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Le « cas Simone Biles » décortiqué avec une psychologue spécialisée en sport

Avec la sortie de l'athlète des JO de Tokyo, la planète entière est sous le choc. On a tenté de comprendre pourquoi.

Par
François Breton-Champigny
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« Dès que je monte sur le tapis, c’est juste moi et ma tête… composer avec des démons dans ma tête […] Je dois faire ce qui est bon pour moi et me concentrer sur ma santé mentale et ne pas compromettre ma santé et mon bien-être ». C’est avec cette déclaration que l’Américaine Simone Biles, championne olympique et déjà une légende de la gymnastique à 24 ans, s’est retirée des Jeux olympiques de Tokyo.

Depuis cette sortie en conférence de presse mardi dernier qui a eu l’effet d’une bombe, les médias de toute la planète se sont empressés de couvrir cet épisode pour le moins inattendu en rappelant d’une part le parcours personnel houleux de la jeune athlète, et en évoquant la pression immense sur ses épaules alors que les États-Unis voyaient déjà un futur doré pour son palmarès olympique.

Pour mieux comprendre l’ampleur de la situation, on a posé quelques questions à Véronique Boudreault, Ph.D en psychologie du sport.

Pourquoi est-ce que sa sortie de parcours est particulièrement « surprenante » pour les personnes qui suivent les Jeux olympiques ?

Il y a un sentiment d’incompréhension parce qu’on s’imagine qu’elle est « plus forte que ça », quasi surhumaine, et que ce genre de problèmes ne devraient pas l’empêcher de continuer.

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Avec son parcours à Rio, où elle a épaté les gens, il y avait beaucoup d’attente par rapport à son cheminement à Tokyo. Le fait qu’elle ait décidé consciemment de se retirer de la compétition à un moment aussi crucial non seulement pour les Jeux de Tokyo, mais pour sa carrière en général, personne ne l’a vu venir. Il y a un sentiment d’incompréhension parce qu’on s’imagine qu’elle est « plus forte que ça », quasi surhumaine, et que ce genre de problèmes ne devraient pas l’empêcher de continuer. On a vu des athlètes par le passé poursuivre leur épopée olympique malgré des drames importants, comme Joannie Rochette aux Jeux de Vancouver qui avait perdu sa mère juste avant et qui avait tout de même brillé. Donc pour la plupart des gens, c’est dur à s’expliquer. Mais quand on regarde sa trajectoire de vie (enfance difficile, victime d’agression sexuelle de l’ancien médecin de l’équipe américaine de gymnastique Larry Nassar), on comprend mieux quels peuvent être ses « démons ».

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Quels sont les défis au plan de la santé mentale spécifiques aux athlètes en gymnastique dans un tel contexte ?

C’est un sport particulier où les athlètes commencent très jeunes à se spécialiser. Ils s’entraînent plusieurs heures par semaine alors qu’ils ne sont souvent que des enfants, ils n’ont pas beaucoup de vie sociale et doivent s’investir corps et âme là-dedans s’ils veulent performer à un haut niveau et atteindre la « perfection ». Il y a également un aspect de la « culture du corps » qui peut être néfaste pour l’estime de soi, puisqu’on glorifie la minceur et la musculature. Tous ces éléments peuvent entraîner des effets à long terme sur les athlètes qui ne sont pas nécessairement outillés pour répondre à cette charge mentale et craquent éventuellement.

Ils s’entraînent plusieurs heures par semaine alors qu’ils ne sont souvent que des enfants.

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Dans le cas de Simone, il faut comprendre que les médias ont joué un rôle important dans toute cette pression en lui donnant une image de la GOAT (greatest of all time), de combattante, qu’elle allait tout rafler aux Jeux de Tokyo, etc. En tant qu’athlète, tu t’attaches malgré tout à toute cette attention et ça te motive, mais l’envers de la médaille, c’est que ça peut aussi te brûler si tu te sens plus fragile pendant une certaine période.

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Est-ce que la question de la santé mentale dans le milieu sportif est encore aussi taboue en 2021 ?

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Depuis quelques années, on en parle davantage et de plus en plus d’experts et d’athlètes s’expriment sur le sujet donc les choses changent tranquillement. Pour les athlètes en particulier, il y a une sorte de poids qui tombe des épaules quand on sait qu’on n’est pas les seuls à avoir des moments plus difficiles et que nos émotions sont légitimes. On tolère aussi beaucoup moins de comportements toxiques en tous genres puisqu’on les dénonce rapidement. Je dirais que c’est d’ailleurs l’une des forces du sport que l’on ne voit pas beaucoup dans d’autres milieux : un esprit de communauté incroyable dans l’adversité.

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Qu’est-ce que t’aimerais voir changer en ce qui a trait à la santé mentale dans l’univers du sport professionnel ?

Je souhaite qu’on comprenne mieux et travaille davantage à faire le pont entre une bonne santé mentale et la performance puisqu’ils vont main dans la main. J’aimerais également qu’on se rappelle toujours qu’il y a un humain derrière l’athlète avant tout et que personne n’est à l’abri d’un problème de santé mentale, peu importe son statut social.