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La petite histoire du MiniDisc de Sony

C'était plus qu'un lecteur musical, c'était une époque de triomphalisme technologique mal avisé.

Par
Benoît Lelièvre
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On se souciait de choses différentes dans les années 90. C’est difficile à expliquer à ceux et celles qui ne l’ont pas vécu, mais Internet a vraiment changé notre manière de vivre et notre vision du futur. Le monde allait plus lentement, mais plusieurs activités qui sont très simples et abordables aujourd’hui étaient aussi plus compliquées et onéreuses dans l’temps. Des activités comme écouter de la musique.

Pour ce faire, on avait besoin de tout plein de gadgets qui n’ont plus de raison d’exister de nos jours. Des gadgets comme le walkman, son fils spirituel le DiscMan, et éventuellement (pour les gens qui s’en souviennent) le MiniDisc de Sony, une sorte de vision futuriste du format dominant de l’époque, le disque compact. Il y a trente ans aujourd’hui, Sony inaugurait sa révolution dans le monde de l’audio avec le lancement de l’album Unplugged, de Mariah Carey.

Voici la petite histoire d’une révolution ratée et d’une époque qui n’existe aujourd’hui que pour les archivistes et les enthousiastes de musique vaporwave.

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Rétrofuturisme 101

Une autre affaire qui gossait avant l’avènement d’Internet, c’était le besoin d’un intermédiaire physique pour la consommation d’art : la cassette VHS pour les films, la cassette audio pour la musique, etc. Ce sont des objets de collection qu’il est dorénavant cool de posséder, mais à l’époque, on n’avait pas le choix de s’en servir et les compagnies technologiques s’en donnaient à cœur joie.

Chaque cinq ou dix ans, prétextant une révolution de la qualité ou de la durabilité, on nous faisait racheter tous nos catalogues musicaux et cinématographiques sous un différent format avec, en plus, la nouvelle machine qui permettait de les faire jouer. C’était de l’argent en ti-pépère. Dans ce temps-là (mon Dieu, j’ai l’impression d’avoir 188 ans), c’était pas rare d’avoir une très humble collection musicale et d’écouter soit la radio, soit MusiquePlus pour pouvoir découvrir de nouveaux artistes sans avoir à jouer à la roulette russe avec son argent.

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Le MiniDisc Sony n’est pas tout à fait la goutte qui a fait déborder le vase dans cette course effrénée pour vider les poches des consommateurs et consommatrices, mais presque. Mis en marché après un cycle de développement de près d’une décennie, le MiniDisc promettait de remplacer la bonne vieille cassette dans le cœur des fans de musique en offrant la qualité sonore du disque compact avec les capacités de réécriture de la cassette audio, et ce, à prix compétitif. En plus, ça avait l’air d’un accessoire d’un film cyberpunk de 1993.

C’était l’époque où on imaginait encore le futur fait en tôle.

La fin du vingtième siècle, c’était le paradis des innovations technologiques mal pensées et pas encore au point.

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Spoiler : ça n’a pas fonctionné. Du moins, très peu en Europe et pas du tout en Amérique du Nord. Le MiniDisc n’était pas une révolution, mais bien une évolution et une fusion de deux médiums existants. Il rassemblait un amalgame de fonctionnalités déjà disponibles. Oui, c’était meilleur qu’une cassette ou un disque compact sur papier, mais le commun des mortels a jugé que les formats musicaux déjà existants allaient continuer de faire la job, ou du moins, qu’il n’était pas prêt à payer plus de 500 balles pour la machine qui allait nécessiter de racheter tout son catalogue musicaux. Y’a quand même un maudit boutte, comme dirait ma mère.

La fin du vingtième siècle, c’était le paradis des innovations technologiques mal pensées et pas encore au point : Betamax, 3DO, le Virtual Boy, le disque laser (celui-là était particulièrement ridicule), les petites machines Tiger Electronics, le MiniDisc et j’en passe. Toute cette époque s’est envolée (du moins, elle a été reléguée au marché des nostalgiques et des collectionneur.euse.s) du jour au lendemain avec l’arrivée d’Internet dans nos foyers.

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Dématérialisation et hyperspécialisation

Malgré tout, le MiniDisc ne fut pas exactement un fiasco. Croyez-le ou non, Sony l’a même produit jusqu’en 2013. Pourquoi? Comment? Deux mots qui expliquent tous les phénomènes culturels farfelus depuis près d’un siècle : le Japon.

Là-bas, rien ne fonctionne comme ailleurs. L’industrie de la musique y compris. Le chanteur du groupe death metal californien Cattle Decapitation Travis Ryan (qui supervise la distribution de ses album lui-même) expliquait dans un balado que la production d’albums coûte tellement cher au Japon qu’il est souvent plus avantageux pour les mélomanes Japonais.es d’importer de la musique que de l’acheter localement. C’est pour ça que les versions japonaises d’albums ont souvent des chansons bonus. C’est une façon de stimuler l’économie musicale locale.

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Étant donné que la musique coûte très cher au Japon, des kiosques de location de musique étaient installés dans les lieux publics dans les années 90. On pouvait y louer une dizaine d’albums pour le prix d’un, et le support technologique utilisé dans le cadre de ce service était le MiniDisc, en raison de ses capacités de réécriture. Bien sûr, les Japonais.es étant les gens intelligents et débrouillards qu’ils sont, ils ont utilisé ce service pour pirater leur musique. Oui, oui! Ils pirataient de la musique avant que ce soit cool ou avant même que Lars Ulrich sache que ça existe. Le MiniDisc Sony est entré dans la culture populaire japonaise de cette façon et y est demeuré pendant de nombreuses années.

Plusieurs musicien.ne.s sont aussi tombé.e.s sous le charme du MiniDisc pour ses capacités de stockage et d’enregistrement de haute qualité. Vous vous rappellerez peut-être l’incident en 2019 où un pirate informatique avait réussi à subtiliser le contenu d’un MiniDisc au groupe Radiohead pour demander une rançon de 150 000 euros. Le guitariste Jonny Greenwood avait répondu publiquement : « Ouais, c’est des versions poches de nos vieilles tounes. On va les mettre sur notre Bandcamp pour ceux que ça intéresse. »

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Joyeux 30e, MiniDisc! T’étais une idée so-so sur papier, qui a quand même réussi à trouver sa place grâce aux geeks de musique et à un marché qui s’apprêtait à se redéfinir du tout au tout. Tu seras pour toujours dans nos coeurs en tant que curiosité historique!