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*** URBANIA et SEPT magazine unissent leurs forces pour vous proposer une série d’articles autour du thème de la gourmandise.
N’hésitez pas à soutenir ce média papier indépendant a lancé son nouveau numéro ce 4 mai sur le thème de la luxure. ***
Avant d’entamer un quelconque raisonnement, il semble important de rappeler que le terme grossophobie – issu de “fat phobia” – apparaît pour la première fois dans la langue française en 1994, dans l’ouvrage Coup de gueule contre la grossophobie d’Anne Zamberlan. Mais c’est Gabrielle Deydier qui le popularise en 2017, dans son œuvre On ne naît pas grosse. Concernant la définition de la grossophobie, Wikipédia nous propose une explication on ne peut plus claire : “La grossophobie est un néologisme désignant l’ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisentet discriminent les personnes grosses, en surpoids ou obèses. Elle a pour origine des préjugés et des stéréotypesnégatifs, selon lesquels le fait d’être gros·se est une question de volonté personnelle et que les personnes grosses seraient ainsi les seules responsables de leur surpoids, en négligeant les autres facteurs à l’origine du surpoids.” La notion de grossophobie peut aussi être traduite via son étymologie : “grosso” provient de gros et “phobie” signifie peur. Seulement, le terme “phobie” désigne-t-il une simple peur ? Selon le Larousse, une phobie peut être une “aversion très vive pour quelqu’un”. Et une aversion, toujours selon Larousse, c’est un “sentiment d’antipathie violente, voire de répulsion, ressenti par quelqu’un à l’égard d’une personne ou d’une catégorie de personnes ; haine, inimitié”.
Nous comprenons bien ici toute la brutalité du propos.
La sociologue Solenn Carof déclare que la grossophobie n’est pas considérée comme une problématique sociale dans nos sociétés, mais bel et bien comme un problème individuel devant être résolu par la personne atteinte de surpoids. Ce postulat de départ engendre une stigmatisation des corps entraînant de nombreuses souffrances psychologiques. Solenn Carof appuie cette déclaration avec des exemples concrets de notre bagage cinématographique. Les personnes dites grosses dans les films sont souvent des “bon gros bêta”, un peu naïf·ve·s. Les exemples sont multiples, d’Obélix en passant par Hagrid ou le Sergent Garcia.
Tout comme l’homophobie est un rejet à l’égard des personnes homosexuelles, la grossophobie est un rejet à l’égard des personnes grosses. Tentons ensemble de comprendre cette discrimination et toutes les conséquences qui en découlent.
APPRENDRE
Historiquement, Georges Vigarello – historien des représentations du corps et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales – dans son ouvrage Les métamorphoses du gras, expose une évolution des pensées à l’égard des gros·ses. Au Moyen-Âge, le “gros” fait écho avec abondance et bonne santé. Jusque-là, pas de quoi en faire tout un plat. C’est à la Renaissance que ça se gâte. À cette époque, les individus doivent être actifs et travailleurs, les gros·ses deviennent donc paresseux·ses. C’est le début de la stigmatisation des personnes grosses. Les progrès scientifiques vont permettre la mise en place d’instruments de mesure et donc de déterminer une “norme” pour le poids. C’est en 1701 qu’apparaît le terme d’obésité défini par les médecins comme : “l’état d’une personne trop chargée de graisse ou de chair”. Enfin, c’est l’avènement du corps en 1920, qui va assigner son coup fatal aux personnes grosses. L’esthétisme glorifie alors les silhouettes fines et athlétiques, en contradiction avec le corps gros qui devient bestial et monstrueux. Le gros est celui qui ne veut pas maigrir, l’immoral, le paria. C’est ici le point de départ de la souffrance, la naissance de la grossophobie.
Mais quelles conséquences sur les personnes qui vivent cette condamnation quotidienne ?
COMPRENDRE
Comprenons, Messieurs et Mesdames, que blâmer les personnes qui prennent “trop de place” dans les transports en commun, ne fera qu’aggraver leur santé mentale et physique. La stigmatisation n’est pas à l’origine du surpoids et de l’obésité, mais elle contribue à maintenir les personnes qui en sont atteintes dans un cercle vicieux, presque impossible à vaincre. Entre les publicités pour des produits amincissants et les comptes fitness qui pullulent sur Instagram, on nous fait bien comprendre que trop manger c’est mal. Il faut manger 5 fruits et légumes par jour et aller courir trois fois par semaine, sinon gare aux sanctions ! On a tous et toutes déjà une fois ressenti cette culpabilité quand on se ressert des frites ou que l’on achète une pâtisserie à la boulangerie. Pourtant, nous ne sommes pas forcément en surpoids ou en obésité. Alors, mettons-nous à la place d’une personne qui souffre de cette condition : le regard inquisiteur de la boulangère qui nous conseille gentiment de prendre la pâtisserie sans crème, car “c’est meilleur pour nous”. Et ça tous les jours, tout le temps… Pour la personne grosse, manger est synonyme d’anxiété, de honte et d’abjection. Jean Trémolières dit : « la société crée des obèses et ne les tolère pas ». Alors s’il vous plaît, mêlons-nous un peu de nos affaires.
