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La vie d’adulte

« À 28 ans, on est censé être un vrai adulte, non ? »

Par
Marie-Hélène Racine-Lacroix
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Quand j’étais petite, j’avais une image très claire de ce que ma vie de grande personne allait être. J’allais devenir enseignante, être mariée à un homme et avoir trois enfants, un chien et un chat. J’allais vivre dans une maison de banlieue avec une cour arrière au gazon bien vert décorée d’une piscine et d’une balançoire pour les petits. J’allais avoir un compte conjoint, un budget bien suivi et une Toyota Sienna beige pour aller au Costco.

Samedi passé, j’ai eu 28 ans. Pour moi, mon anniversaire est toujours un moment d’émotion et de réflexion. D’abord, mon côté insécure adore ce rappel annuel que non, mes ami.e.s ne me haïssent pas tou.te.s secrètement. Ensuite, je vois le 22 janvier comme un checkpoint : une autre année de passée. Je ne suis pas certaine de comprendre pourquoi, mais, cette année, l’âge me semble important. J’ai l’impression que si je m’étais dirigée vers la vie qu’imaginait la jeune Marie-Hélène, 28 ans serait l’âge où j’y serais à peu près arrivée. À 28 ans, on est censé être un vrai adulte, non ?

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Pourtant, dans la vraie vie, j’ai depuis réalisé que je ne marierai jamais un homme, faute d’attirance envers eux. Je me suis dirigée vers les arts, je suis pigiste et je vis dans un petit appartement sans cour arrière. Je suis incapable de calculer un budget, et blâme le capitalisme pour tous mes problèmes de toute façon. À part Amos Daragon, mon chat adoré, je suis très loin de cette image que j’avais de la vie d’adulte.

Je ne pourrais pas en être plus heureuse.

Je me suis toujours sentie différente, sans pouvoir l’articuler ou en comprendre les raisons.

J’étais une enfant anxieuse. Bien que j’étais déjà fascinée par l’écriture, le dessin et l’humour, je me censurais moi-même dans mes fantasmes de carrière d’artiste. Je savais que les bédéistes, les auteurs et autrices et les humoristes existaient, mais je me disais que ce n’était pas un but réaliste à avoir. J’étais obsédée à l’idée d’être parfaite, pour correspondre aux attentes envers moi, bien qu’elles étaient complètement imaginées. Je me disais que si je suivais un chemin conforme à mes modèles, mes parents et mes proches n’allaient jamais avoir à s’inquiéter pour moi et je n’allais déranger personne. J’allais être « normale ».

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Je me suis toujours sentie différente, sans pouvoir l’articuler ou en comprendre les raisons. J’ai vite développé un complexe envers mes idées bizarres et appris à m’adapter à un groupe pour qu’il ne me trouve pas étrange ou malaisante, bien que souvent sans succès. Quand mes amies parlaient des garçons sur qui elles avaient des kicks, je ne comprenais jamais leur intérêt. J’ai appris à choisir automatiquement un garçon qui remplirait ce rôle, encore une fois pour contrer cette peur d’être différente.

Quand on me demandait ce que je voulais faire quand j’allais être grande, je répondais que j’allais être enseignante, comme mes parents. C’est une réponse que les gens trouvaient satisfaisante, même adorable. Pourtant, j’inventais déjà plein d’histoires et j’aimais faire rire. Je rêvais déjà d’avoir le temps pour faire de la bande dessinée dans mes temps libres de grande personne.

Même en grandissant, j’ai toujours justifié mes choix avec ce désir de perfection. Au collège, j’ai choisi d’aller au programme d’éducation internationale au lieu d’en art plastique parce que ça me semblait être la bonne chose à faire. J’étais cette personne insupportable qui déprimait quand elle avait moins qu’un « 18/20 ». Mon côté créatif ressortait occasionnellement, comme la fois où je m’étais dit que c’était une bonne idée de mettre un tutu mauve à l’école, mais les regards moqueurs de mes pairs étaient assez pour me renvoyer au plus profond de mon désir d’anonymat.

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Au lycée, je me disais que les arts et lettres allaient me servir en éducation. Même quand le naturel est revenu au galop, comme un cheval rebelle à sa préadolescente unique dans un film équestre, et que je suis allée en bande dessinée à l’université, j’essayais de justifier mon choix à mes parents, qui me supportaient déjà pleinement. Quand je me suis inscrite à l’École de l’humour de Montréal, ma chère mère a dû me dire d’arrêter de me justifier.

J’ai beau donner le crédit à ma personnalité, la société a joué un grand rôle dans la vie où j’ai abouti.

Il y a quelques semaines, ma petite soeur me disait que j’étais courageuse de m’être lancée dans une carrière créative. Je lui ai répondu que je n’avais pas de mérite, que c’était ça ou rien. Effectivement, pour l’avoir essayé, je trouve les 9-to-5 de ce monde beaucoup plus courageux que moi. Malgré mes insécurités qui sont toujours présentes sous forme d’un énorme sentiment d’imposteur, je gère beaucoup mieux mon anxiété que du haut de mes 8 ans. Je me sens bien dans ma peau, à ma place et choyée.

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Je trouve drôle de voir passer des articles, surtout en anglais, décrivant ma génération comme des esprits libres jonglant avec différents emplois et préférant la vie nomade de locataire. J’ai beau donner le crédit à ma personnalité, la société a joué un grand rôle dans la vie où j’ai abouti. Les maisons sont hors de prix et la sécurité d’emploi semble être un mythe de l’époque de nos grands-parents. Dans le fond, je ne sais même pas si j’aurais pu atteindre la vie que je m’imaginais il y a vingt ans.

Même si je suis le contraire de ce qu’elle s’imaginait, je pense que la petite Marie-Hélène me trouverait très cool. C’est tout ce qui m’importe.