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L’art de faire peur: comment les films d’horreur américains ont vaincu leurs propres clichés
J’ai pas toujours su à quel point j’aimais les films d’horreurs.
Un film d’horreur réussi cause une terreur bien particulière.
C’était pas mal le fruit défendu quand j’étais petit. Tout ce qui était susceptible de me causer des cauchemars ou des brûlures d’estomac, en fait. À la défense de mes parents, il faut dire qu’un film d’horreur réussi cause une terreur bien particulière. C’est comme si notre cerveau se retournait contre nous et se mettait à chercher des moments dans notre vie où on serait techniquement vulnérable à des violences inexplicables ou apparitions surnaturelles. Par exemple, la nuit lorsqu’on est tout seul.
Trente ans plus tard, il m’arrive régulièrement de faire des vendredis horreur et habaneros à la maison, question de repousser mes limites et de pratiquer mon humilité. C’est drôle comment ça fonctionne la vie.
Cependant, plus j’écoute des films d’horreur, moins ils me font peur. Je ne dois pas être le seul à vivre ça. Quand je sais à quoi m’attendre, que la musique s’élève au bon moment et que je sais pertinemment que le fantôme de tata Bérangère hante la maison ou qu’un maniaque psychosexuel se cache dans les toilettes, le mécanisme qui me mène habituellement sur le bord de mon siège finit par perdre de son efficacité.
Heureusement (le saint patron des terreurs nocturnes a dû m’entendre maugréer), le cinéma d’horreur indépendant semble bien au courant de ce problème et quelques bijoux au cours des dernières années ont réussi à affecter mon sommeil de trentenaire cynique en attaquant de front les clichés du genre. C’est d’ailleurs le cas de l’adaptation de la nouvelle d’H.P Lovecraft Color Out of Space, qui m’a donnée de drôles de cauchemars, cette semaine:
Comment le cinéma d’horreur américain a-t-il réussi à se renouveler? J’ai identifié trois raisons, basées sur des films qui ont réussi à me foutre la trouille:
La zone grise entre le réel et l’inexpliqué
C’est beaucoup plus difficile de plonger les gens dans la terreur la plus complète aujourd’hui que ce l’était en 1997.
Internet et les réseaux sociaux rendent toute forme de mystère au mieux temporaire. Peu importe la situation, quelqu’un, quelque part, va trouver une explication rationnelle afin d’apaiser les esprits. Prenez la COVID-19. Plus on en apprend sur la maladie et moins elle semble perverse et imprévisible. On sait quoi faire pour la tenir à distance, on peut prendre des moyens pour ne pas l’attraper. L’information circule et on s’adapte, n’en déplaise aux complotistes.
C’est donc devenu difficile pour l’horreur de refléter la plus grande et vieille peur de l’être humain: celle de l’inconnu.
Le réalisateur Ari Aster n’est pas le premier à exploiter la zone grise entre le réel et l’inexpliqué (* ahem * L’Exorciste * ahem *), mais son film de 2018 Hereditary a remis le concept au goût du jour. Dès le premier jour de sa mise en marché, Hereditary a créé des attentes claires avec sa bande-annonce:
Voilà un film qui se présente comme un psychodrame déguisé où on regarde la santé mentale d’une famille se désintégrer pour finalement sombrer dans la violence extrême pendant deux heures. Un concept très à la mode depuis quelques années.
Sauf que….
Le film nous réserve un virage à 180 degrés au moment où on s’y attend le moins et se retrouve tiraillé entre plusieurs explications possibles. Est-ce que 1) Toni Collette est en train de devenir folle? 2) Est-ce que la famille de Toni Collette conspire pour la faire devenir folle? 3) Est-ce qu’elle a mis son mari en feu elle-même ou c’est juste arrivé comme ça? 4) OMG. TOUTES MES HYPOTHÈSES ÉTAIENT FAUSSES. QU’EST-CE QUI SE PASSE, J’AI PEEEEUR.
Suffit d’enlever le lien de cause à effet pour qu’on essaie d’en créer un nous-mêmes et nos explications seront toujours plus flippantes que celles que le film pourrait nous donner.
En juxtaposant les phénomènes inexpliqués et les explications potentielles, Ari Aster nous confronte à notre propre ignorance et à la confiance malsaine qu’on voue aux stéréotypes de l’horreur. Suffit d’enlever le lien de cause à effet pour qu’on essaie d’en créer un nous-mêmes et nos explications seront toujours plus flippantes que celles que le film pourrait nous donner. Parce que y’a personne de mieux placé que nous pour comprendre ce qui nous fait peur.
L’absence (ou l’omniprésence) d’un monstre
À la base, j’ai rien contre les films de monstres.
Bien que j’aie une préférence marquée pour les films de fantômes parce qu’il n’existe pas de règles précises pour en venir à bout, les loups-garous, et les vampires ont tous leur charme particulier. Suffit de bâtir de l’anticipation pour bien les présenter.
Ce qui est next level, ce sont les créatures qu’on ne voit jamais.
Ce qui est next level, ce sont les créatures qu’on ne voit jamais.
C’est cette idée qui rend un film comme Color Out of Space terrifiant. Tôt après la chute du météorite qui change la vie de la famille Gardner, le plus jeune fils entre en communication avec une créature qui semble se trouver à l’intérieur du puits de leur ferme. Lorsqu’elle finit par en sortir, on découvre… une mante religieuse tout ce qui a de plus normal. C’est là qu’on comprend que cette force venue de l’espace n’a pas de corps. Elle est tout simplement partout.
Dans les animaux, dans les arbres, dans la maison et dans chacun des membres de la famille Gardner.
On ne verra jamais ce monstre, mais Color Out of Space nous confronte aux conséquences de sa présence sur les êtres humains qui se trouvent à proximité et les conséquences passent de «ah tiens, une mante religieuse mauve» à «m’man il vient de se couper les doigts et n’a pas l’air de s’en rendre compte» à «AH MERDE C’EST QUOI CE TRUC-LÀ» en un peu moins de deux heures! Âmes sensibles, s’abstenir.
Si on ne voit jamais la menace dans un film d’horreur, on ne peut jamais anticiper d’où elle va arriver. On devient la proie des idées tordues du réalisateur.
La science du jump scare
Les puristes en parlent comme si c’était la lèpre. Une maladie qui ronge le cinéma d’horreur depuis le tournant du siècle.
Ce sont des gens très dramatiques.
J’ai moi-même détesté les jump scares pendant de nombreuses années. C’est une façon mécanique d’obtenir une réaction de l’audience, mais qui ne laisse que très peu d’effets à long temps et plusieurs films l’utilisent en effet comme une béquille pour palier au fait qu’ils ne sont juste pas si flippants que ça. La série The Conjuring en est un bon exemple.
Sauf que…
Celui-là fonctionne, hein?
Les jump scares, c’est comme la musique pop. Si c’est fait par quelqu’un d’intelligent et passionné, ça va être intéressant. Une série comme The Haunting of Hill House ne s’appuie pas seulement sur cette technique, mais s’en sert plutôt pour déstabiliser l’audience émotionnellement afin de la rendre plus vulnérable à ce qui s’en vient. Ils ont un but. Nous effilocher les nerfs comme un Starfrit rouillé, c’est un but comme un autre pour un film d’horreur.
*
Si ça vous tente de mettre votre capacité au sommeil à l’épreuve dans un environnement contrôlé, Color Out of Space, Hereditary et The Haunting of Hill House sont ce qu’il vous faut!