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Laissons Marilyn Monroe reposer en paix

Quand la mort des un.e.s fait le succès des autres.

Par
Malia Kounkou
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« Je vais littéralement faire du vaudou [dessus] ! » Telles seront les paroles émues de Kim Kardashian en découvrant la boucle blonde potentiellement authentique de Marilyn Monroe offerte par la chaîne américaine de musée Ripley’s Believe it Or Not. Et la générosité de l’établissement ne s’arrêtera pas là. Quelques jours plus tard, lors du Met Gala — cette illustre soirée déguisée où aucun.e invité.e ne respecte jamais le thème —, l’influenceuse milliardaire se présentera vêtue de la robe portée par Marilyn Monroe elle-même lors de sa très célèbre prestation « Happy Birthday, Mister President ».

« Cette robe est donc plus chargée d’une histoire de violence que de glamour. »

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D’un tissu chair parsemé d’une myriade de diamants, cette robe sur-mesure évaluée à cinq millions de dollars est à ce jour la plus chère du monde. La plus macabre aussi; le soir où Marilyn Monroe la porte, peu de gens savent que l’actrice est « en état d’ébriété et souffre de dépression », précise la critique mode Dana Tarabey dans Marie Claire. Et trois mois après, elle sera retrouvée inanimée à son domicile, overdosée aux somnifères à seulement trente-six ans. « Cette robe est donc plus chargée d’une histoire de violence que de glamour », ajoute Dana Tarabey.

Ce n’est que du glamour que le monde entier se souviendra, cependant. Et pour cause : le thème 2022 du Met Gala était « glamour doré », une source d’inspiration immédiate pour Kim Kardashian. « Quelle est la chose la plus américaine à laquelle tu puisses penser ? Et c’est Marilyn Monroe », confie-t-elle à Vogue avant de détailler le régime strict grâce auquel elle a perdu sept kilos en trois semaines pour pouvoir enfiler cette robe.

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Un sacrifice culinaire que beaucoup trouveront dangereux à faire comme à déclarer en public, surtout « quand vous savez que des millions de jeunes hommes et femmes vous regardent », comme s’en indignera sur Instagram l’actrice Lili Reinhart. De plus, la démarche semble être en opposition directe avec la vision du glamour et de la sexualité « naturelle et spontanée » prônée par Marilyn Monroe dans sa dernière entrevue pour le magazine Life. Se pourrait-il donc qu’une robe transparente et une teinture platine ne soient pas suffisantes pour se fondre complètement sous la peau de l’icône défunte ?

Une icône invisible

Répondre à cette question nécessite de la connaître et personne n’a véritablement connu Marilyn Monroe de son vivant. Elle est plutôt cet objet de désir à qui est refusée toute existence indépendante du regard masculin. Nul ne se souvient aujourd’hui de ses multiples actes de charité, de son amour de la littérature ni de son combat pour le respect des droits civiques des communautés noire ou homosexuelle. Nos connaissances collectives tournent plutôt autour de sa liaison avec le Président Kennedy, de sa robe blanche soulevée au-dessus d’une bouche d’aération et de ses boucles blondes distribuées récemment au plus offrant.

Car même dans la mort, Marilyn Monroe n’est pas respectée.

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« Je ne me considère pas comme une marchandise, mais je suis sûre que beaucoup de gens l’ont fait », se confie-t-elle avec lucidité à quelques mois de sa mort. Et parmi ces « marchands » figure le sulfureux Hugh Hefner, qui, pour lancer la toute première édition du magazine Playboy, utilisera des clichés nus de Marilyn Monroe à son insu. Malgré le succès immédiat du média, l’actrice ne recevra ni remerciement ni redevances. Et, cerise sur le gâteau : Hugh Hefner dépensera 75 000 dollars pour être son voisin de cimetière, trouvant l’opportunité « trop douce pour passer à côté », selon le Los Angeles Times.

