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La pression au coming-out

Si le coming-out peut être un moment libérateur et joyeux, il reste une étape souvent vue comme obligatoire. Ce qui peut faire peser une pression sur les personnes qui ne sont pas prêtes ou qui ne souhaitent pas faire leur coming out.

Par
Elie Hervé
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Une cigarette aux lèvres, Marianne, 32 ans, distribue les verres et les assiettes. Ce soir-là, ses ami·es s’entassent dans son studio parisien pour partager un moment ensemble : « C’est ma bande, explique Marianne. On est bien ensemble et on s’entraide beaucoup. » Le mois dernier, la copine de Marianne est partie. « Elle m’a quittée parce qu’elle voulait que j’annonce notre histoire à notre famille. Pour moi, ce n’était pas envisageable. »

Comme elles, certaines personnes queers ne sont pas out auprès de leurs ami·es, de leurs familles ou de leurs proches. Pour des questions de sécurité, pour ne pas outer leur partenaire mais aussi parce que la notion même de coming-out est de plus en plus remise en question.

« Si ce que tu as à perdre est plus important que ce que tu as à gagner, à quoi bon ? »

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C’est le cas d’Amir*, 45 ans : « J’ai fait le choix de ne pas dire à ma famille que je suis gay et en couple. Je n’ai aucune obligation de le faire, et je ne compte pas le faire. » Exilé en France depuis dix ans, Amir est en contact régulier avec sa famille, mais uniquement par téléphone. « Je ne peux pas retourner dans mon pays. Ma famille, mon pays, mes ami·es me manquent tous les jours. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à ce que j’ai laissé derrière pour survivre. Ces appels sont le seul lien qui me reste avec eux. Je ne sais pas s’ils sont au courant, je pense qu’ils ont des doutes, mais on n’en parle pas. Ce lien avec eux, pour rien au monde je ne veux le rompre. » En couple depuis trois ans avec Alain, ce choix n’a jamais été un sujet de dispute entre eux. « On a cette idée que le coming-out serait un passage obligé, raconte Alain, 47 ans. Alors que non. Si ce que tu as à perdre est plus important que ce que tu as à gagner, à quoi bon ? ça ne veut pas dire que l’on est honteux dans notre vie, ça veut juste dire que j’accepte d’être heureux avec lui. »

Une vision occidentale

Pour la docteure en sociologie Jade Almeida, la vision actuelle que nous avons du coming-out et donc “de son passage obligé” est un héritage d’une vision occidentale vue comme la norme. « Cela peut être une étape importante pour certaines personnes, reconnait-elle, mais pas pour toustes. Seulement, dans une partie de nos communautés si tu n’as pas eu LA discussion, c’est que tu as honte d’être toi. Ce qui n’est pas le cas. » Même analyse du côté du collectif 1001 Queers et Lesbiennes. « Il y a cette idée que tu n’es pas une lesbienne accomplie si tu n’as pas fait ton coming-out. Pourtant, avoir une double-vie peut être très joyeux et indispensable. Tu trouves refuge dans ta famille par rapport au racisme d’État, par exemple, et dans ton couple par rapport à ta queerness. »

https://twitter.com/Ime90729380/status/1642270613669650434

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Pour Anaïs, 25 ans, ne pas être out dans sa famille est un choix qui lui permet de s’épanouir en toute tranquillité. « Mes parents habitent à Tours, moi à Paris. Quand je suis chez eux, je partage un moment familial et quand je rentre chez moi, je retrouve ma vie parisienne. Ça me va très bien, je n’ai jamais parlé de ma vie amoureuse à mes parents, ils ne posent jamais de question. Peut être que ça changera, un jour si je m’installe sérieusement avec une femme, mais pour l’instant séparer les deux me convient bien. »

« Pour l’instant séparer les deux me convient bien. »

A cela s’ajoutent les préjugés racistes qui peuvent aussi impacter la lecture faite du coming-out, souligne la sociologue Jade Almeida. « On part du principe que les personnes racisées seraient forcément plus dans des familles homophobes que le reste de la population, continue la sociologue, et que c’est la raison pour laquelle iels ne feraient pas leur coming out. Alors que ça peut juste être une volonté de séparer vie amoureuse et vie familiale. Quand j’ai travaillé sur cette question du coming-out, j’ai eu beaucoup de témoignages en ce sens qui disaient qu’iels n’avaient pas envie que leur famille se mêle de tout, que le couple était un jardin secret et que c’était ok. »

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Pour d’autres personnes, être out n’est tout simplement pas une possibilité. C’est le cas de beaucoup de personnes trans, comme d’Antoine*, 22 ans, qui a fait le choix de taire sa queerness pour des raisons de sécurité. « Ça met de la distance avec les personnes que je connaissais parce que peu de monde sait que je suis une femme trans. J’ai l’impression de mentir aux gens, et les personnes que je connais ça me fait du mal de pas leur en parler. Et comme je vis toujours avec ma famille, c’est très violent. Il y a des moments où j’arrive à faire passer les bons accords mais c’est rare. Ça impacte toute ma vie, parce que je me sens terriblement seule. »

UN MOYEN DE SE PROTÉGER

Il en est de même pour Maël, 28 ans. « Je n’ai jamais eu de grande discussion sur comment je me situais sur l’échelle du genre ou de si j’aimais les garçons, les filles ou les deux. Mais si on écoute comment je me genre ou comment je parle de mes partenaires, on le sait. J’estime juste qu’il suffit d’être à l’écoute et que je n’ai pas à dire en permanence que je suis pan et non-binaire. Ça fait donc trois ans que je me genre au féminin, et il y a toujours des personnes pour me mégenrer dans mon travail comme dans ma famille. A partir de là, à quoi bon leur en parler, je n’ai ni envie de faire de la pédagogie, ni envie de subir leur rejet. »

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Marianne rallume une cigarette, tire une taffe et soupire. « En fait, à bien y réfléchir, je pense que ça n’aurait pas pu coller avec mon ex, même si j’étais out auprès de ma famille. Cette pression qu’elle m’a mise, c’était pas ok et d’une certaine manière c’est une forme de violence. »

  • * Le prénom a été modifié