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La victimisation

« Des fois, j’oublie que la majorité des gens n’écoutent pas des heures de podcasts sur les injustices sociales chaque semaine. »

Par
Marie-Hélène Racine-Lacroix
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J’ai craqué. J’ai finalement installé l’application qui laissent nos abonné.e.s Instagram nous poser des questions anonymement. J’étais trop curieuse, même si je m’attends à apprendre dans deux semaines que j’ai inconsciemment cédé toutes mes données à une corporation maléfique quelque part outre-mer. (De toute façon, Google possède déjà mon âme.)

J’y ai reçu quelques déclarations d’amour et des questions intéressantes, excellentes pour flatter ma confiance en moi ratatinée du moment. J’ai aussi reçu une question un peu reloue : « Ce n’est pas un peu fatigant d’être une victime de tout ? »

J’ai reçu une question un peu reloue : « Ce n’est pas un peu fatigant d’être une victime de tout ? »

Je m’y attendais, honnêtement. Ce n’est pas la première fois qu’on insinue que je me victimise. Je peux aussi comprendre pourquoi on dirait ça de moi. Je suis une grande sensible et je parle souvent des trucs merdiques que j’ai vécus. Ça me chicote quand même que ce soit perçu ainsi, parce que, pour moi, c’est tout le contraire. Je suis consciente que de répondre à ce genre de question me donne probablement l’air de victimiser à nouveau, mais j’y ai trop pensé et j’ai envie de partager mon point de vue. Merci, question anonyme reloue, pour l’inspiration !

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Plus jeune, je me blâmais pour toutes les mauvaises choses qui m’arrivaient. Si je ne pouvais pas me dire que je les avais causées, je me disais que je les méritais. J’ai encore souvent ce réflexe, mais j’ai depuis appris qu’il y a des choses plus grandes que moi. C’est en comprenant mieux l’impact de la société sur les trucs chiants qui me sont arrivés que j’ai commencé à me sortir de cet état d’esprit où j’encaissais tout sans me battre. C’est comme ça que j’ai repris le contrôle de mon histoire, dans ma tête.

Donc, j’ose penser que si quelqu’un m’a « victimisée », ce n’est pas moi. Ce sont les gens qui m’ont blessée : mes agresseurs et les gens qui ont commis des actes grossophobes, misogynes ou homophobes envers moi. Moi, je fais juste dénoncer le tout.

J’ai toujours été passionnée par le côté social des choses. Je me souviens que je kiffais les cours d’histoire de l’art, même si je ne me rappelais jamais le nom des artistes, sauf ceux des Ninja Turtles. J’étais fascinée par ce que l’art disait sur son époque.

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Ce côté-là de moi n’a pas disparu quand j’ai commencé mes démarches pour me remettre d’une agression sexuelle à 22 ans. J’ai commencé à lire tout ce que je trouvais sur la culture du viol. Avec les années, le portrait s’est élargi et j’ai commencé à consommer tout ce que je trouvais concernant la justice sociale.

Des fois, j’oublie que la majorité des gens n’écoutent pas des heures de podcasts sur les injustices sociales chaque semaine.

Des fois, j’oublie que la majorité des gens n’écoutent pas des heures de podcasts sur les injustices sociales chaque semaine. Je parle de ces sujets-là comme s’ils étaient banals, sans oublier qu’ils sont encore super choquants pour certaines personnes. Ça, par contre, c’est de ma faute. Quand je mentionne être une survivante, j’oublie que pour plusieurs, ce n’est pas aussi normal que ce l’est devenu pour moi. Je trouve absurde le tabou entourant le sujet, vu que ça arrive à tant de monde, mais je suis sincèrement désolée d’avoir rendu des gens mal à l’aise avec ça.

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M’informer m’a aussi permis de réaliser que je n’étais pas seule. Les témoignages de d’autres m’ont tellement aidée dans le passé que j’ose me demander si je ne pourrais pas offrir la même chose à quelqu’un en partageant les miens. Égoïstement, c’est aussi une de mes façons de canaliser plein de trucs. Oui, je pourrais écrire dans un cahier privé, mais où est le plaisir là-dedans ?

Je me demande aussi si certaines personnes pensent que je chiale pour rien, que j’exagère. La vérité, c’est que j’ai été malchanceuse. Ça arrive. J’ai vécu une accumulation de trucs vraiment poches et traumatiques au début de ma vingtaine. Si j’essayais d’en faire un scénario, on me dirait que c’est exagéré. Surtout vu que j’écris de la télé jeunesse. Je me demande si c’est plus facile de penser que je mens que de me croire et de s’avouer que le monde est moins sécuritaire qu’on le pensait.

Finalement, pour être un peu baveuse moi-même, je trouve curieux qu’on accuse aussi souvent des gens marginalisés ou à gauche politiquement de victimisation quand ils dénoncent les violences systémiques, alors que certaines des personnes avec les plus grandes tribunes de la province se plaignent de ne plus pouvoir rien dire. Tout le monde se croit victime de quelque chose, que ce soit du racisme, ou de leur belle-mère. Rendu là, j’ai décidé ce qui est important pour moi.

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