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La vente entre particuliers, le dixième cercle de l’enfer

On a beaucoup trop testé pour vous.

Par
Mori Beleko
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Parlons franchement de ce mal qui nous ronge après chaque fête d’anniversaire ou juste après Noël : que faire de ce cadeau qu’on avait déjà en double / qu’on trouve trop laid ? En d’autres termes, que va pouvoir faire ma meilleure amie du jeu de tarot divinatoire et ma belle-soeur de l’exemplaire de King Kong Théorie que je leur ai offert et qui semblent rencontrer un succès limité ?
Les adeptes de l’économie circulaire parmi nous ou bien les radin.e.s niveau terminal, qui sont souvent les mêmes personnes, ont déjà la solution : la vente en ligne entre particuliers.

Et c’est là que le karma, sans doute pour nous faire payer les excès de Noël qui ont provoqué par effet papillon la mort d’une colonie de coraux au large du cap York, a décidé de nous faire expier.

Selon Dante, il y a neuf cercles en enfer, mais c’est sûrement parce qu’à l’époque ils avaient pas Internet. Sinon il en aurait ajouté un dixième, qui aurait probablement la forme d’un immense web café qui ne proposerait qu’une seule boisson : des sachets de Lipton desséchés, et dont les ordinateurs ne permettraient d’accéder qu’à LeBonCoin, Facebook Marketplace, eBay ou encore Kijiji (au Québec).

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Les nuées infernales viendraient nous chercher comme dans un roman gothique du 18e siècle, et elles nous traîneraient à l’intérieur pour nous asseoir de force sur le siège de bureau dont une des roulettes est bloquée. Là on n’aurait plus qu’à se créer un compte utilisateur et souffrir pour l’éternité, car il existe plusieurs règles immuables et démoniaques qui régissent les interactions entre personnes cherchant à se refourguer des trucs sur l’Internet. Comme dirait Jean-Paul, l’enfer c’est les autres.

Règle 1 : Personne ne lit la description de produit. JAMAIS.

La description du produit jouit de la même considération que les pamphlets distribués par les Témoins de Jéhovah à la sortie du métro, c’est à dire que personne n’y jette un regard. En conséquence, les gens vont systématiquement te demander des informations qui sont déjà données. Sache qu’il est futile de remédier à ce problème en faisant le plus court possible, car aucun texte ne sera jamais assez concis pour le peuple d’Internet. Illes préféreront toujours te poser la question par message. TOUJOURS.

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Le conseil à Bibi : envoyer en guise de réponse une capture d’écran du texte. Ignorer les inévitables questions qui suivront pour demander d’autres infos figurant elles aussi dans le texte dont tu viens d’envoyer une capture d’écran.

Règle 2 : Sous peine de paraître suspect.e, il te faut afficher un prix outrageux et négocier comme un Thénardier.

Si tu offres de l’électroménager en bonne condition à un prix dérisoire sous prétexte que tu l’as eu pour rien, sache que tu seras inondé.e de messages de la part de personnes à qui on ne la fait pas et qui, après avoir enfin lu ta capture d’écran du texte de présentation pour connaître les dimensions de l’objet, vont tenter de te tirer les vers du nez sur les vices cachés forcément présents.

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Le conseil à Bibi : “vous avez raison en fait, le prix est trop bas. Je vous propose une augmentation de 50%”. Efficacité avérée dans 100% des cas.

Règle 3 : L’acheteur.euse va tester tes limites psychologiques en te posant des lapins.

Pour des raisons mystérieuses qui peuvent aller de la guerre des nerfs afin d’établir un rapport de domination et obtenir une négo avantageuse jusqu’à la bonne vieille panne mécanique en passant par le plan cul qui se prolonge, les personnes qui te disent qu’elles arrivent n’arrivent en général jamais.

Alors lorsque tu poses comme condition de vente l’enlèvement à ton domicile, il faut te préparer à vivre des déceptions.

