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La scène d’accouchement de « House of the Dragon » était horrifiante, mais pertinente
Ce texte contient des spoilers. Allez visionner l’épisode et revenez tout de suite après. Faites-nous confiance, vous allez avoir besoin de parler.
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Cette fois, George R. R. Martin aura mis environ trente minutes pour me faire hurler.
Trois ans après la finale controversée de l’immense et influente série Game of Thrones, l’iconique créateur était de retour sur les ondes du réseau américain HBO dimanche avec House of the Dragon (La maison du Dragon), un projet connexe explorant l’histoire de la maison Targaryen, soit les ancêtres de Daenerys, si le folklore du trône de fer commence à être un peu loin dans votre esprit.
Après vingt premières minutes plutôt ennuyeuses dédiées à la poutine politique de la capitale King’s Landing 200 ans avant les événements de Game of Thrones, l’hémoglobine s’est mise à couler avec une brutalité familière. Puis, il y a eu LA SCÈNE. D’une horreur qui rivalise avec celle du red wedding, la scène d’accouchement du premier épisode de House of the Dragon fera partie à jamais de l’héritage de la série.
Pourquoi tant de sang et d’horreur ? Est-ce nécessaire d’être aussi graphique à l’écran en 2022 ? Pourquoi suis-je incapable d’oublier cette scène ? Je me suis interrogé avec des collègues sur la puissance indéniable de LA scène qui marque le retour d’un univers dont on s’était tous et toutes un peu perversement ennuyé.e.s.
Grand art et globules rouges
Pour faire une histoire courte, le premier épisode de House of the Dragon raconte la quête du roi Viserys Targaryen pour un fils à qui léguer son trône. L’héritier d’office, son frère Daemon, est un militaire perfide et violent qui a constamment l’œil sur sa plus proche rivale, sa propre nièce Rhaenyra. Lorsque sa femme tombe enceinte, le roi reprend espoir en sa propre succession jusqu’au jour fatidique de l’accouchement.
Bon, parlons maintenant de LA SCÈNE.
Si elle est aussi efficace, c’est parce qu’elle est magnifiquement bien tournée. Il s’agit d’un véritable chef-d’œuvre de montage et de mise en scène. L’accouchement en question se déroule pendant un tournoi (l’événement où des chevaliers s’affrontent avec des lances) organisé par Viserys en l’honneur de la naissance prochaine de son fils. À l’extérieur, des combats brutaux et sanguinaires font rage. L’événement n’est plus totalement sous contrôle. À l’intérieur se déroule une autre crise. L’accouchement se passe mal et le roi se voit confronté à un choix difficile : sauver sa femme ou son fils.
[La violence de la scène] est aussi intenable que sans issue.
LA SCÈNE nous martèle de violence physique, émotionnelle et morale pendant de longues minutes. On y voit des hommes se faire mutiler dans l’aréna du tournoi, la reine souffrir le martyre et finalement se faire ouvrir en deux sans anesthésie (ouch) et sans avertissement parce que son mari a décidé que ça allait se passer sans la consulter. Quand on cherche à fuir les mutilations, LA SCÈNE nous confronte à la souffrance de la reine. Quand on cherche à fuir la souffrance de la reine, LA SCÈNE nous mène à son point culminant : l’accouchement sanglant et déchirant. C’est aussi intenable que sans issue.
L’idée est simple, mais incroyablement bien articulée. Le destin des Targaryen est joué. Le monde ne sera bientôt plus que douleur et conflit pour eux. L’accouchement de la reine est à la fois un élément déclencheur et un mauvais présage. Le ton fataliste du reste de l’épisode (et probablement du reste de la série) prend ancrage là. Mais ça, c’est mon opinion de power user qui regarde beaucoup trop de télé. Je peux supporter toute l’horreur du monde, tant que ça sert à raconter une bonne histoire.
J’ai donc demandé à mes collègues de me fournir leur son de cloche. Parce que je suis parfois un peu trop enthousiaste à propos de sujets comme ça.
Thérapie familiale
« J’ai fermé les yeux », m’avoue d’entrée de jeu ma collègue Arianne, directrice conseil en créativité média et co-enthousiaste de Game of Thrones. « Normalement la violence à la Game of Thrones ne me dérange pas tant que ça, mais j’avoue que cette fois-ci, ça m’a fait me sentir assez mal. Probablement parce que je me doute que c’est arrivé souvent dans l’histoire que des femmes vivent ça pour sauver la vie de bébés… »
Bon point, mais je rétorque à Arianne que la scène est d’autant plus révoltante qu’il ne s’agit pas du choix de la reine Aemma. « Oui, t’as raison, le fait qu’elle soit retenue par tout le monde et qu’elle se débatte rend le tout vraiment plus difficile à voir. J’ai même dit à mon copain : “Mais ils auraient pas pu l’assommer ou quelque chose?!?” », me dit-elle candidement.
La violence de LA SCÈNE n’a décidément laissé personne indifférent.e. Son poids sur le récit est indéniable et sa brutalité la rend inoubliable.
« C’était douloureux et inconfortable, mais ça illustre bien la première chose que la reine Aemma dit : le lit d’accouchement est le terrain de bataille des femmes Targaryen, and in the game of war, you win or you die » me dit Billy, chargé de contenu éditorial. « Ils ont aussi entrecoupé ça avec la scène de joute et Rhaenys qui dit que celle-ci ne présage rien de bien parce que “ça fait trop longtemps qu’il n’y a pas eu de guerre et les hommes n’ont nulle part où ranger leur rage”, d’où la violence de la joute. »
La violence de LA SCÈNE n’a décidément laissé personne indifférent.e. Son poids sur le récit est indéniable et sa brutalité la rend inoubliable. On est dans la dramatisation, mais pas du tout dans la glorification de la chose. On a tous et toutes compris (et jusqu’à un certain point apprécié) pourquoi l’accouchement a été présenté de la sorte.
Chose certaine, on va être au rendez-vous dimanche prochain pour le deuxième épisode.