Les gros·ses sont considéré·e·s comme des êtres dénués de raison, qui ne cessent de s’empiffrer, se laissent guider par leurs pulsions, à la limite de l’animalité. Mais pas que. Ils et elles sont aussi considéré·e·s comme des gros bébés potelés. Ces personnes grosses dites “sympathiques” sont largement infantilisées, ne donnant que très peu de poids à leurs dires. Ainsi, elles ont beau s’égosiller à expliquer que ce n’est pas parce qu’elles vont s’affamer qu’elles vont maigrir, on ne les croit pas. Le “gros” n’a pas d’avis à donner sur sa situation, il est victime de son état et incapable d’avoir une quelconque pensée intelligente vis-à-vis des causes de son obésité. Mais qui sommes-nous pour penser à la place des autres ? Notre culte des corps sur papier glacé nous aveugle, jusqu’à émettre des jugements d’une immonde méchanceté. D’ailleurs, cette cruauté commence très tôt. Les cours de récré sont les zoos de la grossophobie. On met les gros·ses dans des cages mentales dont ils et elles ne pourront s’échapper, on leur crache nos insultes et nos pensées obtuses au visage, sans aucun ménagement. C’est donc dès l’enfance que le calvaire du gros et de la grosse va commencer. Depuis petit·e, ses parents, ses camarades de classe, ses professeur·e·s, vont lui expliquer “gentiment” ou non qu’iel n’est pas dans la norme. Déconstruisant petit à petit sa confiance en lui, en elle. Il s’agit d’un processus de construction mentale : plus on nous répète qu’on est nul·le à l’école, plus on se considère comme tel·le. Pour les personnes grosses, c’est la même chose. Plus on leur répète qu’elles sont difformes, infâmes et anormales, plus elles se définissent par ces adjectifs peu qualifiants et perdent toute estime d’elles-mêmes. Le réconfort à ce rejet, va d’autant plus être la nourriture. Le “gros” va se remplir de bouffe, à défaut de se remplir d’amour.
S’ENTENDRE / RÉPARER / SOUTENIR
Tu es rassasié·e ? Tu as l’estomac noué ? Ne pars pas, je n’ai pas terminé. Il me faut ouvrir le chapitre de la maltraitance médicale. Il s’agit bien d’une cause aggravante du mal-être des personnes grosses. Entre les professionnel·le·s de santé qui, dans l’enfance, constituent la deuxième source de stigmatisation après la famille (selon une étude menée en 2009 par une équipe de recherche de l’Université de Yale aux États-Unis) et les fabuleux régimes miraculeux, les gros·ses ont de quoi avoir peur. En effet, la façon dont les personnes grosses sont traitées par une partie du corps médical n’arrange en rien leur vision biaisée d’elles-mêmes. Selon la courbe de poids que l’on suit dès l’enfance, les gros·ses sont toujours hors compétition. Jamais comme il faut. Nous connaissons toutes et tous le fameux régime Dukan. Et bien ce cher Pierre Dukan a été radié de l’ordre des médecins en 2014 car son régime a été jugé dangereux pour la santé. Mais ne t’inquiète pas, il est toujours commercialisé et proposé aux personnes qui en ont “besoin”. Alors, fais-moi plaisir, avant de conseiller un régime à une personne grosse, tourne ta langue sept fois dans ta bouche.
J’aimerais terminer en précisant que cet article n’est pas là pour nous faire culpabiliser, quoi que… En réalité mon objectif est surtout que nous comprenions que les gros·ses n’essaient pas de nous endoctriner. Être gros·se ce n’est pas cool. Seulement, ce n’est pas une abomination de la nature non plus. Traitons tout le monde avec respect et ne jugeons pas sous prétexte que les autres sont différent·e·s de nous. Le mot gros n’est pas un gros mot. Il est important de dédramatiser le fait d’être gros ou grosse et d’accepter la divergence des êtres, des corps. Soyons allié·e·s, plutôt qu’ennemi·e·s. Et si nous ne parvenons pas à supporter les gros·ses, au moins foutons leur la paix.
Romane Suarez pour 7 magazine
Numéro « Gourmandise »