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La résurrection de True Detective

Enchanté, Issa López. On se revoit quand ?

Par
Benoît Lelièvre
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* Ce texte contient quelques légers spoilers, mais pas trop.

Il y a exactement dix ans, la série True Detective débarquait et mettait tout le monde sur le cul. Avec raison, d’ailleurs.

C’était audacieux, intelligent, nouveau et mené de main de maître par un Matthew McConaughey et un Woody Harrelson au sommet de leur forme et ça se regarde encore très bien aujourd’hui. Dix ans, deux autres saisons médiocres et des accusations de plagiat plus tard, c’était, jusqu’à cette année, la seule saison de la série qui se regardait bien.

Personne ne s’attendait à grand-chose de True Detective : Night Country, la nouvelle saison écrite par une quasi-inconnue et mettant en vedette la quasi-disparue Jodie Foster. Et pourtant. Six semaines, un paquet d’idées neuves et quelques clins d’œil stratégiques à cette mythique première saison plus tard : Internet s’enflamme à nouveau pour la série.

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La dernière résurrection à avoir eu autant de succès a eu lieu il y a de ça plus de 2000 ans. Comment la créatrice Issa López et HBO s’y sont-ils pris ? Examinons la question ensemble.

Poser les bonnes questions

True Detective : Night Country raconte l’histoire de Liz Danvers (Jodie Foster) et Evangeline Navarro (la scintillante Kali Reis, une ex-championne mondiale de boxe dans son premier grand rôle), deux policières en Alaska qui enquêtent sur le meurtre de six scientifiques retrouvés nus et gelés ensemble à l’extérieur d’une mystérieuse station de recherche dont tout le monde en ville semble ignorer la nature des travaux.

Les fantômes, réels et émotionnels, viennent vite se mêler à l’enquête.

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Le plus beau là-dedans, c’est que de semaine en semaine, il devient de plus en plus difficile de démêler lesquels sont lesquels.

Il est fort probable que vous n’ayez pas lu l’ouvrage du psychologue américain Daniel Kahneman Thinking, Fast and Slow sur le fonctionnement du cerveau humain qui lui a valu un prix Nobel. Je l’ai lu il y a quelques années et j’ai l’impression qu’Issa López aussi.

L’idée, c’est que l’être humain a deux modes de pensées. Le premier est instinctif et émotionnel. Il permet de prendre des décisions rapidement, question de procéder une information de manière rapide et efficace sans trop se casser la tête. La porte de la maison est déverrouillée ? Il y a une trace de pas sanglante par terre ? On sort et on appelle la police. Le deuxième mode est plus analytique et précis et permet parfois de tirer des conclusions différentes.

La porte de la maison est déverrouillée ? Il y a une trace de pas sanglante par terre? On fait un pas vers l’extérieur, mais on revient immédiatement pour appeler le nom de notre partenaire pour savoir s’il ou elle n’est pas gravement blessé.e dans la salle de bain. Juste au cas où.

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True Detective: Night Country exploite notre premier mode de pensée à fond. Des scientifiques sont morts dans des circonstances étranges ? Une des deux protagonistes entend des voix ? Le fantôme du père d’un personnage de la première saison aide à localiser des cadavres ? À vos crucifix, il se passe clairement quelque chose de pas catholique. Sauf que c’est pas si simple que ça. Il y a toujours une explication à tout pour celui ou celle qui la cherche et le deuxième mode de pensée a souvent raison.

Pas tout le temps, mais souvent.

La série met cette dualité en scène de façon magistrale via l’opposition entre le pragmatisme désillusionné de Liz Danvers et la nature plus émotive et holistique d’Evangeline Navarro, davantage connectée à son héritage autochtone. L’une conteste et déconstruit constamment la vision de l’autre, ce qui contribue à rapprocher le duo de la vérité. Danvers incarne ce processus à travers sa manière d’enquêter. « Tu ne poses pas la bonne question », répète-t-elle avec obsession. « Quelle est la bonne question ? »

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En tant que spectateur, faire ce travail avec les deux femmes a été un réel plaisir, autant pour le cœur que pour le cerveau, chaque semaine, depuis le début de l’année.

Time is a flat circle

L’autre point fort de True Detective : Night Country, c’est la résurrection des questions laissées en suspens à la fin de la première saison. Un détail à la fois presque esthétique et une porte ouverte sur un potentiel presque infini pour de nouvelles saisons.

Ça peut avoir l’air con, comme ça, mais rencontrer le fantôme du père de Rust Cohle (qui parle de sa vie en Alaska dans la première saison) et entendre le nom Tuttle une deuxième fois (c’était le nom de famille des gros méchants), ça a fait renaître dans l’esprit des téléspectateurs la notion de complot insondable qui avait déchiré l’Internet en 2014. Night Country n’a jamais confirmé ou infirmé si ces allusions faisaient partie de cette grande conspiration qu’on soupçonne tous, mais c’est ce qui fait la beauté de la série.

Après tout, c’est toujours plus le fun de papoter sur ce qui se passe plutôt que de se le faire confirmer.

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Un autre truc tellement simple qui a fait rayonner la finale de Night Country, c’est l’utilisation de l’expression « time is a flat circle », par Raymond Clark, un des personnages de la série. À la base un autre simple clin d’œil au magnétique Rust Cohle, l’utilisation de formulations ésotériques aussi précises par des personnages qui ne se connaissent pas renforce l’impression qu’une force invisible contrôle la réalité. En gros, « y s’passe que’que chose », mais on sait pas encore quoi.

L’épisode final de Night Country a bouclé un nouveau cycle de True Detective, mais a aussi confirmé un nouveau départ pour la série. Personnellement, je m’attends à une cinquième et peut-être même une sixième saison.