. Quand vous avez une marque qui s’appelle Italie Deux, et que vous choisissez votre emblème, faites en sorte que ça ne rende pas i2 (hideux). C’est la base du métier, même si vous êtes très fiers de ce « 2 » retourné qui devient un « i ». Non, même ça c’est dégueulasse et ça pète le crâne.

A l’intérieur, c’est un voyage dans le temps qui vous attend. Construit en hauteur, le centre co mélange boutique, bureaux et… appartements. Oui, oui, tu prends ta douche tranquille chez toi, et tout le monde peut voir ton zboub. L’avantage c’est que si ta télé est en panne, tu ne t’ennuieras pas, tu verras passer les clients du centre. Si tu es chanceux. Ah, et n’oublions pas ce gris qui sied à n’importe quel teint.

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Mais ne soyons pas aussi méchants avec l’architecture, qui est un joyau de son époque. Mais si les diamants sont éternels, le bon goût des années 1980 ne l’est pas.

Qui dit centre commercial, dit… brasserie bon marché (même si c’est quand même pas donné). Ici c’est l’Hippopotamus qui joue ce rôle. Il vous permet de vous « régaler » en posant vos sacs de course sur la chaise d’à côté, pendant que les enfants crayonnent sur la nappe en papier et que vous finissez votre semelle de cheval, pardon, votre steak. Et évidemment, on vous recommande la salade pour sa fameuse vinaigrette qui perforerait l’estomac de n’importe quel hippopotame. Oui, c’est pour ça que ça s’appelle comme ça. Je précise que la photo suivante a été prise à l’heure du déjeuner, 13h15, et que vous pouvez admirer sa terrasse vide de chez vide. Ah si, des plantes se sont rameutées pour observer l’intérieur de l’établissement, il paraît que c’est beau.

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Amis du code de la route, nous sommes là pour vous faire découvrir un panneau inédit : l’interdiction de s’asseoir dans les escaliers. Car, oui, vous le savez, c’est un crime reconnu par la loi de 1977. Vu le logo, on aurait aussi pu penser qu’il était interdit de péter des éclairs. Mais non, c’est pas ça.

Allez, un peu d’Histoire. Si le projet de ce centre commercial a pu voir le jour, c’est uniquement parce qu’il abritait une caution culturelle : le plus grand écran de cinéma de Paris, le fameux Gaumont Grand Ecran. Mais avec la multiplication des salles et multiplexes dans la capitale, l’endroit est devenu désuet. Je me souviens y avoir vu l’avant-première d’un film de Luc Besson. Je crois que c’était Angel-A. Ça ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. À personne d’ailleurs. Et le cinéma a fini par fermer en 2006. Coïncidence? Je ne crois pas.

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Toujours est-il que, plusieurs années après cette fermeture, en 2017, la salle a été rachetée par Juste Pour Rire pour devenir une salle de spectacles, le 13e Art. Arturo Brachetti ou Rachid Badouri s’y sont produits au début. De jeunes talents aussi. Des spectacles de danse aussi. Mais l’affaire des agressions sexuelles impliquant le québécois Gilbert Rozon a eu un impact aussi de ce côté de l’Atlantique. Je vous laisse, en outre, imaginer le succès de cette salle de théâtre campée entre un Promod et un Manoukian. Voilà, c’est ça: un bide. La salle est reprise en mains par l’équipe du Théâtre de la Ville (Châtelet, Espace Cardin) qui y joue désormais des pièces subventionnées et conventionnelles.

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Je vous l’ai dit, le centre commercial est un drôle de mélange entre boutiques, théâtre et résidences. Entre deux accès au parking, se trouvent ainsi des accès réservés aux résidents de ces tours, qui débarquent de chez eux en sandales, le chien au bout de la laisse, décidés à sortir pour le petit popo nécessaire. Pour le chien, j’entends. Le décor a des accents kubrickiens.

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Ce n’est pas une patte qu’a posée le Théâtre de la Ville sur le lieu, c’est carrément le bras entier. Tous les 10 mètres, un élément vous le rappelle, que ce soit sur les colonnes de publicité ou les points information, vous retrouvez des affiches pour les spectacles de la saison. Une occasion de vérifier que ces braves dames n’ont pas de poils sous les bras. Conventionnel, je vous dis.

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Et puis, si ces belles affiches qui représentent l’art dans tout ce qu’il a de plus subventionné vous donnent envie, à vous aussi, de faire du théâtre, il existe des ateliers pour apprendre… Ah ben non, c’est fermé. Apparemment, il y a autant de monde qui s’inscrit que dans la salle.

La plus belle image de ce gâchis qu’est devenu le centre Italie Deux est ici. Sur ce panneau est marqué: « Depuis 2015, votre centre commercial réduit son empreinte carbone de 320 Tonnes »… En fermant les magasins les uns après les autres? J’ai été choqué, en faisant ce reportage, de constater que la moitié des enseignes étaient fermées ou en manque de clients. Un lieu mort, désert. Ce jour-là, j’apprends d’ailleurs que le magasin Adidas liquide tout, ils quittent le centre dans quelques semaines.

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Italie 2 s’essaie à plein de choses pour relancer sa clientèle, comme ces espaces cafés devenus inévitables dans les galeries marchandes. On y prend un café, un croissant, une boisson fraîche, un smoothie, un frozen yogurt, en faisant nos courses. On se pose quelques minutes dans ce monde de brutes, au grand air, entouré de… André, qui côtoie Jules. Agatha, à côté de Pandora. Armand Thierry ou Claire’s sont là aussi. On n’oublie pas Hema, Nin & Laure, et même Jeff, de Bruges. Et oui, c’est tout ce qu’il reste d’humain : des enseignes qui portent des prénoms, pour mettre un peu de chaleur dans ce monde de cons(ommation).

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Et pourtant, en cherchant un peu, on peut la trouver, cette chaleur humaine dans ce mélange de styles aberrant. Un graffiti, malin, collé à la vitre du centre. Avec un jeu de mots tout aussi finaud : StreetalieDeux. C’est bon, je ne suis pas complètement déprimé, je repars avec le sourire. Et des baskets à moins 50%…