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La photographie du mois : Liwa Mairin maléfique ou plongée meurtrière par Valérian Mazataud

C’est LE rendez-vous photo à ne pas manquer.

Par
Anne-Laure Mignon
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URBANIA France donne régulièrement la parole à un.e photographe professionnel.le ou amateur.trice, blogueur.euse ou instragrammeur.euse, pour qu’il ou elle nous raconte son travail à travers une photo. Pour ce nouvel épisode, c’est le photographe Valérian Mazataud qui se prête à l’exercice…

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J’ai choisi cette photo parce qu’elle est pile à la frontière entre mes deux domaines de pratique. Elle a un côté informatif – documentariste et un côté artistique.

Pour la petite histoire, je l’ai prise en juin-juillet 2015, pendant mon deuxième voyage dans un petit village, Crapa, situé sur la lagune de Caratasca, dans la région de la Mosquitia, au nord-est du Honduras. Je m’y rendais dans le but de documenter une série photo que j’avais commencée sur la région.

J’étais sur la plage de la lagune une après-midi et j’observais les Miskitos (nation autochtone de la jungle du Honduras) récupérer des déchets venus de la mer. Abandonnés par les bateaux, ils sont ramenés sur le rivage par le vent. Ils les utilisent ensuite pour des travaux dans leur village ou pour faire des aménagements chez eux. La trouvaille du jour ? C’était ces immenses cordages bleus. La scène m’a alors immédiatement frappé. Le regard au loin de cette femme, les couleurs : le bleu du ciel, le bleu de l’eau, le bleu de ces longs fils… J’ai directement immortalisé le moment.

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« Plusieurs centaines d’entre eux ont déjà été tués et des milliers d’autres paralysés »

Aussi parce que ces longs fils bleus m’ont fait penser à la légende de Liwa mairin. Il s’agit d’un mythe Miskitos, d’un esprit élémentaire, une sirène, mi-déesse mi-démon qui veillerait sur les eaux Caraïbes, et qui punirait tous ceux qui abusent de ces trésors… Soit les pêcheurs Miskitos qui vivent de la pêche sous-marine de langoustes et de concombres de mer et qui exportent ensuite leur butin aux États-Unis et en Asie. À raison de plusieurs heures par jour, ils écument le large équipés de bouteilles de plongée rouillées et autres matériaux complètement désuets. Très peu informés sur les règles de sécurité qui encadrent la pratique, plusieurs centaines d’entre eux ont déjà été tués et des milliers d’autres paralysés. La coupable ? Liwa mairin.

C’est un des mythes sur lequel je me suis attardé parce qu’il m’a profondément touché. Dans une autre vie, avant de devenir photographe, j’ai été notamment professeur de plongée. Ces règles de base, je les connais donc par cœur. Après mes études, j’ai également bossé un temps dans une ONG spécialisée dans la protection des milieux marins. J’avais donc la sensation d’être la bonne personne pour raconter cette histoire.

Et avant ça ?

Avant la photo, je travaillais dans le domaine de l’agriculture et de l’environnement. J’ai pas mal voyagé aussi. J’ai notamment fait le tour du monde à vélo en 2003-2004. À cette époque, je publiais déjà mes aventures dans quelques journaux locaux ou spécialisés dans le voyage mais je n’avais jamais envisagé ça comme une profession à part entière. C’est quand je suis arrivé au Québec en 2009, que je me suis réellement lancé.

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J’ai commencé comme journaliste pigiste. Je savais que l’écriture allait porter mes photos dans les journaux. Et puis petit à petit j’ai réussi à m’imposer comme photographe, j’ai travaillé avec d’autres journalistes, d’autres rédactions et j’ai fait mon trou. J’ai pris le parti pris du terrain international. Je suis allé en Israël, en Haïti juste après le tremblement de terre, en Égypte pour couvrir le printemps arabe… Puis au bout de quelques années, je me suis essoufflé et j’ai eu envie de me consacrer à un seul terrain.

« Je reproche aux médias internationaux de ne pas suffisamment couvrir l’Amérique Centrale »

En fait, je me suis rendu compte que c’était souvent quand je repartais d’un endroit que j’avais les meilleures idées de photos. Parce qu’au début, j’arrivais avec une idée journalistique en tête, j’étais dans la découverte. Alors que finalement, c’est vraiment quand on appréhende un lieu à 100% qu’on raconte les meilleures histoires.

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J’ai choisi l’Amérique Centrale surtout pour des raisons stratégiques et affectives. Résident au Canada et bilingue espagnol, j’ai opté pour une destination relativement proche de chez moi, sans décalage horaire, facile d’accès et peu onéreuse. Aussi, je reproche aux médias internationaux de ne pas suffisamment couvrir l’actualité de ces pays ou de mal le faire (peut-être parce qu’il y a moins d’enjeux pour les grandes puissances mondiales / parce qu’elles n’en dépendent pas directement…?) bref, j’avais l’impression que cette couverture était essentiellement basée sur des clichés et j’avais envie de rectifier le tir. Ce que j’espère réussir à faire.

Mon leitmotiv ? Transmettre de l’information et de l’émotion. Si en voyant une de mes photos, par exemple, de familles syriennes qui doivent fuir leur maison à cause de la guerre, vous ressentez de l’empathie, de la peine ou de la compassion, alors j’aurais réussi ma mission. Si ce sentiment vous influence ensuite dans vos réflexions et dans vos choix, j’aurais encore mieux réussi ma mission.

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