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La vérité sur le Blue Monday

Alors, ça va ?

Par
Laïma A. Gérald
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Comment ça va aujourd’hui ?

On vous pose la question parce que selon une formule supposément « scientifique », cette journée, mieux connue sous le nom de Blue Monday, constituerait le jour le plus déprimant de l’année. En effet, en cumulant le simple fait que c’est lundi avec le mercure sous zéro, le manque de luminosité et l’essoufflement des résolutions de la nouvelle année, le troisième lundi du mois de janvier vous réserverait naturellement une journée de merde. Et alors ? Est-ce le cas ?

En plein cœur du Blue Monday, la journaliste, chroniqueuse et autrice Judith Lussier a publié un statut Facebook, remettant en question la légitimité de cette journée maudite. On a eu envie de discuter avec elle des effets pervers d’une telle opération.

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Une invention marketing

« Quand j’ai pris conscience de l’existence du Blue Monday, je me suis rendue compte que c’était une invention purement marketing, explique Judith Lussier, en faisant référence à Cliff Arnall, l’homme derrière la formule fantaisiste, conçue dans le cadre d’une campagne publicitaire d’une agence de voyages en 2005. Le Blue Monday, c’est un concept assez facile auquel s’identifier, parce que c’est vrai que c’est lundi, c’est vrai que c’est l’hiver, c’est vrai que le soleil se couche à 17h. Et cette année, c’est vrai que c’est la pandémie. Donc je comprends pourquoi les médias et les gens continuent d’en parler, année après année. »

se faire dire par les médias que ce lundi, on est supposés aller mal, je suis pas sûre que ce soit la bonne voie à emprunter.

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Cela dit, selon la journaliste, le concept du Blue Monday comporte certains écueils. « J’ai moi-même vécu une dépression, il y a trois ans. Cette expérience personnelle me fait réaliser que des journées comme le Blue Monday alimentent des idées qui ne sont pas constructives, qui ne sont pas aidantes quand tu essaies de surmonter une épreuve. Particulièrement cette année avec le COVID, on entend déjà en masse un discours comme quoi la vie est lourde et difficile. Donc selon moi, se faire dire par les médias que ce lundi, on est supposés aller mal, je suis pas sûre que ce soit la bonne voie à emprunter. » croit Judith Lussier.

Le pouvoir de la suggestion

« Il y a des études qui démontrent que quand on ne va pas bien, ou même que l’on traverse un épisode dépressif, le pouvoir de la suggestion est immense, affirme Judith Lussier. Je ne dis pas que ça fait des miracles et que ça règle absolument tout, mais tenir un journal de gratitude par exemple, ça aide vraiment à induire des idées plus positives dans la tête. Personnellement, ça m’a énormément aidée, dans une période où je n’allais pas bien. Donc je me dis que c’est un peu la même chose avec le Blue Monday: si tu te lèves le matin en te disant que ça va être une journée poche, ça risque de l’être. Alors que si tu focalises sur des idées plus positives, ça aide le cerveau à construire d’autres schémas et à faire d’autres liens. Ça a l’air niaiseux mais ça aide à reprendre un certains pouvoirs sur les idées plus sombres. »

C’est correct, nécessaire et important de continuer à vivre des émotions et de la colère par rapport aux frustrations et aux injustices.

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Pour la journaliste, il ne s’agit pas d’emprunter un discours jovialiste, naïf ou même d’ignorer ce qui va moins bien dans le monde qui nous entoure. Elle invite plutôt les gens à choisir, à trier ce sur quoi ils.elles focalisent. « C’est correct, nécessaire et important de continuer à vivre des émotions et de la colère par rapport aux frustrations et aux injustices. Mais si y a UNE chose sur laquelle on a du pouvoir, c’est là-dessus. Sur l’histoire qu’on raconte à notre tête. Je vous souhaite d’être bienveillants envers vous-mêmes et d’alimenter de belles idées dans votre tête ! » écrivait-elle sur Facebook.

Un bon prétexte pour parler de santé mentale.

ce qui est pertinent ici, c’est d’être attentif à sa santé mentale, à son état psychologique et de réaliser qu’on est pas tout seul là-dedans. Si le Blue Monday joue ce rôle-là, c’est tant mieux.

