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Tandis que la frénésie du hockey s’est ancrée à Montréal, la planète sportive, elle, continue de tourner alors que l’Euro et la Copa aboutissent à des dénouements fatidiques. Le moment est donc tout indiqué pour s’immerger dans l’euphorie du ballon rond. Mardi après-midi, rivalité Italie-Espagne. Mais pour quelle équipe prendre parti ? Devant mon manque de connaissance footballistique, j’ai opté naïvement pour l’équipe ayant la plus grande diaspora montréalaise.
Sin rencores.
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Je barre mon vélo sous l’arche de bienvenue et décide d’arpenter le boulevard Saint-Laurent à la recherche d’un endroit pour regarder le match. Mon errance me mène devant le Caffè Italia, où je demande aux anciens leurs prédictions. Ils me répondent sèchement que de poser une telle question porte malchance. Devant nos yeux, les trottoirs sont parsemés de maillots bleus et de sourires d’avant-match. Drapés du tricolore, l’anglais, le français et la langue du pays se mêlent dans le branle-bas de combat pour se trouver du stationnement.
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« C’est une grande fête qu’on célèbre tous ensemble. On fête à la fois nos origines, notre culture d’ici et la passion sportive »
Boucher de profession, Ricci fume au coin de Dante. Il me confie que selon lui, l’Espagne est trop puissante. « Je ne veux pas cracher sur mon pays, mais en toute honnêteté, je leur préfère l’équipe britannique. Ils ont plus de caractère et ne sombrent pas aussi vite dans le drame ». Une position qui diffère de celle de Marco, plus optimiste. Il me vante, le visage maquillé, l’effet unificateur du foot : « C’est une grande fête qu’on célèbre tous ensemble. On fête à la fois nos origines, notre culture d’ici et la passion sportive ». Un chauvinisme de bon goût. Je le comprends et l’envie un peu.
Le café Dante est rempli à craquer, des jeunes sirotent des Morreti sur la terrasse pleine du bar Uncle Pete’s, alors que le Café Gelato accueille une clientèle plus Dolce & Gabbana qui prend place à l’extérieur malgré un ciel inquiétant. L’odeur des arancinis, le grondement des Maserati et les cris chantés dans la rue, tous les charmants clichés sont au rendez-vous. On est loin de Naples, mais tout autant de Sorel.
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Mon choix s’arrête sur le Bar Sportivo. La noble institution a certes connu de meilleurs jours, mais l’endroit demeure magnifiquement approprié pour l’occasion. Vieux ballons et photos d’alignements jaunies par les années tapissent ses murs. Les modèles réduits de Ferrari et la table de billard sont remisés pour laisser place à deux écrans où les couleurs du gazon diffèrent. Malgré son nom, la place n’a pas de permis de boisson. L’ambiance sèche est néanmoins fébrile, jeunes tatoués et doyens s’attablent avec excitation. L’Italie ne s’est pas retrouvée en finale de l’Euro depuis 2012, elle avait alors été vaincue par ladite Espagne ennemie.
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Le patron, Salvatore, me tend un espresso bien serré dans un verre en styromousse, « le meilleur en ville ». Il faut admettre qu’il n’a pas tort. En faisant un tour rapide de l’établissement, je remarque un Lover meter. Défrayant un 25 cents durement gagné, l’étrange machine m’informe que mon humeur amoureuse est du côté frigide. On ne m’y prendra plus.
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Sur le mur faisant dos au bar, deux supports débordent de vêtements d’occasion. Est-ce des objets perdus ou une vente de garde-robe ? Le mystère demeure. Je fouille les fripes, peut-être aurai-je la chance de dénicher un vieux maillot, question de me la jouer caméléon. Le plus près est un polo Ducati couvert de taches d’huile.
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Revenons aux choses sérieuses. Les joueurs font leur entrée sur le terrain, l’hymne national est chanté en choeur par les partisans du café maintenant bondé. Les néons se ferment, le coup d’envoi est donné dans une pénombre cinématographique. La foule analyse, commente les passes de Verratti ou d’Immobile, les tentatives du charismatique capitaine Chiellini. Mais face au tiki-taka espagnol, le manque de possession fait mal paraître la Squadra. L’équipe ibérique s’impose tranquillement, tandis que l’arbitre allemand demeure stoïque devant les joueurs latins jonchés au sol. On comprend vite que la commedia dell’arte n’aura pas lieu aujourd’hui.
Après une première demie sans action réellement convaincante, le pointage nul est porteur d’espoir. Les joints s’échangent à l’extérieur et mes voisins de table, fort ingénieux, remplissent leurs bouteilles de San Pellegrino vides avec des Peroni bien froides, question de picoler incognito.
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Coup de théâtre à la 60e minute. Appuyé par une belle relance du gardien, le jeune ailier de la Juventus, Federico Chiesa, fait valser le café de jubilation. Forza Azzurri ! Enfin, un premier but. Les chants résonnent. Le score délie les mains déjà peu menottées.
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Le foot n’est peut-être pas le plus rythmé des sports, mais quel sens de la chute !
J’enfile des limonatas sans bon sens dans l’angoisse du temps qui coule. Les joueurs sur le terrain signent des prières. Le Bar Sportivo scande Italia-Italia dans la moiteur caniculaire. À la 80e minute, la désolation échoue toutefois sur les visages. Donnant suite à une superbe pièce de jeu malmenant la défensive italienne, l’attaquant Álvaro Morata, lui aussi de la Juve, trahit son pays d’accueil en égalisant la marque. La consternation s’éternise jusqu’au sifflet final.
Après une prolongation incertaine pour l’équipe gouvernée par Roberto Mancini, nous aurons droit au plus anxiogène des scénarios. Le foot n’est peut-être pas le plus rythmé des sports, mais quel sens de la chute ! Un tel affrontement devait évidemment se terminer dans la plus brutale des conclusions, les tirs de barrage. Après un départ sur des arrêts respectifs à couper le souffle, l’Italie s’empare de l’avantage suite à un arrêt sur ce même Morata. « C’est possible ! » s’écrit un partisan en enlaçant sa mère. Une victoire incessante confirmée sur le tir réussi de l’Italo-Brésilien Jorginho. Les chaises tombent. L’espace se vide dans le chahut, la foule bruyante prend la rue pour rejoindre les réjouissances.
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Malgré une pluie diluvienne, des centaines de fêtards s’agglomèrent sur la Main. Les klaxons et les feux d’artifice retentissent. La jeunesse s’époumone tandis que les plus vieux, amusés, filment avec leurs cellulaires. Les bouteilles de prosecco frisent de partout et on danse sur un Bella Ciao endiablé. Devant un tel enivrement, la police impuissante n’a d’autre choix que de bloquer la rue. « Le football est un royaume de la liberté humaine exercé au grand air », invoquait le philosophe communiste Antonio Gramsci.
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La table est mise pour la finale de ce dimanche. Peu importe le vainqueur entre l’Angleterre et le Danemark, la Petite Italie est prête.
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