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L’art de la suite au cinéma: 4 études de cas
En tant que cinéphiles, l’annonce d’une suite à un de vos films fétiches devrait toujours déclencher une sonnette d’alarme dans votre esprit. C’est une idée séduisante que celle de renouer avec des personnages qu’on aime, mais c’est souvent aussi une fausse bonne idée.
Dans un domaine comme le cinéma où il se brasse beaucoup d’argent et tout coûte cher, la mise en chantier d’une suite de film est très souvent motivée par des dessins financiers et non par un élan créatif. Le premier exemple qui me vient en tête, c’est évidemment celui du grand retour de Star Wars en 2015:
La bande-annonce mise sur notre rapport à la trilogie originale pour vendre le film. On y voit : le casque de Darth Vador, le faucon millénaire, RD-2D, Leia et un Han Solo à la tête grise, toujours aussi cool qu’avant. En deux minutes, on nous fait la promesse implicite qu’on va renouer avec nos personnages favoris et si vous avez vu The Force Awakens, vous savez que le film ne s’arrête pas là. On y introduit une nouvelle génération de personnages en racontant à peu près la même histoire que le film original.
Disney n’a pas relancé Star Wars pour l’amour de Luke Skywalker, mais pour exploiter votre amour pour la trilogie originale. Quand on dépense beaucoup d’argent pour faire revivre des personnages, c’est parce qu’on s’attend à en faire encore plus. Beaucoup BEAUCOUP plus. Il arrive cependant que les étoiles s’alignent et que créativité et profits fassent bon ménage. Analysons ensemble 4 suites considérées MEILLEURES que l’original pour essayer d’y trouver la recette secrète.
The Godfather II (1974)
L’exemple classique que tout le monde donne lorsqu’on parle de suites meilleures que le film original.
Si The Godfather II éclipse si majestueusement son prédécesseur, c’est qu’il s’agit d’une fausse suite ou plutôt d’une extrapolation basée sur plusieurs scènes de l’oeuvre originale (le roman de Mario Puzo), un mammouth de 600 pages que le premier film n’a pas entièrement couvert. Plusieurs scènes de The Godfather II font partie de l’oeuvre originale, en autres les flashbacks de la vie de Vito Corleone et toute l’histoire du déménagement de la famille à Las Vegas.
The Godfather II est l’exemple classique que tout le monde donne lorsqu’on parle de suites meilleures que le film original.
Francis Ford Coppola et Mario Puzo ont adapté le roman stratégiquement, sur plusieurs années, sans faire de conférence de presse pour annoncer leurs plans et mettre une pression commerciale sur les films (comme Disney a la mauvaise habitude de faire avec les films Marvel).
L’autre raison qui explique le succès de cette suite, c’est l’enthousiasme et la vision créative de Coppola et Puzo. Le premier jet du script de The Godfather II était déjà écrit en 1971, avant même la parution du premier film. À cette époque, la décision de juxtaposer la création de l’empire Corleone impliquant le jeune Vito à la chute de la famille impliquant Michael, était déjà prise.
Donc, si The Godfather II est la référence dans le domaine des suites cinématographiques, c’est parce que les deux films ont été pensés conjointement et qu’il s’agissait de la conclusion dramatique d’un long arc narratif magnifiquement bien planifié.
Harry Potter & The Prisoner of Azkaban (2004)
Un de mes exemples préférés de suite bien conceptualisée.
Le prisonnier d’Azkaban marque le premier changement de réalisateur. Alfonso Cuaron est un réalisateur au style beaucoup plus sombre et adulte qui marque une coupure avec le ton plus coloré des deux premiers films.
Ce qui est bien avec Harry Potter, c’est qu’il a dix ans au début de l’aventure et que sa créatrice JK Rowling n’a pas eu peur de le faire vieillir au fil des romans. C’est la clé du succès de la série, donc de surcroit des adaptations. Faire vieillir son personnage principal c’est une manière béton de s’assurer de ne jamais tomber dans la complaisance en proposant du réchauffé. Dans le cas d’Harry Potter, le temps qui passe et les révélations qui lui sont faites servent aussi à le confronter à sa responsabilité envers ses amis de Poudlard. On vit ces développements avec lui à chaque film.