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« Même si le concept du Blue Monday n’est pas entièrement constructif, j’en conviens, je vois quand même des côtés positifs, affirme Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue et professeure associée à Université du Québec à Montréal. Le mois de janvier, on le sait, c’est une période de l’année qui est plus difficile. On le voit à l’Ordre des psychologues: le nombre de demandes de consultations en santé mentale montent en flèche au début de l’année. Je ne vous apprends rien, et le Blue Monday capitalise là-dessus: on est dans le creux de l’hiver, on manque de lumière, les festivités du temps des Fêtes sont finies, on a peut-être un stress financier lié aux dépenses du mois de décembre, on attend notre chèque de paye, etc. Donc ce qui est pertinent ici, c’est d’être attentif à sa santé mentale, à son état psychologique et de réaliser qu’on est pas tout seul là-dedans. Si le Blue Monday joue ce rôle-là, c’est tant mieux. »

Culpabilité Monday ?

Même si le Blue Monday comporte certains aspects positifs, comme celui d’attirer l’attention de la population sur la santé mentale, la psychologue considère toutefois que ce n’est pas souhaitable d’élire une seule journée et de lui conférer le titre de « Pire journée de l’année ». « Le message que ça envoie, c’est de dire “ Lundi, c’est “normal” d’être déprimé, mais mardi, tu dois absolument aller mieux. En réalité, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Un état dépressif, ce n’est pas circonscrit en 24h. Ce n’est pas à ce point temporaire. Donc le Blue Monday, ça peut avoir tendance à invalider la manière dont on se sent les autres journées de l’année. »

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Pour Geneviève Beaulieu-Pelletier, le Blue Monday peut avoir un effet pervers, celui de simplifier une situation qui est pourtant très complexe. « Le Blue Monday a tendance à mettre l’accent uniquement sur les facteurs extérieurs, comme le jour de la semaine, la météo, etc. Les paramètres qui définissent notre état psychologique, c’est beaucoup plus complexe que ça. Ça se passe à l’intérieur aussi. C’est important de considérer la santé mentale comme un ensemble. En focalisant uniquement sur les facteurs extérieurs, on passe à côté d’une grande partie de l’enjeu. » croit la professeure associée.

L’impuissance acquise

quand on se fait dire qu’aujourd’hui, on est supposé être déprimé, on peut avoir tendance à devenir très self conscious, très vigilant à chaque détail corporel, émotionnel, qu’on laisserait passer d’habitude, et finir par croire qu’on ne va réellement pas bien et que la journée va mal se passer.

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Le concept du Blue Monday, surtout quand il martelé tout autour de nous, peut créer ce qu’on appelle l’impuissance acquise, un concept qui a à la fois intéressé Judith Lussier et Geneviève Beaulieu-Pelletier. « C’est le procédé qui fait que dans une période où on se sent impuissant (comme pendant la pandémie, par exemple) on finit par se convaincre que, peu importe ce qu’on essaie de faire, ça ne donnera rien. Donc en effet, quand on se fait dire qu’aujourd’hui, on est supposé être déprimé, on peut avoir tendance à devenir très self conscious, très vigilant à chaque détail corporel, émotionnel, qu’on laisserait passer d’habitude, et finir par croire qu’on ne va réellement pas bien et que la journée va mal se passer. » explique Geneviève.

La psychologue apporte tout de même une nuance. « Être à l’écoute de soi, c’est une excellente chose, c’est même important et encouragé. Cela dit, cette auto attention-là ne devrait pas durer une seule journée, et induire un état de déprime, comme le fait le Blue Monday. On devrait toujours se montrer attentif. »

Sans toutefois tomber dans la pensée magique, c’est tout à fait possible de se parler à soi-même, de relever ce qu’on fait de bien, ce qui nous rend fiers et ce qui est positif

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Tout comme le croit Judith Lussier, Geneviève Beaulieu-Pelletier considère qu’il est possible d’influencer son état en misant sur les émotions positives. « Sans toutefois tomber dans la pensée magique, c’est tout à fait possible de se parler à soi-même, de relever ce qu’on fait de bien, ce qui nous rend fiers et ce qui est positif, à travers un journal de gratitude par exemple. Ça peut tout à fait avoir une influence sur l’état global. Bien sûr, ce n’est pas tout, surtout quand l’état psychologique est fragile, mais ça peut avoir un effet positif et aider à créer un sentiment d’empowerment. »

Pour Judith et Geneviève, le concept du Blue Monday n’est pas entièrement à mettre à la poubelle. Elles croient toutes les deux que si cette journée devient un prétexte pour mieux aborder la question de la santé mentale, inciter les gens à prendre soin d’eux-mêmes et des autres, ce sera une belle victoire. Mais comme l’affirme Judith Lussier: « Il ne faut pas que ça serve juste à vendre des chandelles, des sels de bain ou devenir un prétexte pour commercialiser le self care ou vendre des voyages dans le sud ». Surtout pas cette année.

Donc, comment ça va aujourd’hui ?

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