Logo

La pilule qui ne passe pas : quand la crise climatique impacte la contraception des femmes

What a time to be alive

Par
Elise Gilles
Publicité

La crise climatique actuelle altère la biodiversité, l’agriculture, la météo, mais touche également des domaines plus inattendus. Dans un monde déjà réchauffé d’1,3 °C de plus par rapport à la fin du 19e siècle, la sexualité de nombreuses femmes à travers le monde se retrouve chamboulée par le dérèglement climatique. En parallèle de l’accentuation des inégalités de genre, c’est toute la question de la contraception qui fait notamment face à de nouveaux enjeux.

Baisse de libido à cause de la chaleur, éco-anxiété qui freine la natalité, hausse des dérèglements hormonaux impactant la grossesse… Sur de nombreux aspects, la sexualité des femmes est touchée par les bouleversements climatiques qu’on connait aujourd’hui (rapport au fait qu’on a entre autres émis un paquet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle et qu’on continue de polluer n’importe comment en toute détente alors qu’on marche à grandes enjambées vers un monde pas viable, mais tout va bien). Et qui dit sexualité dit aussi contraception : aussi peu obvious que ça puisse paraître, le rapport aux moyens contraceptifs est touché de plein fouet par la crise climatique et impacte la vie de nombreuses femmes, notamment dans les pays où ces dernières sont déjà en situation de vulnérabilité.

Publicité

L’une des premières difficultés se trouve dans l’accès limité à la contraception. Les évènements météorologiques comme les ouragans ou les incendies, de plus en plus nombreux et/ou puissants sous les effets du réchauffement climatique, expliquent en bonne partie cet accès restreint : difficile de se procurer une pilule du lendemain ou de se faire poser un stérilet lorsque les hôpitaux, les cliniques ou les plannings familiaux sont détruits par des catastrophes climatiques, ou lorsque l’on est contraint de fuir un territoire. En 2007, une étude montrait que l’ouragan Katrina, ayant causé le déplacement de plus d’un million de personnes dans la métropole de La Nouvelle-Orléans, avait eu un fort impact sur l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive chez les jeunes femmes (16-24 ans) : dans les 5 à 6 mois ayant suivi la catastrophe, 17 % des interrogées avaient eu besoin de soins, mais n’avaient pas pu y accéder, 40 % n’avaient pas utilisé de contraception et 4 % avaient connu une grossesse non désirée en raison d’un manque d’accès.

Qui a encore oublié de fermer son arrivée d’eau avant de partir en vacs ?
Qui a encore oublié de fermer son arrivée d’eau avant de partir en vacs ?
Publicité

Selon Nabreesa Murphy, docteure en “Genre et santé des femmes” et responsable de projet auprès d’une organisation internationale pour la justice climatique, ce manque d’accès n’est pas sans conséquences : “si l’accès à l’information, aux services et à la contraception sont limités, cela entraîne souvent une augmentation des grossesses chez les adolescentes et grossesses non désirées chez les jeunes et les adultes. L’accès à des services d’avortement sûrs ou à des soins post-avortement peut également être restreints.” Vient aussi la question de l’argent pour payer sa contraception quand on subit un déplacement climatique ou qu’on est victime d’une catastrophe : “les priorités au niveau financier, sur comment allouer ses ressources, changent dans les situations d’urgence, explique Nabreesa Murphy. La santé sexuelle et reproductive, comme la contraception, n’est souvent pas prioritaire, pour les individus comme pour les pouvoirs publics”.

Mon corps, mon choix

Publicité

Ne pas pouvoir payer sa contraception, c’est aussi ne pas pouvoir choisir pour son corps. Et là encore, le changement climatique fait une clé de bras à la santé et les droits sexuels et reproductifs (SDSR) : comment s’informer sur les choix qui existent quand les plannings familiaux n’existent plus ? Et comment continuer de se protéger quand on n’a plus la possibilité ou les moyens de le faire ? La Fédération Internationale pour la Planification Familiale (IPPF) pointe ainsi du doigt (pas poli, mais nécessaire) l’impact que peuvent indirectement avoir certaines conséquences du réchauffement climatique : “Le manque d’accès à une eau propre et sans risque, par exemple à la suite de phénomènes météorologiques extrêmes ou en raison de la pénurie croissante en eau propre résultant du changement climatique, peut également constituer un obstacle majeur. L’eau propre est essentielle pour assurer la fourniture de services de santé sexuelle et reproductive sûrs et de qualité, y compris […] pour l’administration de certaines méthodes contraceptives”. Pas d’eau, pas de pilule. Pas de pilule, pas de protection. CQFD.