Car même dans la mort, Marilyn Monroe n’est pas respectée. Son souhait d’être enterrée selon les rites juifs est balayé d’un revers de main. À la morgue, l’embaumeur Allan Abbott commente sur sa pilosité et l’état de sa pédicure, tandis qu’un autre embaumeur laisse un journaliste de Life photographier son corps autopsié et qu’un autre encore s’offusque de sa poitrine au naturel supposément indigne de la Marilyn Monroe que l’on connaît. Le blog FYEAHHISTORY fait également état de nécrologies écrites de mains majoritairement masculines et « se focalisant sur sa sexualité, ses dommages émotifs, sa morphologie féminine ».

au visionnage de cette instrumentalisation de la mort, on ne peut que se demander : à qui ce voyeurisme profite ?

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Tel est donc le revers de ce fameux glamour que, par moment, la star elle-même cherche à fuir. « C’est le problème, un sex-symbol devient une chose. Et je déteste être une chose », confesse-t-elle chez Life. Hélas, l’image qui lui survit aujourd’hui est justement celle d’un objet sur lequel tout le monde projette le fantasme incomplet de ce qu’elle a réellement été. C’est pourquoi, en cherchant à émuler Marilyn Monroe au point d’emprunter une robe auparavant conservée en musée, nombreux et nombreuses estiment la démarche de Kim Kardashian réductrice, voire assez nombriliste. « L’image de Marilyn [est] en train d’être dégradée et réduite à un “sex-symbol” comme si elle n’était pas une femme qui a malheureusement été exploitée sa vie entière », déplore ainsi une internaute sur Twitter. « Même après la mort, elle ne pouvait rester en paix. »

Hôtel du malaise

Dans un registre similaire se trouverait Hôtel du Temps, une toute récente émission française dans laquelle le présentateur (Thierry Ardisson) s’entretient avec des personnalités décédées — Dalida, Lady Diana ou encore Claude François. Leur résurrection passe ici par le biais d’une intelligence artificielle qui recrée parfaitement leur image, clone leur voix et imite leurs mimiques. Lorsque Thierry Ardisson les questionne, bien que les réponses se basent sur des archives disponibles, les phrases prononcées par les célébrités fantômes sont, elles, entièrement inventées. Autrement dit, Hôtel du Temps fait parler les mort.e.s.

La mort a toujours été une affaire lucrative.

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Entre documentaire, fiction et brouillard éthique, l’émission nous invite d’abord dans le bain moussant de Dalida, puis dans son salon, où un Thierry Ardisson décomplexé lance : « Vous étiez une petite fille naïve qui ne connaissait rien au plaisir sexuel, c’est vrai ? », pour ensuite aborder au détour d’une phrase sa première tentative de suicide. « Peut-être que l’émission aurait dû s’appeler “Laissez-moi clamser” », formule à juste titre la journaliste Anaïs Bordages dans Slate. Car, au visionnage de cette instrumentalisation de la mort, on ne peut que se demander : à qui ce voyeurisme profite ?

Une machine bien huilée

La mort a toujours été une affaire lucrative. Il n’y a qu’à voir les pics de ventes des artistes fraîchement décédé.e.s. « Tupac a vendu plus de 75 millions d’albums dans le monde, et la vaste majorité d’entre eux à titres posthumes », comptabilise ainsi Charlie Jones dans Dummy Mag. Une mine d’or bien connue des maisons de disque, qui, dès que leurs poulains décèdent, réunissent tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à un fichier MP3 pour produire différents albums post-mortem. Quitte à organiser des collaborations entre artistes en conflit, comme il a été question avec Falling Down de Lil Peep et XXXTentacion. L’un étant décédé de surdose et l’autre, à bout portant : qui pourra contester cette décision ?

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La robe de Marilyn Monroe nous entraîne donc dans une spirale introspective. Elle questionne à la fois le respect que nous réservons habituellement aux mort.e.s et la manière dont nous réécrivons ce qu’ils et elles ont été, le plus souvent pour servir nos propres intérêts. « [Marilyn Monroe] est une étude poignante de la manière dont la mort ne rend personne exempt à la surveillance corporelle et à l’exploitation », rédige à ce sujet la doctorante Aoife Sutton. « Ce n’est pas controversé de dire que les morts méritent le même respect que les vivants. »