Le prisonnier d’Azkaban est une suite particulièrement réussie pour deux raisons 1) Elle marque le premier changement de réalisateur. Alfonso Cuaron est un réalisateur au style beaucoup plus sombre et adulte qui se démarque du ton plus coloré des deux premiers films. 2) C’est à partir de ce film que l’influence expressionniste (l’idée qu’on regarde le monde tel que perçu par un personnage et non comme il est) commence à se faire sentir. Tout y est sombre, disproportionné et menaçant, comme dans un cauchemar d’enfant.
La clé du succès des suites d’Harry Potter, c’est le changement et l’évolution graduelle. Tant au niveau narratif qu’esthétique.
The Dark Knight (2008)
Bon, Christopher Nolan a un peu triché.
Sa trilogie de films de Batman ne suit par une trame narrative cohérente, mais plutôt une certaine époque dans la vie de son personnage principal. Batman Begins, The Dark Knight et The Dark Knight Rises se suivent dans le temps, mais les connexions entre les films sont très minces. Par exemple, The Dark Knight Rises se déroule huit ans après les événements de The Dark Knight, dans une Gotham City ayant largement oublié le Joker.
The Dark Knight est donc un cas spécial. C’est techniquement une suite, mais il aurait pu exister sans Batman Begins ou The Dark Knight Rises sans mélanger même le plus novice des spectateurs.
Ne pas s’empêtrer d’un arc narratif, ça aide déjà à faire de meilleurs films. Il n’y a pas de soucis de continuité ou de personnages qui perdent soudainement leur pertinence. C’est d’ailleurs comme ça que sont conceptualisés les romans graphiques. Les différentes trames narratives de Batman roulent parallèlement l’une à l’autre. Comme ça les artistes se concentrent sur leurs histoires sans impératifs superflus. C’est une vieille convention dans le milieu de la bande dessinée.
The Dark Knight est donc un cas spécial. C’est techniquement une suite, mais il aurait pu exister sans Batman Begins ou The Dark Knight Rises sans mélanger même le plus novice des spectateurs.
Ce qui fait sa richesse, c’est l’influence tirée de bandes dessinées classiques comme The Killing Joke, The Long Halloween ou encore Arkham Asylum: A Serious House on Serious Earth (dans le cas du Joker) sans nécessairement en prendre les idées. C’est un film qui comprend le style et l’univers de Batman, mais qui a un propos bien à lui. Si Christopher Nolan avait été dessinateur et non réalisateur, il aurait été un bédéiste aussi populaire que ses inspirations.
Thor: Ragnarok (2017)
MA suite coup de coeur.
Personne n’a jamais vraiment kiffé Thor avant ce film. La seule raison pour laquelle il a été adapté au cinéma, c’est qu’il fait partie des Avengers originaux. Les deux premiers films de ses aventures se sont classés 20e et 21e en termes de profits sur les 24 films Marvel. N’ayant plus rien à perdre, Disney a décidé de tout sacrer aux vidanges et de recommencer à zéro avec l’incroyable Taika Waititi aux commandes.
La résurgence de Thor s’est faite autant sur un plan commercial qu’artistique, ce qui prouve que marier les deux philosophies n’est pas impossible lorsqu’on assoit les bonnes personnes ensemble dans une salle de réunion.
Ce que Waititi a fait avec la franchise est génial. Il a tout changé à part le personnage principal. S’inspirant fortement de la série de bédés Planet Hulk, il a arraché Thor à son Asgaard natal pour lui donner des personnages de soutien qui sont mieux adaptés à ses qualités et à son sens de l’humour. Il a remplacé les dieux scandinaves pompeux et inintéressants par des extra-terrestres bizarroïdes et Jeff Goldblum.
La résurgence de Thor s’est faite autant sur un plan commercial qu’artistique, ce qui prouve que marier les deux philosophies n’est pas impossible lorsqu’on assoit les bonnes personnes ensemble dans une salle de réunion. Le choix stratégique d’arracher Thor à son milieu aura donné une nouvelle vie à un personnage qui en a toujours manqué un peu.