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Le business de l’atypique : ou comment se faire du beurre sur le dos des surdoués
Pas une seule réunion de famille se passe sans qu’on ne parle du petit cousin « surdoué » au bout de la table, incapable de tenir en place sur sa chaise. Il hurle, et insulte tout le monde parce qu’il « gère mal ses émotions ». S’il est infernal à l’école, c’est parce qu’il « s’ennuie du fait de son haut potentiel intellectuel », diagnostiqué par sa mère.
C’est quand il m’a envoyé sa purée en pleine tronche que j’ai complètement vrillé. Il n’est absolument pas différent des autres enfants, juste trop couvé et mal élevé. Il faut arrêter de trouver des HPI et HPE à tous les coins de rues, quand on sait qu’il peut être un handicap très difficile à vivre pour certains.
Je connaissais déjà l’histoire, moi. À mes 5 ans, ma mère m’a amené chez la psychologue parce que je m’ennuyais en classe. Comme toutes les mères qui aiment leur enfant, elles ont tendance à tout de suite penser qu’elles ont enfanté un surdoué. Au final, j’étais comme les autres avec juste un peu d’avance car on m’avait appris à lire tôt. 100 € pour apprendre que son fils est normal, ça fait mal.
Selon Léonard Vannetzel, psychologue spécialiste de l’enfant il y aurait « quasiment 70 % des gamins pour lesquels, en consultation, est évoquée l’hypothèse du HPI, y compris chez ceux qui sont déficients ». Pourtant, cette particularité ne touche statistiquement que 2,3 % de la population dont le Quotient Intellectuel Total est supérieur à 130.
Toujours frustré par ce diagnostic réalisé à mes 5 ans et étant persuadé que je suis surdoué, j’ai décidé de passer une batterie d’auto-diagnostics en ligne, pour savoir si je suis HPI. Décryptage.
Piégé dans la toile des tests de QI en ligne
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« Votre résultat est bien supérieur à la moyenne, félicitations ! », « D’après vos résultats, vous êtes au-dessus de la moyenne de raisonnement visuo-spatial ! », « D’après ce pré-test, il semble que vous pourriez être une personne à haut potentiel intellectuel (HPI) » ; ça y est, c’est officiel : je suis un génie ! Enfin, c’est ce que m’ont fait croire officiel-qi-test.com, fr.wwiqtest.com et le cabinet-himind.ch. Moyennant 4 à 10 euros pour obtenir mes vrais résultats pour les deux premiers sites.
Le cabinet himind, quant à lui, me propose une séance d’information pour le “prix attractif de 50 CHF” soit environ 48 euros. La séance facultative se déroule en visioconférence pour ceux qui ne sont pas en Suisse et consiste à répondre à toutes les questions que je me pose autour du HPI. Pour 520 euros, et toujours en visioconférence, je peux bénéficier d’un “outil expérimental” appelé évaluation qualitative (QEV-II). Enfin, si je ne ne comprends pas mes résultats, moyennant 165 euros, un docteur en psychologie pourra me les expliquer.
Ma joie a été de courte durée quand j’ai passé, cette fois-ci, le test gratuit de Psychologie.com : « Vous faites partie des 72,8 % des personnes dont le QI se situe entre 85 et 115, vous vous situez dans la moyenne des Français. ». Outch, mon originalité en a pris un coup.
« Ces tests en ligne sont inutiles et offrir un service payant qui ne peut pas donner un résultat est, à mon sens, illégal. »
J’ai donc demandé à des psychologues spécialistes de me faire part de leurs avis concernant ces tests en ligne – en gardant l’espoir d’être surdoué. Pour Aurore Vissieres-Rodrigue, la réponse est sans appel : « Une évaluation du fonctionnement intellectuel doit toujours être administrée par un psychologue. Aucun diagnostic sérieux ne peut être fait via un test en ligne. » Émanuelle Juillard ajoute même que « ces tests en ligne sont inutiles et qu’offrir un service payant qui ne peut pas donner un résultat est, à mon sens, illégal. ».
Si autant de personnes se revendiquent zèbres, surdoués, ou encore neuro-atypiques (toujours plus de mots pour dire la même chose en plus stylé), pour Émanuelle Juillard, il y a toujours eu des modes sur ce sujet. « Avant, on parlait beaucoup des DYS, un raccourci de langage pour évoquer une partie ou l’ensemble des troubles d’apprentissage. En ce moment, ce sont les HPI ! Et la nouvelle vague arrive avec les hypersensibles. Je pense que si on a l’impression qu’il y a autant de HPI, c’est parce qu’on s’intéresse enfin aux fonctionnements des cerveaux différents. »
Quand la surdouance est synonyme de jackpot
Conférences, séances de coaching ou encore bouquins sur la surdouance : surfant sur ce nouveau business, de nombreux opportunistes n’hésitent pas à s’auto-proclamer spécialiste en la matière, en frôlant le charlatanisme.
