Logo

La stérilisation définitive, un parcours de combattantes

Depuis 2001, la loi autorise sa pratique pour toute personne majeure et pourtant…

Par
Manon Boquen
Publicité

Depuis 2001, la loi autorise sa pratique pour toute personne majeure et pourtant… Se faire ligaturer les trompes, une méthode de stérilisation définitive, relève plus du sport de combat. Itinéraires de battantes.

« Autant mes grossesses se sont bien passées, autant les deux naissances étaient catastrophiques. J’en suis ressortie traumatisée, et je le suis encore aujourd’hui », s’émeut Céline, tatoueuse de 37 ans, installée dans le Pas-de-Calais. Après ces expériences bouleversantes, et avec ses garçons maintenant âgés de neuf et cinq ans, elle a acquis la certitude de réaliser une stérilisation volontaire, en effectuant une ligature des trompes. « Seulement, le médecin m’a dit que j’étais trop jeune, qu’il ne le ferait pas avant mes 40 ans, la gynéco aussi », soupire celle qui bénéficie encore d’un suivi psychologique pour les accouchements difficiles qu’elle a dû endurer.

« Les gynécologues obstétriciens ne se contentent pas de refuser pour des raisons morales mais ils harcèlent, humilient, insultent et culpabilisent les femmes qui font la demande »

Publicité

Ces refus successifs, Céline est loin d’être la seule à s’y être heurtée. Sur Facebook, des groupes rassemblant plus de 12 000 personnes font part d’expériences quasi-identiques : une demande pour réaliser cette opération – qui consiste à obstruer les trompes pour empêcher la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde- à un.e praticien.ne, et un refus presque systématique. « Les gynécologues obstétriciens ne se contentent pas de refuser pour des raisons morales mais ils harcèlent, humilient, insultent et culpabilisent les femmes qui font la demande », s’insurge le docteur franco-canadien Martin Winckler. Pour cela, les professionnel.les de médecine tirent plusieurs ficelles : l’âge, considérant les patientes trop jeunes, le potentiel désir d’enfant à venir, voire l’excuse du malheur qui pourrait vite arriver. « Et si elle [votre enfant] venait à mourir demain peut-être en feriez-vous un autre ? », lance un gynécologue à une patiente, lorsque celle-ci fait part de son envie de se faire stériliser après sa seconde grossesse.

La pratique, pourtant, est légale depuis 2001 d’après l’article 2123-1 du code de la santé publique qui mentionne : « Elle [la ligature des trompes] ne peut être pratiquée que si la personne majeure intéressée a exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en considération d’une information claire et complète sur ses conséquences. » Pour ce faire, il suffit de prendre rendez-vous avec un.e médecin, patienter le temps d’un délai de réflexion de quatre mois, se rendre à un nouveau rendez-vous pour confirmer la demande par écrit et, enfin, passer sous le bistouri. Dans les faits, on demande souvent aux intéressées des autorisations médicales, ou de psys, sans que cela ne soit inscrit dans la loi.

«On est quand même en 2020, c’est mon corps, j’en fais bien ce que je veux !»

Publicité

« Depuis des années, je parle à ma mère du fait que je ne veux pas d’enfant. Quand je pense grossesse, j’imagine le fœtus en moi, et, c’est compliqué à dire mais ça me dégoûte. Je sens que ce n’est pas fait pour moi », confesse Maud, intérimaire de 23 ans, résidant en Haute-Loire. Consciente du temps que vont prendre les démarches, elle a voulu discuter de sa volonté de stérilisation définitive avec son médecin. Seule réponse : « Vous allez le regretter », ainsi qu’un topo sur toutes les autres méthodes contraceptives existantes. « Je trouve le processus infantilisant. On est quand même en 2020, c’est mon corps, j’en fais bien ce que je veux !», rage-t-elle. A ses côtés, sa mère, Valérie, acquiesce. Cela fait dix ans qu’elle a eu recours à une ligature des trompes après trois enfants, quand même. « J’ai fini par y arriver mais les praticiens me bousculaient dans mes certitudes. Je savais ce que je voulais, j’avais l’impression d’être agressée par leurs questions, surtout lorsqu’ils ont demandé si mon mari était d’accord avec ce choix… »

Héritage de l’église catholique

Pour Martin Winckler, cette culture médicale résulte d’un héritage marqué en France : celui de l’église catholique, puisque les médecins ont longtemps été prêtres, ainsi que celui de la pensée psychanalytique freudienne qui « présuppose que le praticien sait toujours mieux ce qu’il passe dans la tête du patient que celui-ci même. » Le tout sans que la formation universitaire d’aujourd’hui ne rectifie le tir, avec une « dizaine d’heures seulement », selon le médecin, consacrées à la contraception. Résultat : encore aujourd’hui, la découverte d’un.e gynécologue pratiquant la ligature des trompes revient à trouver le Saint-Graal. Pour pallier ce manque d’informations, Martin Winckler a publié une liste collaborative de praticien.nes réalisant l’opération, maintenant reprise et actualisée sur les groupes Facebook dédiés à la stérilisation définitive.

Publicité

« J’ai fait deux grossesses sous pilule contraceptive et maintenant, je n’ai qu’une peur : en refaire une », confie Delphine, pâtissière de 23 ans résidant près de Grenoble. Sa bouée de sauvetage ? La contraception définitive. Mais comme beaucoup, cette mère de deux enfants a dû essuyer le refus catégorique de sa gynécologue. A la place, celle-ci a proposé à son conjoint une vasectomie. Le comble. Elle s’élève : « Mon choix est réfléchi quand même ! » Comme de nombreuses femmes, Delphine s’enquiert maintenant à trouver des contacts et des conseils auprès de celles ayant réussi à aller au bout de ce parcours de la combattante. « Je pense que j’en ai encore pour un an », estime-t-elle, en envisageant de se déplacer jusqu’à Paris si ses recherches font chou blanc dans sa région.

La bataille reste donc entière pour faire respecter un droit pourtant présent depuis presque vingt ans dans la législation. « Le soin est une relation d’entraide et ne devrait pas être un rapport de force », prône le médecin Martin Winckler. La route est longue pour y parvenir.

Publicité