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La victoire de Damon Albarn
Le premier nom qui vient en tête lorsqu’on se rappelle les années 90, c’est bien sûr Kurt Cobain. Leader du dernier groupe rock culturellement dominant, son trop court passage dans la culture populaire a marqué la fin d’une époque. Nirvana était la dernière grande rébellion musicale.
La planète n’a cependant pas arrêté de tourner après le décès de Cobain en avril 1994. Les années 90 ont continué leur parcours malgré cette fin du monde émotionnelle. Irrémédiablement affectées par le spleen tonitruant de la révolution grunge, elles se sont graduellement tournées vers des figures plus lumineuses telles des fleurs en manque d’amour. Un des premiers arrêts de l’ère post-Nirvana fut la Britpop, une musique rythmée, engageante et surtout intelligente, qui reflétait la quête de sens d’une jeunesse ouvrière à la dérive. The Verve, Pulp, The Charlatans, Supergrass. Rien n’incarnera cependant les années Britpop comme la rivalité entre les groupes Oasis et Blur.
De mon point de vue canadien, la rivalité Oasis v. Blur est l’histoire du triomphe des frères Gallagher. D’une conquête du monde virulente, mais éphémère, qui s’éteindra comme un feu de Bengale après le flop monumental qu’était l’album Be Here Now en 1997. Blur et ses leaders Damon Albarn et Graham Coxon y faisaient figure de prétendants au titre honorablement défaits. Ils étaient The Who alors qu’Oasis étaient les Beatles.
Les années et le documentaire d’Adrien Pavillard Damon Albarn, une histoire anglaise, coproduit par URBANIA et Arte France, m’auront prouvé que j’avais complètement tort. Blur a peut-être perdu la bataille, mais Damon Albarn a gagné la guerre.
Passion, musique et engagement social
L’histoire musicale de Damon Albarn a commencé avec Blur, mais ce n’était que le premier chapitre d’une épopée musicale liant le souvenir d’une époque lointaine et un musicien toujours important et pertinent aujourd’hui. Comme on apprend dans le documentaire de Pavillard, cet « échec » aura libéré chez lui une intransigeance créative qui propulsera sa carrière à un autre niveau.
Frustré par les limitations de la Britpop et du monde de la musique en général, il fondera Gorillaz avec le réputé dessinateur Jamie Hewlett. Tourner le dos à la bataille pour l’amour du public pour se concentrer sur la création pure aura comme effet d’affranchir Albarn auprès d’une toute nouvelle audience. Les passionné.e.s de musique commenceront à s’intéresser à lui et à nourrir sa flamme. Récompensé financièrement et émotionnellement pour avoir été lui-même, Albarn s’investira encore plus dans cette quête de liberté et d’innovation sonore qui viendra à définir son héritage auprès de son auditoire.
Alors que Liam et Noël Gallagher continuent de faire les manchettes pour les mauvaises raisons au tournant du siècle, Albarn, lui, continue à suivre la muse qui l’emmène jusqu’en Afrique pour collaborer avec des musiciens locaux comme Afel Bocoum et Toumani Diabaté sur l’album Mali Music. Une décision qui contribuera non seulement à son rayonnement international, mais qui le nourrira énormément sur le plan musical. Comme il l’explique très bien lui-même dans Une histoire anglaise : « Il n’y a rien qui remplace ce sentiment magique que quelque chose se passe quand on joue avec de nouvelles personnes. C’est pour ça que je fais de la musique. »
L’histoire de Damon Albarn, c’est d’abord et avant tout celle de quelqu’un qui a reçu toute l’attention et l’amour que tout le monde s’imagine vouloir très tôt dans sa vie. Au lieu de continuer à chasser cet amour toute sa vie comme un accro en manque, Albarn a appris de cette situation et a fait les meilleurs choix pour lui-même. Les affrontements hautement médiatisés avec Oasis ne sont jamais venus à le définir. C’est par la passion et la création qu’il a lui-même décidé de son destin.
Damon Albarn et l’Angleterre
Le titre du documentaire d’Adrien Pavillard est explicite à ce sujet : on ne peut pas totalement séparer l’histoire de Damon Albarn de celle de l’Angleterre. Plus particulièrement depuis une décennie, alors que les tensions politiques déchirent le pays un peu plus chaque année. La musique d’Albarn a toujours été bercée par le rythme des remous politiques en Grande-Bretagne depuis la fin des années Thatcher, mais c’est vraiment à l’aide de son « supergroupe » The Good, the Bad and the Queen qu’il commencera à s’attaquer aux problèmes de la montée de l’ultranationalisme.
Aux côtés du bassiste de The Clash Paul Simonon, du guitariste de The Verve Simon Tong et du batteur de Fela Kuti Tony Allen, Albarn s’attaquera à une volée de sujets hautement politiques allant de la participation du Royaume-Uni à la guerre en Afghanistan au Brexit. Investi d’une confiance basée sur sa maturité et une relation forte avec un auditoire qui l’aime encore plus que sa musique, Albarn devient au fil des années une figure politique importante en Angleterre. Comme plusieurs grands musiciens avant lui, il prouve le pouvoir rassembleur et sensibilisateur de la musique à travers son œuvre.
Damon Albarn, une histoire anglaise documente les mouvements culturels et politiques d’une nation à travers une époque, mais retrace aussi l’évolution psychologique et artistique d’un de ses trésors nationaux. Côte à côte, ces deux narrations racontent aussi une histoire beaucoup plus universelle : celle d’une jeune personne bourrée de talents et d’idées, qui apprend à se connaître et à se comprendre à travers l’adversité pour mieux communiquer la beauté qui l’habite. Si c’est pas votre rêve à vous aussi, vous ne rêvez probablement pas assez haut et fort.
Albarn a gagné la rivalité au cœur des années 90 post-Nirvana. Peut-être pas sur le coup, mais aujourd’hui, c’est lui qui continue à faire de la musique que les gens écoutent. C’est la complexité et la polyvalence de son œuvre à lui qui sera célébrée.
Vous pouvez écouter Damon Albarn, une histoire anglaise dès maintenant sur Arte.