Des personnes vont t’allécher avec une promesse de visite le jour même et ne jamais se pointer, ni répondre au téléphone. Lorsque, après les avoir attendues toute une soirée, tu leur envoies un message salé pour leur signifier ton retrait de l’affaire, tu es immanquablement assailli.e de textos te suppliant de leur accorder une seconde chance car leur famille se meurt et a impérativement besoin de ton frigo. Ému.e, tu accèdes à leur requête, t’enlignant immanquablement pour un second lapin.

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Le conseil à Bibi : donner des créneaux horaires pour l’enlèvement et ne pas hésiter à t’absenter suite à l’inévitable no-show. Ignorer les appels désespérés du no-show trois heures après la fin du créneau imparti car tu es sorti.e marcher loin loin loin pour te calmer.

Règle 4 : Le moyen de transport sera toujours inadéquat.

Lorsque la personne, par un curieux et inexplicable miracle, se pointe à l’heure avec son véhicule, ce dernier sera immanquablement trop petit pour y faire entrer le frigo. La personne panique et est au bord d’abandonner l’équipement sur le trottoir devant chez toi.

Le conseil à Bibi : aie un tournevis prêt, car il va falloir démonter les portes. Toutes les portes.

Règle 5 : On va forcément tenter d’acheter ce que tu ne vends pas, des fois même ta dignité.

Les femmes vendant des chaussures de seconde main sont particulièrement au courant : dès l’instant où tu postes une photo des chaussures en question avec ton pied dedans, un pourcentage contractuel d’usagers.ères va te contacter afin d’obtenir à l’aide de stratagèmes plus ou moins transparents des photos de tes pieds nus. Une demande de services impliquant de les piétiner chaussé.e des escarpins en question s’ensuivra quasi immanquablement. On y pense peu mais les podophiles adeptes de l’économie circulaire doivent vivre de grandes joies sur Facebook Marketplace.

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Le conseil à Bibi : tu peux lui lâcher une photo de tes pieds parce que ça te coûte rien et que ça a l’air de lui faire très plaisir. Ou tu peux juste fermement refuser, après tout t’es là pour vendre tes pompes, par pour aider des inconnu.e.s à prendre leur pied à l’aide du tien.

Règle 6 : No arnak no noob.

Il va forcément y avoir des brouteurs qui vont tenter.

Leurs coups les plus classiques : “je te fais le paiement par western union”, “ah merde je t’ai viré un montant trop élevé, tu me renvoies la différence?”, “trkl j’t’envoie la carte d’identité de tonton Jean-Mi pour prouver ma bonne foi”. Évidemment dans tous les cas tu te trouves délesté.e de ce que tu vends ou d’une somme d’argent, car y’a pas de petits profits et les arnaqueurs.euses sont prêt.e.s à mouiller la chemise pendant des jours pour te soutirer 15 euros.

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Le conseil à Bibi : Tu peux lui dire “chien mange pas chien toi tu connais” et voir si ça mord. Ou tu peux feindre de jouer le jeu pour leur faire perdre leur temps, ce qui est vicieux mais soulage.

Quand, au bout de toutes ces tribulations, tu es enfin parvenu.e à conclure une transaction de façon à peu près satisfaisante pour toutes les parties impliquées, tu es au bord de la misanthropie. Tu finis par presque regretter d’avoir un jour acquis l’objet, en tous cas tu regrettes certainement d’avoir essayé de t’en départir. Il est tout à fait possible et même presque sain de développer un syndrome de Diogène juste en essayant de revendre une vieille collection de disques sur Internet.

Marie Kondô, quand elle te KonMari tes placards en t’encourageant à te débarrasser de tout ce qui ne t’apporte pas du bonheur, elle pense pas au drame induit par la revente. Elle est pas très économie circulaire ni très santé mentale, Marie.

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La solution testée et approuvée par Bibi est donc plus sommaire : ne rien acheter qui ne se mange pas, qui ne se lise pas, qui n’aille pas dans un endroit où on est toujours sûr.e que ça fasse plaisir, ou qui ne serve aucun des emplois précédemment cités. J’ai remarqué que ce sont les objets les plus faciles à revendre, sauf peut-être pour ceux qui vont dans les endroits qui font plaisir.

À moins de tomber sur un.e fétichiste bien sûr, ce qui demeure du domaine du possible voire du probable, car l’humanité est merveilleuse.