Plus récemment, d’autres études réalisées dans la région Asie-Pacifique ou en Amérique latine montrent les multiples effets négatifs des évènements météorologiques extrêmes sur la sexualité. Nabreesa Murphy a notamment étudié l’impact du cyclone tropical Harold de 2020 sur la SDSR des jeunes Fidjiens. Au regard des politiques publiques, des rapports d’intervention humanitaires et des échanges avec les jeunes et les acteurs du terrain, son constat est tristement déprimant : “Aux Fidji, les jeunes, et notamment les femmes et les filles, ont une autonomie corporelle déjà limitée et des difficultés à accéder à la contraception, comme c’est souvent le cas dans les pays et les communautés aux forts tabous religieux. Avec les catastrophes liées au climat et les changements que cela implique, cette situation s’est aggravée : grossesses non désirées, hausse des IST et MST, des fausses couches, des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses… Cela engendre finalement une augmentation de la morbidité et de la mortalité.” Oubliez vos rêves d’aller couler une douce retraite aux Fidji : ces îles font partie des territoires du Pacifique sur tous les fronts du changement climatique, avec des cyclones à répétition, des glissements de terrain et des inondations causées par l’élévation du niveau de la mer, pour un bon cocktail de dépression.

Ah bah on est mieux à Brest, moi je vous le dis ! Wait a damn minute…
Ah bah on est mieux à Brest, moi je vous le dis ! Wait a damn minute…
Publicité

Les travaux de la chercheuse et de son équipe ont également mis en évidence des répercussions plus fortes du changement climatique sur la contraception chez les personnes déjà vulnérables. Comme l’explique Nabreesa Murphy, “les personnes marginalisées, comme les femmes, mais aussi les personnes à faibles revenus, en situation de handicap ou encore les jeunes, choisissent souvent de se protéger mutuellement et créent leurs propres espaces de sécurité plutôt que d’aller vers des abris où sont la plupart des services de santé sexuelle et reproductive”. Ainsi, être un garçon, faire partie d’une famille de chef ou avoir un statut social plus élevé donne plus de pouvoir et donc d’accès aux informations et aux services liés à la SDSR. A contrario, avoir une identité intersectionnelle augmentent les risques de voir sa santé sexuelle impactée. L’insécurité économique, alimentaire, ou de logement causée par des événements climatiques peut aussi jouer sur la SDSR : “Face à ces insécurités, les jeunes femmes peuvent avoir recours au mariage ou à des relations sexuelles marchandisées afin d’assurer la sécurité économique de leur famille.”

D’une manière générale, les catastrophes climatiques augmentent considérablement les violences sexistes et sexuelles envers les femmes, selon de nombreuses études. Viols, agressions sexuelles, traite de femmes, crimes d’honneur, mutilations génitales… La liste est déjà bien trop longue. En 2011, après le tremblement de terre de Christchurch en Nouvelle-Zélande, les violences entre partenaires intimes (VPI) avaient augmenté de 40% dans les zones rurales. Faire rentrer la santé et les droits sexuels et reproductifs dans les mœurs, dans les décisions politiques et dans les stratégies d’adaptation est donc aujourd’hui plus qu’un véritable enjeu, mais bien une question de survie pour les femmes (et me faites pas chanter les L5 pour appuyer mon propos). Au-delà de la connaissance et de la sensibilisation, “il faut aussi s’attaquer aux inégalités évoquées, car elles sont exacerbées dans les contextes de catastrophes et limitent la capacité des gens à prendre des décisions éclairées sur leur corps, plaide Nabreesa Murphy. Et cela nécessite une collaboration multisectorielle.” C’est d’autant plus vrai que l’accès à la contraception reste multifactoriel parce qu’il varie selon les régions et sociétés. Le rapport culturel, religieux et social à ces questions impacte nécessairement la possibilité d’avoir recours à des moyens de contraception dans certains pays, tout comme les contextes géopolitiques (comme une guerre) et les mesures de santé publiques en place.

Libérez les ovules

Publicité

Il serait ptet aussi temps qu’on lâche la grappe aux femmes sur la contraception pour sauver le monde : depuis des années, tout le monde y va de son petit argument pour montrer qu’avoir un enfant à l’heure actuelle serait un choix polluant, émetteur de grandes quantités de gaz à effets de serre, et qu’il faudrait arrêter de procréer pour enrayer la crise climatique par une baisse de la natalité.

Outre le fait que ce discours n’est absolument pas vérifiable dans toutes les régions du monde (les pays à forte natalité n’émettraient que 3,5% des émissions totales de gaz à effet de serre selon Emmanuel Pont, auteur du livre « Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? »), il contribue à objectifier le corps des femmes en faisant peser sur elles la responsabilité de sauver le monde de la catastrophe écologique. Comme si elles n’avaient pas déjà assez de charge mentale à gérer. Niveau renforcement des inégalités hommes-femmes et déresponsabilisation des pouvoirs publics, on n’est donc pas trop mal. “La contraception et le « contrôle de la population » autour de cette question ne sont absolument pas une solution à la crise climatique, conclut Nabreesa Murphy. Se concentrer sur ces stratégies ne permet pas de s’attaquer à la cause première des dérèglements que nous vivons. C’est une tactique qui détourne l’attention des véritables responsables de la crise climatique et de celles et ceux que nous devrions tenir pour responsables.” Bref, quand est-ce qu’on castre les industries polluantes et le capitalisme ?

Publicité
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Soyez le premier à commenter!
À consulter aussi