Quand j’ai voulu assister à une de ces conférences, j’ai été tout de suite refroidi : 200 € pour assister à une masterclass et jusqu’à 900 € pour des séances de coaching. Désolé AFM Developpement, mais mon budget étudiant ne me permet pas de suivre un one man show qui va flatter mon ego, en me faisant croire que je suis surdoué.
Alors pour continuer mon enquête sans trop me ruiner, je me suis baladé au temple du savoir moderne que l’on appelle plus communément, la FNAC. Là-bas, je ne savais plus où donner de la tête. Des rayons toujours plus remplis de livres de coaching personnel du genre :« Réveillez votre potentiel intellectuel », « Vous êtes un génie », « Achète-moi et tu vas être beau et riche ». Ces livres où l’on voit davantage la photo du spécialiste que le titre, avec le prix exorbitant, lui, écrit en tout petit, petit.
Et puis je suis tombé sur ce livre en tête de gondole, probablement le best-seller de l’arnaque à l’atypique : Trop intelligent pour être heureux ? de Jeanne Siaud-Facchin. En fouillant, j’ai pu découvrir que ce livre était la bible du cercle très fermé des HPI. Vendu à près de 240 000 exemplaires au prix de 23,90 €, il a indéniablement contribué à mettre en lumière le phénomène HPI. Mais l’autrice a trop élargi sa définition, associant le surdoué à « une sensibilité, une émotivité, une réceptivité affective », ce qui a permis à beaucoup (trop) de gens de s’y reconnaître, parfois à tort. C’est ce que beaucoup de spécialistes appellent, l’effet barnum. Était-ce volontaire pour « faire vendre » ? Telle est la question. Toujours est-il que Jeanne Siaud-Fauchin a fait l’objet de signalements pour dérives sectaires.
« Allez dans un endroit où les psys veulent vraiment aider les gens et pas juste faire du chiffre d’affaires. »
Jeanne Siaud-Fauchin a depuis ouvert un centre nommé Cogito’z pour le suivi psychologique, lui aussi remis en question, car il ne proposerait pas d’accompagnement valide ni fiable mais des prix exorbitants. Les avis que j’ai pu trouver sont sans appel : « Quant au bilan censé expliquer les choses, ils se contentent de lire des passages jusqu’à l’heure convenue, et on vous facture ça 90€. Donc pas loin de 600€ pour un test invalide et faux. Bref, allez dans un endroit où les psys veulent vraiment aider les gens et pas juste faire du chiffre d’affaires. »
C’est la même impression qu’a eue la mère de mon fameux cousin lanceur de purée. Étant persuadée que son fils avait des facultés intellectuelles au-dessus de la moyenne, elle lui a donc fait passer un pré-test en ligne composé d’une trentaine de questions, pour 50 euros d’entrée de jeu. Le test étant plutôt concluant, une réponse du psychologue détaillée lui fait savoir que son fils est potentiellement HPI. Un rendez-vous est donc pris avec le psychologue en question qui, au cours d’une séance de 3 heures facturée 320 € euros, conclut que le malheureux petit bonhomme est bien… normal. Résultat : 370 € dans la poche du psychologue et aucun changement.
16 % des psychologues référencés sur Doctolib, proposent des tests de QI pour des tarifs estimé entre 200 et 600 euros. Ça brasse au max. Seulement les tests HPI pratiqués par des psychologues seraient, eux aussi, remis en question par une majorité des personnes HPI, comme en témoignent ces deux youtubeuses. Pour elles et beaucoup d’autres, ces consultations qui peuvent s’élever jusqu’à 900 €, ne changent rien au mal-être du patient. Aucune aide ni aucun accompagnement viable ne sont proposés aux HPI.
« Comme beaucoup de mes collègues, je me suis lancée là-dedans parce que je savais qu’il y avait de l’argent à se faire. »
Une enquête de l’Express a d’ailleurs révélé le témoignage d’une psy qui avouait : « Comme beaucoup de mes collègues, je me suis lancée là-dedans parce que je savais qu’il y avait de l’argent à se faire » ; « Les gens se posent plus de questions sur eux-mêmes. Parfois, il m’arrive de faire quatre tests par semaine, le double de ce que je faisais avant ! ».
Le problème de tout ce business de l’atypique est que, de plus en plus de pseudo-spécialistes se frottent les mains. De plus en plus de personnes pensent se reconnaître dans les caractéristiques de l’HPI au détriment de personnes vivant avec de vrais troubles.
Alors si vous pensez réellement avoir des troubles psychologiques et que tout cela vous paraît flou, Aurore Vissière Rodrigue a un conseil : « Ce bilan est pertinent uniquement si le patient a besoin de mieux connaître son fonctionnement, et pour mettre du sens sur des particularités qui impactent son quotidien. ».
En résumé, pour éviter de perdre votre argent, ne consultez que des psychologues spécialisés, et ce, uniquement si vous avez du mal à vivre avec vos troubles. Quant à moi, je retourne dans mon train-train quotidien pour mener ma vie de parfait monsieur tout le monde, mais convaincu que chaque personne reste unique, avec ou sans haut potentiel intellectuel.